Carlotta Ikeda : L'effroi et la grâce

18 juillet 2002
02m 22s
Réf. 00762

Notice

Résumé :

Au Festival de Marseille, en juillet 2002, Carlotta Ikeda crée Togué, où elle prend une certaine distance ironique vis-à-vis de quelques archétypes du Butô, tout en conservant certains fondamentaux, tel le maquillage blanc, effacement de la peau pour ouvrir le corps aux métamorphoses.

Date de diffusion :
18 juillet 2002
Source :
FR3 (Collection: Soir 3 journal )
Compagnie :
Artistes et personnalités :

Éclairage

« On ne sort pas indemne d'un spectacle où l'effroi le dispute à la grâce » : la preuve par l'image.

Dans son apparente étrangeté, le Butô est photogénique : visages grimaçants, postures grotesques, corps blanchis peuvent aisément constituer une collection de difformités exotiques et inquiétantes. Ce sont, d'une certaine manière, des clichés rassurants, si l'on considère, avec la journaliste de France 3 Provence-Côte d'Azur qui présente un spectacle de Carlotta Ikeda au Festival de Marseille en 2002, que le Butô, « danse des ténèbres », a été créé au Japon à la toute fin des années 50 « pour exorciser le cauchemar d'Hiroshima » (ce que répète à foison toute une vulgate insuffisamment informée) et qu'il s'agit d'« exprimer l'inexprimable » et de manifester « l'instinct de survie dans le pire des chaos ».

Rien de tel, pourtant, dans le propos de Carlotta Ikeda qui sous-tend le spectacle Togué (« Epine », en japonais), qu'elle a créé avec cinq danseuses et le groupe de rock techno Spina, en juillet 2002 dans la cour de la Vieille Charité, à Marseille. A 61 ans, la chorégraphe prend même une certaine distance ironique avec les origines du Butô. Poupées, ballerines, sauvageonnes, les femmes évoluent comme les fantômes d'elles-mêmes quand elles ne deviennent pas de dangereux blousons noirs déguisés en bouteilles d'Orangina.

Mais tous les attributs du Butô ne sont pas abandonnés pour autant. Le reportage de France 3 s'attarde longuement sur le maquillage blanc des danseuses : seconde peau, ou plutôt effacement de la peau pour en faire un parchemin des métamorphoses. Lisière, porosité : le maquillage blanc des corps du Butô dessine cette surface neutre, qui abstrait le corps réel, dé-personnalise ses affects, et en fait la page blanche où vie et mort, présence et absence, échangent leurs densités. « La transformation idéale serait de devenir ce qui n'existe pas, et pour devenir rien il faut se transformer en toutes choses », disait Ko Murobushi, alter ego en chorégraphie de Carlotta Ikeda. Tout l'art de Carlotta Ikeda a toujours tenu dans cet intense recueillement où l'invisible du monde prend forme et éclot dans le mystère d'un corps. Dans un entretien en 1987, Carlotta Ikeda confiait : « Quand je danse, il y a deux « moi » qui cohabitent : l'un qui ne se contrôle plus, en état de transe, et l'autre qui regarde avec lucidité le premier. Parfois ces deux « moi » coïncident et engendrent une sorte de folie blanche, proche de l'extase. C'est cet état que doit chercher le danseur de Butô. Je danse pour ce moment privilégié » [1]. Ariadone, nom de la compagnie qu'a créée Carlotta Ikeda en 1974, désigne ce fil d'Ariane que suit Carlotta Ikeda d'un spectacle à l'autre.

[1] Entretien publié dans Le Monde de la Musique, février 1987.

Jean-Marc Adolphe

Transcription

Journaliste
Une danse, qui serait à la fois violence et silence, guerre et paix, anéantissement et renaissance, horreur et beauté. Cette danse c’est le buto, autrement dit la danse des ténèbres. Inventée par des chorégraphes japonais à la fin des années 50, comme pour exorciser le cauchemar d’Hiroshima. Pour le danser les interprètes se peignent le corps en blanc.
Comédienne 1
On met une demi-heure à peut près pour le mettre donc, c’est une forme de chemin initiatique, hein ! On rentre petit à petit dans le truc et puis après on se sent, on se sent couvert d’une nouvelle peau, c’est aussi une manière de nous rendre complètement uniforme toutes donc, on essaye un petit peu de sortir de sa personnalité pour vraiment être au service de l’art quoi. De cette danse là.
(Musique)
Journaliste
Ce soir à Marseille, c’est la troupe de Carlotta Ikeda qui se produit, sur scène des interprètes féminines exclusivement. Silhouettes fantômatiques, rictus grimaçants, postures tordues, elles expriment l’inexprimable. C’est-à-dire l’instinct de survie dans le pire des Chaos.
Carlotta Ikeda
Le public qui regarde qui touche, ça veut dire, c’est de… quelques émotions, on partage, quelque part. Et c’est pour ça que souvent quand je danse le public il ne peut pas expliquer des émotions mais il touche quelque chose.
Journaliste
Pour cette chorégraphie, le choc émotionnel est d’autant plus violent qu’elle a été créée sur une musique métal rock. Pour les interprètes c’est encore plus troublant.
Comédienne 2
Recherche d’intériorité mais aussi de…. Oui vraiment de qu’est-ce qu’on danse, pourquoi on danse, qu’est-ce que cette danse ?
Journaliste
Les spectateurs restent bouche bée, on ne sort pas indemne d’un spectacle où l'effroi le dispute à la grâce.
(Musique)