Maurice Béjart et le Théâtre

12 mai 1965
01m 39s
Réf. 00713

Notice

Résumé :

Au cours d'une interview donnée en 1965, quand il remonte son Sacre du printemps à l'Opéra de Paris, Maurice Béjart confie que le théâtre « parlé » l'ennuie profondément. Il ne conçoit - à l'instar du théâtre japonais actuel et ancien, ou de la tragédie grecque - qu'un spectacle où les gens parlent, dansent et chantent tout à la fois, ce qu'Artaud appelle « Le Théâtre vrai ».

Date de diffusion :
12 mai 1965
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Éclairage

Dès son enfance, Maurice Béjart est attiré par le théâtre et il y travaille très jeune. S'il n'a pas choisi d'être danseur, il a bien choisi en revanche d'être chorégraphe : « Etant dans la danse je me suis passionné pour la danse et tout mon goût pour le théâtre est passé dans la danse ».

La mise en scène occupe une place primordiale dans les spectacles de Maurice Béjart, ainsi que le mélange des genres - textes, musique, danse - pour obtenir ce « théâtre total » qu'il prône déjà dans Orphée en 1955. A cet effet toute sa vie il met à profit sa formidable culture et ses nombreux voyages, en Europe, en Inde, en Iran, au Japon et en Afrique. Toutes les formes de théâtre - y compris l'opéra - le tentent et il se risque à de nombreuses expériences pour sortir de la routine.

En 1962 à la Monnaie de Bruxelles, A la recherche de Don Juan réunit Maria Casarès disant des textes espagnols du XVIe siècle, un chanteur flamenco, un guitariste et la danseuse Tania Bari, tous filmés par François Weyergans et projetés en direct sur trois écrans. L'année suivante il monte au Théâtre Hébertot La Reine verte sur ses propres textes et des musiques de Pierre Henry, avec Maria Casarès, Jean Babilée et Ursula Kubler (la femme de Boris Vian). A l'Odéon, Jean-Louis Barrault joue sa Tentation de Saint-Antoine d'après Flaubert, entourée des danseuses Josiane Consoli et Michèle Seigneuret. A la Comédie-Française, Maurice Béjart met en scène en 1976 son Molière Imaginaire avec Robert Hirsch et les Ballets du XXe Siècle.

L'opéra le tente toujours, depuis Gala à la Fenice de Venise en 1961, sur des musiques d'Alessandro Scarlatti dans les délirants décors et costumes de Salvador Dali. A Bayreuth, sa chorégraphie érotique du Vénusberg dans Tannhauser fait scandale en 1963. Il secoue la Monnaie de Bruxelles en mettant en scène Les contes d'Hoffmann avec des musiques additives de Henri Pousseur et défilé d'autruches, La Veuve joyeuse sur fond de guerre 1914-18 et hécatombe de poilus sur l'Heure exquise, et La Traviata avec cercueil capitonné et danseur nu au centre d'un salon tout en miroirs.

A l'Opéra de Genève il monte Don Giovanni avec Ruggiero Raimondi et Salomé avec Julia Migenes en 1983. A l'Opéra de Berlin il monte un Ring de Wagner à sa façon, avec un récitant en allemand (Michaël Denard) et Elisabeth Cooper qui fait la liaisons au piano avec de grandes pages de la Tétralogie diffusées par un magnétophone sur scène.

Autre grande passion : le Japon, le Nô et le Kabuki. En 1980 Béjart joue lui-même, aidé de deux kurokos, Casta Diva à l'IRCAM dans un décor de Miyaké et un fabuleux déploiement de kimonos imaginés par Hanae Mori. Quatre ans plus il tard met en scène au Théâtre du Rond-Point Cinq Nô modernes de Mishima adaptés par Marguerite Yourcenar, avec Eiji Mihara, son fidèle domestique japonais, propulsé comédien. En 1986 il crée pour le Tokio Ballet Kabuki grand spectacle conçu également pour Eric Vu An, musique de Mayuzumi Toshiro, qui revient au Palais Garnier en mai 2012, puis deux autres ballets du même compositeur, M et Bugaku. Toujours à Tokyo, Kurozuka met face à face deux stars : le danseur Patrick Dupond et l'acteur Bando Tamasuburo.

Maurice Béjart crée quantité de spectacles truffés de textes de Jean Cocteau, François Weyergans, Gabriele d'Annunzio (Le Martyre de Saint Sébastien, musique de Debussy avec Didier Sandre et Eric Vu An), Pasolini, Nijinski (avec la voix de Laurent Terzieff) , Ramuz, Jung, Pasolini.

Il aura tout tenté, même la comédie musicale depuis Les Oiseaux spectacle enchanteur d'après Aristophane en 1965 (musique d'Hadjidakis, avec Gérard Lartigau de la Comédie-Française), jusqu'au calamiteux Mutationx en 1999. Enfin tout, pour assouvir sa soif de danse, musique et théâtre et pour éviter ce qu'il déteste le plus : ne voir sur scène que « des gens dans un salon et qui disent un beau texte ! ».

René Sirvin

Transcription

Journaliste
Monsieur Béjart, et il m'a semblé que vous auriez pu être metteur en scène de théâtre, vous vous êtes choisi danseur et chorégraphe.
Maurice Béjart
Non, je ne me suis pas choisi danseur.
Journaliste
Vous vous êtes choisi chorégraphe.
Maurice Béjart
Oui, mais danseur c’est par hasard. Je voulais toujours faire du théâtre et j’ai toujours été depuis très, très enfant enfin, j’ai travaillé dans le théâtre depuis que je suis… j’ai commencé à marcher. J’étais danseur par hasard, à la suite d’un accident, on a voulu me faire faire de la culture physique et je suis tombé sur un médecin disons, intelligent, qui a dit, mais la meilleure culture physique, et je le pense d’ailleurs moi aussi, c’est la danse classique. Et j’ai fait de la danse et étant dans la danse, je me suis passionné pour cet art, et tout mon goût pour le théâtre est passé dans la danse. Le théâtre parlé m’ennuie profondément. Et c’est peut être une lacune, j’en fais pas un titre de gloire, mais je ne peux pas concevoir un théâtre dans lequel il y est pas… où y ait pas de la musique, dans lequel y ait pas du geste, dans lequel la couleur ait pas une importance égale au texte voyez-vous. Je trouve que le théâtre parlé, a donné à tort, au texte une trop grande importance. Cette excroissance des langages a fait que le théâtre actuellement meurt ou se cherche. Et que les grandes époques théâtrales dans tous les pays, ont été des époques où y avait pas que du pa… de la parole enfin. Si vous voyez le théâtre japonais encore maintenant, ou de la grande époque, ou le théâtre grec au temps de la tragédie, les gens dansaient, chantaient, jouaient la comédie, il y a avait une mise en scène qui avait... Ce qu'Artaud appelait le théâtre vrai ! Et non pas des gens qui vont dans un salon et qui disent un beau texte.