Butô, au fil du regard
Notice
Ushio Amagatsu, chorégraphe de Sankai Juku, au travail avec deux de ses danseurs. Loin des techniques occidentales de danse, la face devient ici un masque à métamorphoses.
Éclairage
Un document rare, au meilleur de ce que peut offrir la télévision. Sans une once de commentaire, un pur moment d'intensité visuelle, qui introduit de surcroît le spectateur dans l'antre secret du chorégraphe, là où se façonne l'essence du geste. A l'écran, sous la douce dictée d'Ushio Amagatsu, deux danseurs de la compagnie Sankai Juku. Deux danseurs, deux visages. La danse est affaire de fils tendus dans l'espace. Ici, le fil tire le regard vers le bas, jusqu'à le faire tomber sur le sol, rebondir et remonter, puis gagner le ciel, yeux révulsés. D'autres fils traversent le visage, la mâchoire, la bouche, créent un sourire-rictus qui fait de la face un masque à métamorphoses. A ce travail du visage, Tatsumi Hijikata, fondateur du Butô, la danse des ténèbres, donnait le nom de « hitogata », qui désigne habituellement au Japon de petites figurines en papier que l'on plie pour conjurer les dieux et éloigner les soucis.
On est là au cœur du travail d'Ushio Amagatsu, pour qui la vie et la mort sont contenues dans une même forme symbolique, l'ovale d'un œuf. Tout cela est exprimé dans cette très belle définition qu'Amagatsu donna un jour du Butô : « Le Butô appartient à la vie et à la mort. C'est l'affirmation de la distance entre un être humain et l'inconnu. Il représente aussi l'effort de l'homme pour franchir cette distance entre lui-même et le monde matériel. Le corps du danseur de Butô est comme une coupe sur le point de déborder, qui ne pourrait contenir une goutte de plus. Ce corps atteint un état d'équilibre parfait ».
Dans cinquante ou trois cents ans, lorsque le Butô, en tant que forme artistique, aura disparu, les historiens de l'art pourront certes consulter toutes sortes de publications numérisées, et des captations de spectacles. Mais mieux que de long discours savants, ces 112 secondes filmées en 1982, arrachées à l'oubli, permettront de largement comprendre quelles furent les arcanes du Butô.