Kazuo Ohno dans les pas de la Argentina

05 octobre 1980
01m 08s
Réf. 00764

Notice

Résumé :

Festival de Nancy, 1980 : avec Kazuo Ohno, alors âgé de 74 ans, et son Hommage à la Argentina, la critique théâtrale et le public découvrent le Butô, cette danse d'avant-garde inventée au Japon à la toute fin des années 50. Devenu légendaire, ce solo fera ensuite le tour du monde.

Date de diffusion :
05 octobre 1980
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Artistes et personnalités :

Éclairage

Bob Wilson et son Regard du sourd, le Café Müller de Pina Bausch, La Classe morte de Tadeusz Kantor... L'histoire du festival mondial de théâtre de Nancy, créé par Jack Lang en 1963, n'a pas été avare en révélations majeures. Mais lorsque, débarquant pour la première fois en Europe de son Japon natal, Kazuo Ohno présente en 1980 le solo Argentina Sho (traduit en français par Hommage à la Argentina), la critique et les spectateurs de l'époque sont sous le choc. Devenu aujourd'hui légendaire, immortalisé par le cinéaste Daniel Schmid en 1995, cet Hommage à la Argentina fait connaître dans le monde entier Kazuo Ohno, et avec lui le Butô, danse d'avant-garde née au Japon à la toute fin des années 50 dans le sillage radical de Tatsumi Hijikata.

Certes, en France, quelques spectacles ont commencé à répandre l'odeur de soufre qui émane de la « danse des ténèbres ». A Paris, en 1978, Carlotta Ikeda et Ko Murobushi ont fait sensation au Nouveau Carré Silvia Monfort avec Le Dernier Eden. Michel Guy, directeur du festival d'Automne de Paris, invite en 1979 Tatsumi Hijikata, qui se contente de mandater deux de ses danseuses, Yōko Ashikawa et Saga Kobayashi, avec ce message laconique : « J'envoie les ténèbres japonaises sur l'été européen ». Min Tanaka fait également partie de la manifestation MA Espace Japon, qui mêle calligraphie, chants bouddhiques, musique contemporaine, théâtre et danse. L'événement passe relativement inaperçu de la critique théâtrale qui assiste au festival de Nancy et découvre donc, en 1980, Kazuo Ohno.

A 74 ans, celui-ci est encore un jeune danseur, eu égard à son exceptionnelle longévité (il est décédé à Tokyo en 2010, à 103 ans, et se produisit encore à New York en 1999). Le reportage réalisé lors du festival de Nancy le présente comme « fondateur de la modern'dance japonaise », ce qui n'est pas tout à fait exact. Né dans la région d'Hokkaidō en 1906, Kazuo Ohno découvre la danse tardivement. Champion d'athlétisme, il se destine au professorat d'éducation physique, mais affecté dans un collège de filles, il décide d'enseigner la danse et prend alors ses premiers cours à Tokyo avec deux danseurs modernes, Baku Ishii et Takaya Eguchi, qui a été en Allemagne l'élève de Mary Wigman, pionnière de la danse d'expression. En 1938, à 32 ans, Kazuo Ohno est mobilisé dans l'armée japonaise, et envoyé sur le front, neuf longues années, en Chine et en Nouvelle Guinée, où il est fait prisonnier de guerre. Dès son retour, il compose un premier récital de danse qu'il présente à Tokyo en 1949.

A partir de la fin des années 50, la rencontre avec Tatsumi Hijikata va offrir une seconde jeunesse à Kazuo Ohno : il interprète notamment le personnage de Divine dans une pièce inspirée par la lecture de Notre Dame des Fleurs, de Jean Genet. Au milieu des années 60, Kazuo Ohno abandonne la scène..., jusqu'à ce jour de 1979 où, visitant une exposition de son ami Natsuyuki Nakanishi, il se fige devant un tableau et reconnaît derrière les aplats de couleurs et les lignes abstraites la figure de la Argentina (de son véritable nom Antonia Mercé), célèbre danseuse de flamenco du début du XXe siècle, surnommée « La Reine des Castagnettes ». Par le plus grand des hasards, Kazuo Ohno l'avait vue danser, alors qu'il avait tout juste 20 ans, sur la scène du Théâtre Impérial de Tokyo. La flamme de ce souvenir ainsi ravivée, Ohno reprend le chemin de la scène à 73 ans...

En 1980, lorsque Kazuo Ohno surprend le festival de Nancy, tous ces éléments biographiques et historiques restent méconnus. Rien ne permet alors de cerner les contours du Butô. Et l'extrait filmé par la télévision reflète finalement assez peu le spectacle de Kazuo Ohno. Jusque dans le costume, le fragment choisi s'inscrit dans une certaine continuité avec des figures connues de la danse d'expression allemande (Mary Wigman, Harald Kreutzberg). En 1980, la télévision publique peut-elle rendre compte de la « révolte de la chair » qu'incarne la danse Butô ?

Jean-Marc Adolphe

Transcription

Journaliste
Kazuo Ohno lui est fondateur de la moderne danse japonaise, avec son corps de 74 ans, corps fleur ou corps oiseau et transcrit un amour qui ne l’a jamais quitté, celui d’une Argentine.
(Musique)