Strehler monte La Trilogie de la Villégiature à l'Odéon
Notice
Rencontre avec Giorgio Strehler alors qu'il monte la trilogie de la Villégiature de Goldoni au théâtre de l'Odéon en 1978, avec les comédiens de la Comédie-Française. Il s'agit d'une longue interview de Strehler sur Goldoni dans laquelle le réalisateur a superposé ou intercalé des moments filmés des répétitions.
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Éclairage
La Manie de la villégiature, Les Aventures de la Villégiature et Le Retour de villégiature, créées pendant la saison 1761-1762, forment une trilogie qui présente une grande cohérence d'action (un début, un milieu et une fin, selon le principe aristotélicien). Ecrite peu avant son départ de Venise pour Paris où il passera les trente dernières années de sa vie, la trilogie de l'auteur dramatique vénitien Carlo Goldoni (1707-1793) est, selon le mot même de Strehler, une véritable fresque, à la fois dure et tendre. Elle expose une bourgeoisie vénitienne au crépuscule de son existence, imitant le mode de vie de l'aristocratie. Comme le souligne Anna Fontes dans ses notes de l'édition de la Pléiade, si l'action se passe à Livourne et sa campagne, Goldoni vise bel et bien la bourgeoisie vénitienne et ses travers. Vient se greffer une histoire d'amour malheureuse qui transforme le ton léger du début en une sombre mélancolie. Du tourbillon des préparatifs au triste et noir retour de la villégiature en passant par le séjour mouvementé à la campagne, Goldoni utilise toutes les teintes et les tempi possibles dans son écriture. La version mise en scène ici à l'Odéon est une adaptation des trois pièces en trois longs actes pour ne faire qu'un seul spectacle.
Metteur en scène italien, Giorgio Strehler (1921-1997) a été l'une des figures les plus importantes du théâtre européen au XXe siècle. Créant avec Paolo Grassi le Piccolo Teatro de Milan dès 1947, il s'impose comme un des plus grands metteurs en scène dit « de théâtre d'art ». Fédérant une troupe autour de lui, dans un lieu stable, créant également une école, il construit un répertoire pensé dans l'idée d'un lien intime entre le théâtre et le monde, d'un théâtre citoyen en dialogue avec son public. En fondant son répertoire sur la revisitation des classiques et la mise en valeur de la création contemporaine, il réforme en profondeur la mise en scène italienne et donne un souffle nouveau à l'art de l'acteur.
Malgré le peu de pièces de Goldoni (moins de dix) que Giorgio Strehler a montées (parfois plusieurs fois), le metteur en scène a toujours clamé son affinité profonde avec l'auteur Vénitien. Il avait l'habitude de dire que c'était son grand frère. Il admire profondément le poète qui a su si bien, selon lui, peindre les hommes, leurs joies, leurs peines, leurs petits travers et leurs grands défauts. Goldoni a développé dans sa vie et dans son écriture une certaine relation au monde et au théâtre, une perception du monde et du théâtre dont Strehler se sentait très proche.
Si Giorgio Strehler et la troupe du Piccolo Teatro de Milan sont venus régulièrement présenter leurs spectacles à Paris, en 1978 c'est la première fois que Strehler met en scène une pièce à Paris avec des comédiens français, en l'occurrence ceux de la Comédie-Française (« Je crois aux Institutions, je crois au théâtre public. » nous dit Strehler.) On entrevoit ainsi le travail sur le plateau du metteur en scène milanais – on filme ici des scènes de la seconde partie de la trilogie, Les Aventures de la villégiature. Il y a de nombreuses façons de diriger les acteurs. Strehler fait partie des metteurs en scène qui montent sur le plateau, se mélangent aux acteurs, s'insinuent dans la scène, vont de l'un à l'autre afin de donner des indications de jeu, modifier le rythme de l'action scénique ou simplement l'appuyer. Il montre. Si certains gardent une certaine distance et sont davantage dans la parole explicative ou accoucheuse, Strehler montre, imite, mime : pas de caricature ici, mais plutôt surlignage des intentions, des impulsions. Les répétitions aperçues montrent un travail déjà très avancé : tout est en place, décors et costumes compris. Il s'agit ici des dernières répétitions qui règlent le rythme du spectacle, ce qui permet d'autant plus à Strehler ce cheminement sur la scène. Avec lui, la mise en scène est une question de pulsation : il fait fortement résonner la musique de la pièce dans les voix et les corps de ses comédiens. Strehler a quelque chose à voir avec un chef d'orchestre : il aide chaque comédien à établir sa ligne mélodique qu'il tient, tendue, d'un bout à l'autre de la représentation, et en même temps il fait en sorte que toutes ses lignes mélodiques composent une partition qui mette au mieux en valeur la pièce jouée.