Kazuo Ohno, maître de Butô
Notice
En novembre 1990, le vieux danseur de Butô, alors âgé de 84 ans, est invité à Paris pour le festival Iles de Danses. Une nouvelle fois, il danse son éternel Hommage à la Argentina, et donne à l'occasion de son séjour parisien un stage de quelques jours.
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Éclairage
Aux élèves et visiteurs qui cheminaient jusqu'à son studio de Yokohama, en périphérie de Tokyo, Kazuo Ohno réservait invariablement le même accueil. Avec un zeste de cabotinage, il commençait par montrer sa garde-robe de costumes de scène, dont bien évidemment ceux de cet Hommage à la Argentina qui lui a valu une consécration mondiale. Au tout début des années 1980, Catherine Diverrès et Bernardo Montet n'échappèrent pas à ce rituel de bienvenue. A une époque où leurs contemporains n'avaient en tête que New York et le studio de Merce Cunningham, c'est à Tokyo que les deux jeunes danseurs-chorégraphes, issus de la compagnie de Dominique Bagouet, firent leur voyage initiatique, pour y recevoir l'enseignement de Kazuo Ohno. Séjour à l'issue duquel ils devaient créer un mémorable duo, Instances, avec lequel ils remportèrent le premier prix du Concours de chorégraphie de Bagnolet, en 1984. « C'était quelque chose que l'on avait jamais vu en Europe : une extrême violence et, tout à la fois, une extrême rapidité et une extrême lenteur », s'enthousiasme la critique. Kazuo Ohno n'y était pas pour rien. Après qu'il leur eut montré ses costumes, le maître de Butô avait demandé à Catherine Diverrès et Bernardo Montet d'improviser une petite séquence de danse. Interprète vigoureux et véloce, Bernardo Montet avait fait étalage de toute son énergie. « Ohno m'a regardé », raconte-t-il, « et ensuite, il m'a dit : très bien, mais pourrais-tu refaire cette même danse, mais sans bouger... »
Le Butô trouve ainsi ses marques dans la raréfaction du mouvement ; son infusion, pourrait-on dire. Invité à Paris en novembre 1990 dans le cadre du festival Iles de Danse (financé par la Région Ile-de-France à travers son agence Ile-de-France Opéra et Ballet), Kazuo Ohno - alors âgé de 84 ans - présente à nouveau son Hommage à la Argentina, qui l'a fait connaître dix ans plus tôt au festival mondial de théâtre de Nancy. Dans l'unique interview donnée par Kazuo Ohno à une télévision française (pour l'émission Ramdam, magazine culturel de France 3), il explique en quelques mots sa philosophie de la danse, et confie : « Sur scène, je n'ai jamais senti que j'étais seul », reprenant ainsi, d'une certaine manière, les mots de Mary Wigman évoquant « les partenaires invisibles qui peuplent l'espace » [1].
Ce même automne 1990, Kazuo Ohno est invité à donner un stage de quelques jours, au théâtre du Lierre, dans le 13e arrondissement de Paris (théâtre aujourd'hui démoli). Avec une extrême humilité, le vieux danseur s'excuse de « ne pas avoir grand-chose à donner aux élèves ». L'art du Butô ne repose certes pas sur une technique codifiée, mais l'esprit qui l'anime se transmet. Dans son studio de Yokohama, depuis 1961, Kazuo Ohno n'a cessé de former des élèves danseurs, parfois venus de fort loin. Ses voisins n'étaient pas surpris de voir de jeunes étrangers arpenter le sentier menant jusqu'au domicile du maître. La plupart, à dire vrai, ignoraient tout de la réputation mondiale que lui avait apporté Hommage à la Argentina. Dans son quartier, Kazuo Ohno était surtout connu pour, chaque fin d'année, se déguiser en Père Noël et aller dans les écoles maternelles de Yokohama offrir « la danse du Père Noël ». Depuis la mort de son fondateur, en juin 2010, à 103 ans, le Kazuo Ohno Dance Studio n'a pas cessé ses activités. Son propre fils, Yoshito Ohno, a repris le flambeau. Jusqu'à endosser à son tour, pour les enfants de Yokohama, les habits du Père Noël...
[1] Mary Wigman, Le Langage de la danse, éditions Papiers, Paris, 1986.