Wim Vandekeybus, la danse aux limites du possible
Notice
Dès son premier spectacle, What the body doesn't remember, en 1987, Wim Vandekeybus impose une marque de fabrique, celle d'une danse survoltée, qui flirte avec le danger, dans une confrontation brutale de la danse et de la musique.
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Éclairage
En janvier 1987, la revue belge Alternatives théâtrales titre en couverture : « L'énergie aux limites du possible » [1]. Avec Jan Fabre et Anne Teresa De Keersmaeker, notamment, est alors en train d'émerger cette « nouvelle vague flamande » qui commence à submerger les scènes européennes. A travers onze spectacles vus en Belgique dans le courant de l'année 1986, la rédaction d'Alternatives théâtrales discerne « une dynamique particulière qui oscille entre la conscience d'une difficulté à vivre son corps et la tentative désespérée d'en chercher la maîtrise ». S'il est un artiste qui va tout particulièrement incarner cette « énergie aux limites du possible » et la dépense physique qu'elle requiert des acteurs-danseurs, c'est bien Wim Vandekeybus. Photographe de formation, après des études de psychologie, il a travaillé deux ans aux côtés de Jan Fabre (il joue notamment dans l'époustouflant Pouvoir des folies théâtrales) avant de créer sa propre compagnie, Ultima Vez. En 1987, son premier spectacle créé avec dix danseurs, What the body doesn't remember, « pulsé » par des musiques de Thierry De Mey et Peter Vermeersch, emporte d'emblée l'adhésion. En France, le spectacle est présenté peu après au festival Octobre en Normandie à Rouen, qui fut sous l'impulsion de son directeur, Laurent Langlois, un « passeur » de cette nouvelle génération d'artistes flamands. Et dès l'année suivante à New-York, What the body doesn't remember se voyait décerner un prestigieux Bessie Award pour « la confrontation brutale de la danse et de la musique, dans un paysage dangereux et combatif ».
Indifférent à une « technique » de danse qu'il ne possède pas, Vandekeybus cherche un mouvement de l'instinct, de l'urgence, de la tension accumulée puis déchargée. « Ce théâtre est d'abord physique, sans les stéréotypes qui moralisent les gestes, les embellissent bêtement. Dramaturgie sortie du corps, animalement douce et violente comme tout ce que nous savons de l'homme dans son désarroi, sa fraîcheur, sa duplicité », écrira Jo Dekmine, le très libertaire et dénicheur directeur du Théâtre 140 à Bruxelles. De fait, avec Vandekeybus, la danse est catapultée dans un territoire où elle peut se dépenser sans compter. Elle se met en danger dans un régime de survie, ose s'engager dans une instabilité où vestes et serviettes changent de mains (rien n'appartient durablement à personne), où des briques de plâtre volent dangereusement au-dessus des têtes.
Pour la création de What the body doesn't remember, Wim Vandekeybus confiait qu'une lecture déterminante avait été pour lui Les Stratégies fatales de Jean Baudrillard, ou encore qu'une séquence de la chorégraphie était directement inspirée du film Pickpocket de Robert Bresson. Mais au-delà de ces sources, vite oubliée dans « la logique interne du devenir scénique » [2], le spectacle de ces corps qui ne se souviennent pas réveille paradoxalement la mémoire d'une intelligence aussi humble que vitale.
[1] Voir l'article en ligne sur Alternatives théâtrales.
[2] La formule est du dramaturge polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz.