Quand l'intensité balaie le sens
Notice
Avec Les Porteuses de mauvaises nouvelles, son second spectacle créé fin 1988 au CNDC d'Angers, le chorégraphe flamand Wim Vandekeybus confirme un goût avéré pour la dépense d'énergie et le sens du risque.
- Europe > Belgique
- Europe > France > Pays de la Loire > Maine-et-Loire > Angers > CNDC
Éclairage
Qui sont ces Porteuses de mauvaises nouvelles qu'évoque le titre de la pièce que crée Wim Vandekeybus en décembre 1988, à l'issue d'une résidence au Centre national de danse contemporaine d'Angers ? Le chorégraphe dit être parti du séisme émotionnel que devaient ressentir ces messagères pharaoniques, destinées à la mort si leur missive était entachée de catastrophes. Mais, commente la journaliste Claire Diez, « il laisse tomber le message et garde l'urgence du séisme en propulsant les corps dans une guerre plus subtile avec les impulsions musicales de Thierry De Mey, le quotidien (chemise surgelée, feu galopant, morceaux de sucre estompés). C'est une pièce de perturbations syncopées et heurtées qui explore la chute et les suspensions, les ondes de choc et semble de manière presque organique visualiser le chaos et ses champs magnétiques d'attractions et de rejet. » [1]
Seconde pièce d'une trilogie (après What the body doesn't remember et avant Le Poids de la main), ces Porteuses de mauvaises nouvelles viennent confirmer le goût de Wim Vandekeybus pour la dépense d'énergie et le risque physique : ici, les douze danseurs doivent composer avec des pyramides de palettes de bois, qu'ils s'activent à bâtir pour aussitôt les démolir avec frénésie. « La danse pour la danse ne me suffit pas », confiait Wim Vandekeybus, « il faut qu'elle fasse naître une émotion » [2]. « Ce qui m'intéresse », disait encore le chorégraphe, « c'est l'endroit où les limites s'estompent, où les sens se chevauchent, où les états d'âme se mêlent en une seule et même émotion. L'intensité balaie le sens ou, plutôt, elle constitue ce qui substitue au-delà du sens. » [3]. Danse-réflexe, danse-commando, qui fait la guerre à la vitesse, pour surprendre des états de corps aimantés par quelque instinct de survie.
Après des études de psychologie, Wim Vandekeybus s'est formé à la photographie (il fut par ailleurs l'un des modèles de Robert Mapplethorpe) avant de faire ses débuts sur scène dans le légendaire et iconoclaste Pouvoir des folies théâtrales de Jan Fabre. Dès son premier spectacle, What the body doesn't remember (voir la vidéo), en 1987, il a conquis les scènes internationales et a même obtenu un prestigieux Bessie Award à New-York, en 1988. Faisant retour l'année suivante dans la capitale artistique des Etats-Unis avec Les Porteuses des mauvaises nouvelles, il est salué en des termes élogieux par l'incontournable critique de danse du New-York Times, Anna Kisselgoff, qui parle d'un « minimalisme avec un maximum d'énergie » [4]. A 26 ans, la trajectoire fulgurante de Wim Vandekeybus est désormais bien lancée. Elle ne s'arrêtera pas en si bon chemin...
[1] Claire Diez, « Du cœur qui bat et de l'envers des yeux », La Libre Belgique, 24 novembre 1993.
[2] Cité par Pascale Bréniel, « Porteur d'une énergie nouvelle », La Presse, Montréal, 6 octobre 1991.
[3] Wim Vandekeybus, propos extraits d'un document édité par la compagnie Ultima Vez lors de la création de Mountains made of barking, 1994.
[4] Anna Kisselgoff, « Maximum-Energy Minimalism », The New-York Times, 28 octobre 1989.