Maurice Béjart et le Théâtre
Notice
Au cours d'une interview donnée en 1965, quand il remonte son Sacre du printemps à l'Opéra de Paris, Maurice Béjart confie que le théâtre « parlé » l'ennuie profondément. Il ne conçoit - à l'instar du théâtre japonais actuel et ancien, ou de la tragédie grecque - qu'un spectacle où les gens parlent, dansent et chantent tout à la fois, ce qu'Artaud appelle « Le Théâtre vrai ».
Éclairage
Dès son enfance, Maurice Béjart est attiré par le théâtre et il y travaille très jeune. S'il n'a pas choisi d'être danseur, il a bien choisi en revanche d'être chorégraphe : « Etant dans la danse je me suis passionné pour la danse et tout mon goût pour le théâtre est passé dans la danse ».
La mise en scène occupe une place primordiale dans les spectacles de Maurice Béjart, ainsi que le mélange des genres - textes, musique, danse - pour obtenir ce « théâtre total » qu'il prône déjà dans Orphée en 1955. A cet effet toute sa vie il met à profit sa formidable culture et ses nombreux voyages, en Europe, en Inde, en Iran, au Japon et en Afrique. Toutes les formes de théâtre - y compris l'opéra - le tentent et il se risque à de nombreuses expériences pour sortir de la routine.
En 1962 à la Monnaie de Bruxelles, A la recherche de Don Juan réunit Maria Casarès disant des textes espagnols du XVIe siècle, un chanteur flamenco, un guitariste et la danseuse Tania Bari, tous filmés par François Weyergans et projetés en direct sur trois écrans. L'année suivante il monte au Théâtre Hébertot La Reine verte sur ses propres textes et des musiques de Pierre Henry, avec Maria Casarès, Jean Babilée et Ursula Kubler (la femme de Boris Vian). A l'Odéon, Jean-Louis Barrault joue sa Tentation de Saint-Antoine d'après Flaubert, entourée des danseuses Josiane Consoli et Michèle Seigneuret. A la Comédie-Française, Maurice Béjart met en scène en 1976 son Molière Imaginaire avec Robert Hirsch et les Ballets du XXe Siècle.
L'opéra le tente toujours, depuis Gala à la Fenice de Venise en 1961, sur des musiques d'Alessandro Scarlatti dans les délirants décors et costumes de Salvador Dali. A Bayreuth, sa chorégraphie érotique du Vénusberg dans Tannhauser fait scandale en 1963. Il secoue la Monnaie de Bruxelles en mettant en scène Les contes d'Hoffmann avec des musiques additives de Henri Pousseur et défilé d'autruches, La Veuve joyeuse sur fond de guerre 1914-18 et hécatombe de poilus sur l'Heure exquise, et La Traviata avec cercueil capitonné et danseur nu au centre d'un salon tout en miroirs.
A l'Opéra de Genève il monte Don Giovanni avec Ruggiero Raimondi et Salomé avec Julia Migenes en 1983. A l'Opéra de Berlin il monte un Ring de Wagner à sa façon, avec un récitant en allemand (Michaël Denard) et Elisabeth Cooper qui fait la liaisons au piano avec de grandes pages de la Tétralogie diffusées par un magnétophone sur scène.
Autre grande passion : le Japon, le Nô et le Kabuki. En 1980 Béjart joue lui-même, aidé de deux kurokos, Casta Diva à l'IRCAM dans un décor de Miyaké et un fabuleux déploiement de kimonos imaginés par Hanae Mori. Quatre ans plus il tard met en scène au Théâtre du Rond-Point Cinq Nô modernes de Mishima adaptés par Marguerite Yourcenar, avec Eiji Mihara, son fidèle domestique japonais, propulsé comédien. En 1986 il crée pour le Tokio Ballet Kabuki grand spectacle conçu également pour Eric Vu An, musique de Mayuzumi Toshiro, qui revient au Palais Garnier en mai 2012, puis deux autres ballets du même compositeur, M et Bugaku. Toujours à Tokyo, Kurozuka met face à face deux stars : le danseur Patrick Dupond et l'acteur Bando Tamasuburo.
Maurice Béjart crée quantité de spectacles truffés de textes de Jean Cocteau, François Weyergans, Gabriele d'Annunzio (Le Martyre de Saint Sébastien, musique de Debussy avec Didier Sandre et Eric Vu An), Pasolini, Nijinski (avec la voix de Laurent Terzieff) , Ramuz, Jung, Pasolini.
Il aura tout tenté, même la comédie musicale depuis Les Oiseaux spectacle enchanteur d'après Aristophane en 1965 (musique d'Hadjidakis, avec Gérard Lartigau de la Comédie-Française), jusqu'au calamiteux Mutationx en 1999. Enfin tout, pour assouvir sa soif de danse, musique et théâtre et pour éviter ce qu'il déteste le plus : ne voir sur scène que « des gens dans un salon et qui disent un beau texte ! ».