Wim Vandekeybus, dans les méandres du désir
Notice
Inspiré par deux nouvelles de Julio Cortázar, Wim Vandekeybus crée en 1999, avec une composition originale de David Byrne, In spite of wishing and wanting. Le spectacle est une délirante mosaïque de scènes inouïes, somptueuses, qui ont pour seul fil rouge la ténacité du désir à se jouer du souhait et de la volonté.
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Éclairage
D'une danse d'instinct aux prises avec l'urgence et le danger, qui marquait ses premiers spectacles (What the body doesn't remember, Les porteuses de mauvaises nouvelles et Le Poids de la main) à la toute fin des années 1980, le chorégraphe flamand Wim Vandekeybus est progressivement passé à des univers fantasmagoriques où le rêve et l'inconscient façonnent d'étranges métamorphoses. Sa rencontre avec un vieil homme de 88 ans, Carlo Verano, qui fut le point de départ de Immer das Selbe Gelogen (Toujours le même mensonge), créé en 1991, fut la charnière d'une œuvre qui allait, dès lors, faire des corps en mouvement l'incandescence d'un champ de visions. Accueilli en résidence dès 1993 au Théâtre Royal Flamand (KVS) à Bruxelles avec sa compagnie Ultima Vez, Wim Vandekeybus rencontre, très tôt, les moyens de ses ambitions.
C'est avec une compagnie exclusivement masculine de dix danseurs que le chorégraphe crée en 1999 In spite of wishing and wanting, une chorégraphie inspirée par deux nouvelles fantastiques de l'écrivain Julio Cortázar, et qui s'infiltre dans les méandres du désir. Parmi les ingrédients du spectacle : des projections de films (dont le court-métrage The Last Words) et une musique originale de David Byrne, ex-leader du groupe Talking Heads. Entre images projetées et images scéniques, une folle sarabande de scènes enfiévrées : un attelage de chevaux fous qui entraîne dans son sillage ardent la beauté trouble des sommeils agités ; un personnage qui vend aux gens leurs dernières paroles ; un danseur barbu qui hurle et bondit rageusement ; un oreiller qui explose et déclenche une pluie de plumes ; des créatures à huit pattes ; un danseur non-voyant (Saïd Gharbi) qui raconte des souvenirs d'enfance ; des hommes-oiseaux ; des hommes-chevaux ; des hommes-hommes aussi, dont la vulnérabilité émerge dans des poses assoupies comme dans de petites danses de salon. La danse mordante du chorégraphe flamand, loin de toute prouesse virile, tient ici d'un combat ludique avec la folle matière des rêves. Et la dramaturgie fragmentaire du spectacle apparaît pour ce qu'elle est : une délirante mosaïque de scènes inouïes, somptueuses, qui ont pour seul fil rouge la ténacité du désir à se jouer du souhait (wishing) et de la volonté (wanting).
Dans le journal du Théâtre de la Ville, Irène Filiberti écrivait : « Posant comme artificiel l'ordre imposé au monde mais aussi la représentation théâtrale, Wim Vandekeybus réinvestit la scène dans une déflagration de langages, pulvérisant les agencements du discours et autres exercices du pouvoir. Si le chorégraphe conduit la machine désir avec le même tempérament qu'un cheval sauvage, il poursuit aussi sa réflexion entre image et mouvement. (...) L'adresse de la compagnie Ultima Vez est d'appréhender la violence du monde dans ses élans positifs, d'en restituer la formidable énergie. Celle du chorégraphe-cinéaste réside, entre autres, dans sa façon de capter des indices fugaces du réel, de rester au plus proche d'une logique de la perception. Favorisant l'instantané et le discontinu, il met en déroute toute tentative d'enfermement, et désamorce par le rire les rigidités de style ou de pensée. (...) Magistrale démonstration d'un monde hybride d'interactions ou perce le réel, où l'essentiel de l'existence surgit de toutes parts » [1].
[1] Irène Filiberti, journal et programme du Théâtre de la Ville, Paris, novembre 1999.