Jean Kergrist, le clown résistant
Notice
Clown résistant, Jean Kergrist, avec son personnage le Sous-Secrétaire d'Etables aux colloques agricoles, s'engage de lieux de luttes en manifestations. Les objets dont s'empare ce clown sont glanés dans des décharges, modifiés, manipulés, bricolés ; ils se voient dotés, non seulement d'une seconde vie, mais d'un sens redéfini.
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Éclairage
« L'arrêt, fin 2006, de l'ineffable TNP (Théâtre National Portatif) a été répercuté par les médias autorisés et généralement bien informés. Mais des apparitions surprises de Jean Kergrist ne sont pas totalement à exclure, car le matou ne dort que d'un œil et ne renonce pas à jouer les seconds couteaux. Il lui reste encore le cinoche, la radio, la télé et les discours déjantés de son "Sous-Secrétaire d'Étables aux colloques agricoles" lors des manifs... sans oublier l'écriture. » [1]
Jean Kergrist (1940), de son vrai nom Jean Hamon, prend une partie du nom de son village de naissance Kergrist-Moëlou (Côtes-d'Armor) pour sa carrière de comédien, de metteur en scène et d'écrivain. Après des études de philosophie, de théologie et d'histoire de l'art, il travaille dans la troupe de Roger Planchon puis dans celle de Marcel Maréchal. En 1975, il invente le Théâtre National Portatif (en relation avec l'institution officielle), une structure nomade et adaptable à la situation du moment. Il donne naissance au Clown Atomique (1980) en participant aux combats des anti-nucléaires, sur le site nucléaire de Creys-Malville. Puis, en fonction de l'actualité des luttes, de l'urgence des engagements, d'autres héros clownesques voient le jour : avec les travailleurs sociaux, la Fièvre acheteuse ; avec les personnels de santé, le Clown docteur chef ; avec les paysans travailleurs, le Clown agricole ; avec les associations de chômeurs, le Clown chomdu ; avec les militants des droits de l'homme, le Clown perd la boule ; etc... Chacun d'entre eux caricature son aliénation au monde administré en véhiculant de façon outrancière les messages portés par l'idéologie dominante. C'est lors de la confrontation de ces personnages à la réalité, qui est aussi celle vécue par son auditoire, que se réalise la chute propre au clown incitant au rire. Mais Kergrist a pour principe de toujours éviter le ridicule : « mes héros déclenchaient le rire politique, celui qui introduit le spectateur au recul critique sur lui-même ».
Parmi ses spectacles, notons Grand bal à Saint-Lubin (1996), La Gavotte du cochon (2001), et Le fabuleux destin d'Oussama Ben la Poule (2002). Avec Les bagnards (2003), spectacle consacré au bagne militaire de Glomel, il crée, en 2003, avec une troupe de théâtre, un spectacle joué sur une péniche qui parcourt le canal de Nantes à Brest (2005), puis sur la Rance et la Vilaine, l'année suivante. Ce spectacle et ses multiples déclinaisons [2] témoignent de son engagement pour la réhabilitation du canal dont l'usage est entré en concurrence avec le développement du chemin de fer et pour rendre hommage aux bagnards qui l'ont creusé au cours du XIXe siècle.
A l'expression théâtre militant, Jean Kergrist préfère celle de théâtre résistant, comme il l'affirme lors d'un colloque sur ce thème [3]. Dans cette démarche d'analyse théorique de son propre travail, qui le conduit à s'éloigner de l'anecdotique, il propose de prendre pour modèle non pas « la praxis du tonton Karl, mais plus bonnement [sa] maîtresse en philosophie : la vache, celle qui prend le temps de ruminer avant de faire son lait : "je rumine donc je panse". Comme la vache, assumons l'exercice en osant dire "je". L'emploi d'un pronom à la première personne ne veut aucunement introduire à la maîtrise d'une nouvelle gourance. Le gourou souvent se goure. Ce petit "je" subjectif, tarte à la crème dans la figure du grand "jeu" planétaire, ne se réfère donc qu'à la fragilité des ruminations provisoires ».
[1] Note d'introduction du site personnel de Jean Kergrist. Jean Kergrist est l'auteur de plusieurs romans dont Les nouveaux conseils à gogo, La Ligne Pourpre, 2009 ; Grosse déglingue, Editions Des Ragosses, 2012.
[2] Les bagnards du canal de Nantes à Brest, réalisation : Pierre Mathiote, scénario : Jean Kergrist et Pierre Mathiote, docu-fiction, 52 mn, Coproduction : Cinergie Productions, France 3 Ouest, France 3 national, 2008.
Kergrist, Les Bagnards, histoire, Keltia Graphic, Spézet (29), 2003
[3] Jean Kergrist, « Le rire en bandoulière (De l'artillerie lourde de la décentralisation dramatique à l'infanterie légère des scènes immaginées) », dans Christian Biet et Olivier Neveux (dirs), Une histoire du spectacle militant, théâtre et cinéma militants 1966-1981, Vic la Gardiole, L'Entretemps, 2007, p. 230.