L'expressivité du main à main avec Un loup pour l'homme
Notice
Extraits vidéo du spectacle Appris par corps. Alexandre Fray et Frédéric Arenault, porteur et voltigeur de la compagnie Un loup pour l'homme, y explorent la relation d'interdépendance entre le porteur et son voltigeur : lutte, jeu à l'aveugle, fusion et rejet, pour une autre approche du main à main.
- Europe > France > Nord-Pas de Calais > Nord > Lille
Éclairage
En 2007, Appris par corps constituait un petit séisme dans le milieu du porté acrobatique. Alexandre Fray et Frédéric Arsenault, respectivement porteur et voltigeur, décidaient alors de s'affranchir des règles du genre. Les deux acrobates se sont rencontrés en 2004, sur Les sublimes de la compagnie Hendrick Van Der Zee : « nous avons été été influencés par l'engagement des corps prôné par Guy Alloucherie, cette manière "d'oser faire" au plateau. » [1] Leurs parcours respectifs leur ont donné le goût du sport et du cirque : dix ans de judo pour Alexandre, avant une formation à Rosny et CNAC. Parallèlement à sa formation à l'école de cirque de Montréal, Frédéric pour sa part est adepte de sports dits à sensations (glisse, hockey, snowboard...). En 2005, ils fondent la compagnie Un loup pour l'homme : « nous cherchions à mettre à jour les relations humaines à travers le porté, en partant sur des bases très simples : pas d'objets, pas d'agrès, juste deux corps sur scène. Nous avons mené des recherches physiques autour des portés au sens large, en s'éloignant volontairement de la technique acrobatique pour défricher tout autour : la lutte, le travail à l'aveugle... Nous voulions parler de la relation à l'autre par le toucher. Les gens ne se touchent pas dans la vie ; or, nous, ne faisons que ça. Le contact physique est naturel dans le cirque en général. » [2]
Dans une discipline où les couples de porteur et de voltigeur sont majoritairement mixtes, ils exploitent la singularité de leur duo masculin, via des lectures sur le thème de la gémellité (Les Météores, de Michel Tournier ; La trilogie des jumeaux, de Agota Kristof). Epaulés à la mise en scène par Arnaud Anckaert, ils créent en 2007 le spectacle Appris par Corps. La dramaturgie émerge naturellement de l'état de tension entre les deux corps. Les liens qui unissent le porteur à son voltigeur déclinent tout le spectre de la relation duale : interdépendance, fusion, rejet, abandon ... La scénographie est dénudée ; les costumes s'apparentent à des tenues d'entraînement. La bande son rock souligne le caractère acéré du corps à corps entre les deux hommes.
Appris par corps se nourrit aussi de travaux menés en parallèle par Alexandre Fray sur la « grand maternité »: des portés avec des personnes âgées. « Je parle beaucoup avec elles de ce que représente le fait d'être porté; de leurs peurs, de la mise en confiance... Les notions de dépendance et de fragilité sont mises en exergue. Par le passé, je faisais un numéro avec une voltigeuse : elle campait d'abord ma fille, puis ma soeur, ma compagne, ma mère, ma grand-mère, puis je l'emmenais mourir. Le porté évoque ces thèmes à travers différents types de contacts, de touchers. Ca parle de choses à nos dépens, de manière quasi inconsciente. » [2]
Avec le metteur en scène David Bobée, le duo explore ensuite l'idée de la limite et de l'épuisement, dans une courte performance de main à main sous la chaleur brûlante de projecteurs (Warm, 2008). Toutes ces recherches se poursuivent ensuite dans Face Nord : la deuxième création d'Un loup pour l'homme met en scène deux duo de porteurs et voltigeurs, dans une mise en scène régie par des contraintes ludiques qui restent invisibles au public. « Le cirque est un art de l'action : on est en train de faire, pas de montrer. En le comparant avec le geste sportif ou l'implication d'un enfant dans le jeu, nous avons décidé de nous fixer des règles, pour être vraiment en train de jouer à nos jeux. La valeur du cirque ou de l'acrobatie réside dans la persistance, l'obstination de l'artiste en train d'essayer de faire. » [3]
[1] Entretien avec Frédéric Arsenault, 2008
[2] Entretien avec Alexandre Fray, 2008
[3] Entretien avec Alexandre Fray, 2011