Que-Cir-Que, « une planète autour d'un soleil invisible »

Jean-Paul Lefeuvre, Emmanuelle Reisch (née Jacqueline) et Hyacinthe Reisch, issu-e-s de la première Promotion du Centre National des Arts du Cirque (1985-1989), créent Que-Cir-Que, en 1993, après leur expérience au sein du Cirque O. Alors que confronté-e-s pendant leur formation aux créations des fondateurs du genre, Archaos, Plume, Baroque..., qui pratiquent le mélange des arts dans un foisonnement de références au réel, le trio explore un cercle conçu comme le territoire d'un « langage du corps », dans lequel « l'acquisition des techniques de cirque, de la danse et du théâtre » transforme le corps « en outil hors du commun », utilisé « d'une manière tellement inhabituelle qu'il brise ainsi le statu quo du cirque conventionnel » [1].

La structure élaborée par Christoph Gärtner, un mât noir situé au centre de la piste du chapiteau blanc, est indissociable de l'intention artistique. Pour la compagnie, « le mât centre l'action » et, alors qu'il « apparaît encombrant », il « devient partenaire de l'action », complice de « jeux parfaitement innocents », qui se révèlent d'une étrange cruauté et de « curieuses découvertes », qui laissent une place à l'émerveillement.

Que-Cir-Que, les syllabes du mot cirque « indéfiniment rajoutées aux syllabes » affirment « le jeu pour le jeu dans un commencement infini ».

Alors que le cercle clos du cirque O présentait une certaine étanchéité au réel, le mât de Que-Cir-Que développe une force d'attraction et semble aspirer un en dehors de la piste, un au-delà du visible, qui permet, malgré tout, de faire affleurer une présence au monde. Les prouesses circassiennes d'une technique sans faille sont portées par une nudité extrême des gestes faisant émerger les caractéristiques stylistiques des artistes. J.-P. Lefeuvre cultive un détachement qui paradoxalement le lie à son vélo mu par la seule force de l'élan. H. Reisch encerclé dans sa roue allemande dessine des arabesques folles et éphémères qui bousculent le rythme du spectacle.

E. Reisch évolue avec une sublime pertinence dans les airs. Captivés par la force centripète déployée par le mât, qui ramène tout à lui, les artistes sont convoqués dans un cercle où s'affirme la matérialité des corps. La proximité avec le public rend palpable le souffle et la sueur, le grain de la peau, l'exploit peut s'affirmer humain, accessible. Une histoire, si mince soit-elle, même en filigrane, est suggérée. E. Reisch reconnaît qu'ils doivent se « raconter une histoire qui tient le coup ». Cependant, si chacun possède des armes pour séduire l'autre ou les autres, sans passé identifié, prisonniers d'un présent circulaire, ils semblent pris dans la spirale d'un avenir impossible.

Pour Jean-Claude Carrière : « Que-Cir-Que ça tourne comme une planète autour d'un soleil invisible. Ou comme une roue, autour d'un axe qui est à la fois ce qui soutient et ce qu'on attaque, un axe refuge, un axe défi. » [2]

Au-delà du travail expérimental, Que-Cir-Que constitue un maillon dans la chaîne des écritures circassiennes en se distinguant du nouveau cirque tumultueux contemporain de leurs années de formation et en négligeant la linéarité discursive en train d'apparaître sur les scènes. Ils ont fait le choix d'assoir l'unité spectaculaire sur un rythme, un climat privilégiant la présence des corps dans un espace dépouillé, les objets n'étant que prétexte à la virtuosité.

[1] Toutes les citations des artistes sont issues du dossier de presse de la compagnie.

[2] Jean-Claude Carrière, reproduit dans Cathy Beauvallet, Manuelle Reisch, Carnet de cirque, du montage au démontage, Paris, Gallimard, 2001, p. 8.