Le Jeune homme et la Mort de Roland Petit avec Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev
Notice
Le document s'ouvre sur Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev, dans une scène du Jeune Homme et la Mort filmé pour la télévision française fin 1966 aux studios de Saint Maur. Roland Petit explique comment il remanie sa chorégraphie selon ses interprètes : « Pas de confection, mais du sur mesure ». La seconde partie du reportage est consacrée au Jeune Homme et la Mort depuis le début du ballet, avec Noureev allongé sur un lit et vu des cintres, puis de face jusqu'au fameux passage acrobatique du Jeune Homme escaladant une chaise et son dossier.
Éclairage
Après le succès de la première saison des Ballets des Champs Elysées en octobre 1945, Boris Kochno, directeur artistique de la compagnie, et Roland Petit maître de ballet, décident d'organiser au plus vite une nouvelle saison parisienne. Celle-ci a lieu en mars 1946, toujours au Théâtre des Champs Elysées. Roland Petit y présente deux créations puis la compagnie effectue sa première tournée à l'étranger au Théâtre Adelphi à Londres où Jeu de cartes avec Jean Babilée et Les Forains font les délices du public et de la presse.
Une nouvelle saison est prévue en juin 1946 au théâtre des Champs-Elysées, et il faut absolument y présenter de nouvelles créations. Il veut un ballet pour mettre en valeur son danseur vedette Jean Babilée. Il va sonner à la porte de Jean Cocteau. Celui-ci sort de son bain et c'est «emmitouflé de serviettes éponges » que le poète trouve sur le champ le sujet du Jeune Homme et la Mort. Non seulement il décrit entièrement le ballet à Roland Petit, mais lui donne de nombreuses idées de mise en scène.
Le ballet est la résultante d'une étrange alchimie à trois : l'auteur Jean Cocteau, l'inspirateur Jean Babilée et le chorégraphe Roland Petit.
C'est Cocteau qui a l'idée du Jeune Homme renversé sur son lit fumant une cigarette (détail révolutionnaires pour l'époque !), mais c'est Babilée qui demande à garder sa vieille salopette comme costume de scène, ainsi que sa montre-bracelet pour minuter le moment exact de sa pendaison. Quand Roland Petit indique à Babilée certain mouvement, Cocteau intervient : « Il est beau ce mouvement, mais il faut le répéter trois fois. La première fois on le voit. La deuxième fois on le regarde, et la troisième fois le public le retient » !
Quant à la musique, Cocteau laisse planer le doute jusqu'au dernier moment. Roland Petit répète sa chorégraphie sur des musiques de jazz improvisées au piano par Nicolas Stein. A deux jours de la première, le chef d'orchestre André Girard propose la Grande Passacaille pour orgue BWV 582 de Bach, dans l'orchestration de Respighi. Le ballet dure dix huit minutes. En ralentissant un peu le mouvement, la musique colle parfaitement. Mieux, elle lui apporte une couleur sombre et angoissante qui accentue encore la force mystérieuse de l'action.
« Jean, étonne-moi » avait recommandé Diaghilev au jeune Cocteau en 1912. Jean a réussi à stupéfier le monde trois décennies plus tard, par l'audace de ses innovations. Le Jeune Homme et la Mort fait toujours sensation. Babilée le fait sien et le danse pour la dernière fois à 61 ans ! En 2000, lors de la reprise du ballet à l'Opéra de Paris, le danseur proclame dans la presse « Le Jeune Homme est foutu ! » et reproche aux nouveaux interprètes de faire disparaître la dimension métaphysique du ballet.
En vérité, Roland Petit adapte sa chorégraphie à la personnalité de chacun pour laisser s'épanouir en toute liberté sa spontanéité, sa virtuosité ou son intériorité. Il précise bien dans ce documentaire que la version tournée pour la télévision avec Noureev et Zizi Jeanmaire est différente de celle de 1946 avec Babilée et Nathalie Philippart. Ce document montre en effet un Noureev au maquillage ultra sophistiqué, plus soucieux de bien faire que de se laisser aller à ses impulsions, à mille lieues du naturel sauvage d'un Babilée. Mais il s'agit d'une séquence de travail en noir et blanc et non de la version finale du film en couleurs, avec un Noureev beaucoup plus spontané et dramatique. Malheureusement ce film s'achève sur la mort du Jeune homme, et ampute le ballet de son dernier tableau, la marche de la Mort et du Jeune Homme sur les toits de Paris dans le célèbre décor de Wakhevitch.
Noureev avait une passion pour ce ballet, et à la fin de sa vie il confiait que le plus grand regret de sa carrière était: « Que Roland ne m'ait jamais donné l'autorisation de danser Le Jeune Homme et la Mort sur scène » !
Une autre star russe s'est emparée du rôle : Mikhaïl Barychnikov, sur scène et en ouverture du film White Nights en 1985.