La contorsion introspective d'Angela Laurier
Notice
Extraits de Déversoir, premier spectacle de la compagnie Angela Laurier. Si l'artiste se défait d'une camisole sophistiquée à son entrée en scène, c'est pour mieux la recréer ensuite, à travers les contraintes infligées à son corps de contorsionniste. Sur un écran géant, des entretien vidéo racontent son histoire familiale. L'aliénation corporelle répond à la schizophrénie de son grand frère.
Éclairage
Déversoir, Exutoire, J'aimerais pouvoir rire... les titres des spectacles d'Angela Laurier ont des vertus cathartiques, et les jeux de mots lacaniens ne sont jamais très loin (L'ange est là, l'or y est ; L'angela bête...). Ce dont il est question ici, c'est bien d'introspection : l'exploration d'une histoire familiale compliquée, qui se dit à travers le corps. Après avoir mis sa contorsion pendant une trentaine d'années au service de propositions souvent spectaculaires (Cirque du Soleil , Gosh, Robert Lepage, Cirque du Trottoir...), l'acrobate québécoise décide, à 46 ans, de (re)prendre la parole. En 2006, elle fonde la Compagnie Angela Laurier, pour explorer des thématiques personnelles. Armée d'un caméscope, elle retourne dans son Québec natal, pour mener des entretiens avec les membres de sa famille. Cette matière constituera la sève de plusieurs spectacles à venir, dans des mises en scène combinant performances et projections vidéo.
En 2008, Déversoir entérine la demarche d'une fresque autobiographique qui se déclinera en plusieurs spectacles, à la recherche des racines de sa vocation. L'héritage familial douloureux pèse de tout son poids sur les ligaments d'une petite fille gymnaste, qui démarre la contorsion dès 18 ans pour trouver sa place au sein d'une fratrie nombreuse : « les conflits entre mon père et ses fils prenaient toute la place » [1] Ce premier spectacle s'articule autour des figures centrales du père et du grand frère schizophrène, Dominique : « Déversoir établit un parallèle entre la folie de mon frère et la mienne, une folie du corps. Mes débuts en contorsion coincident avec le début des troubles psychiatriques de Dominique. J'allais beaucoup le voir dans son institut, et parallèlement, je m'entraînais seule dans un gymnase. La répétition quotidienne des mêmes mouvements est une autre forme d'aliénation. » [1] La contorsion est pour Angela Laurier le moyen de sublimer la souffrance psychique : « en découvrant le travail d'une contorsionniste dans un cirque chinois de passage à Montréal, j'ai su que je voulais pratiquer cette parole du corps : revêtir ce masque impassible qui va dans les extrêmes. En m'entraînant, j'arrivais à m'anesthésier, à évacuer cette angoisse que je portais en moi. Je me mettais à bout pour me vider la tête, réussir à dormir le soir. Pour beaucoup de jeunes, la pratique physique est un exutoire, une manière de fuir un rapport difficile à la famille. » [1]
Au sein de sa compagnie, l'acrobate rompt avec le numéro traditionnel de contorsionnisme : « la contorsion véhicule beaucoup de fantasmes. Par le passé, j'ai fait des formes qui questionnaient le voyeurisme ; au sein du Cirque du soleil, j'entretenais un rapport très direct avec le public, j'allais contorsionner au milieu des spectateurs, je faisais la femme tronc... Mais la provocation, c'était une étape. J'ai ensuite eu besoin de casser l'esthétique habituelle des numéros de cirque. Je veux démystifier la folie, réussir à faire rire de mon histoire, sans partir dans le pathos ni la victimisation ! J'aimerais un jour pouvoir passer à autre chose, cesser d'avoir besoin de me désarticuler. » [1] Seule en scène, sa technique évolue : « Ma contorsion s'est transformée, je n'enchaîne plus les numéros comme avant. Maintenant, je tiens de longues poses sans reprendre mon souffle, à la manière des yogi en Inde ; ça contracte les muscles, ça teste la résistance. J'ai aussi enregistré tous les sons du corps, les craquements, les respirations ; sur scène, je place un micro sur un stéthoscope ou sur mes cordes vocales... Cette bande son intérieure, c'est peut-être ça le plus douloureux. » [1] Angela Laurier poursuit l'exploration de son histoire familiale, sous l'ombre inquisitrice d'un père toujours inquiet (J'aimerais pouvoir rire) ; jusqu'à L'Angela Bête, création 2012, qui prend le temps de revenir sur son propre parcours de « bête de scène ».
[1] Entretien avec Angela Laurier, 2008