Sankai Juku, aux origines
Notice
Présenté pour la première fois à Paris au Forum des Halles, en 1980, Kinkan Shonen est le spectacle qui va lancer la réputation internationale de la compagnie Sankai Juku. Son chorégraphe, Ushio Amagatsu, y met en tableaux le rêve d'un enfant sur les origines de la vie.
- Asie > Japon
- Europe > France > Ile-de-France > Paris > Forum des Halles
Éclairage
Nécessairement concis, voire succinct, le commentaire télévisé (surtout lorsqu'il s'agit d'une démarche artistique complexe) peut avoir quelque chose de réducteur aux yeux du critique, spécialiste de tel ou tel domaine de création. Plus de vingt après ce reportage sur la compagnie japonaise Sankai Juku au Forum des Halles à Paris, on reste quelque peu interloqué face à la présentation qui en est faite, évoquant « un prodigieux rituel archaïque, érotique et guerrier, inspiré des arts martiaux » ! Seule explication plausible : en 1980, l'information manque encore sur le Butô, cette danse d'avant-garde inventée au Japon par Tatsumi Hijikata à partir de la toute fin des années 50. Les premiers spectacles de Butô à avoir été présentés à Paris l'ont été en 1978 (Dernier Eden, de Carlotta Ikeda et Ko Murobushi, au Nouveau Carré Silvia Monfort) et en 1979 (Yōko Ashikawa, Saga Kobayashi et Min Tanaka au Festival d'Automne à Paris). Cette même année 1980, Kazuo Ohno fait sensation au festival de Nancy avec son Hommage à la Argentina (voir ce document), mais on parle encore de « modern'dance japonaise ».
Oublions donc le commentaire ; les images parlent d'elles-mêmes. L'esthétique grotesque et inquiétante de certains spectacles de Butô n'est pas étrangère à la fascination que va susciter sa réception en France : Jean Baudrillard parlera plus tard d'un « théâtre de la convulsion, de la répulsion » [1] que notre imaginaire occidental accolera un peu vite à l'horreur d'Hiroshima et de Nagasaki. Les images fortes, troublantes, du groupe Sankai Juku, n'auront pas été pour rien dans cette confusion.
Sankai Juku (que l'on peut traduire par : « Atelier de la montagne et de la mer ») a été fondé en 1975 par Ushio Amagatsu (né en 1949), qui avait précédemment participé à l'aventure de la compagnie Dairakudakan. La troupe d'Amagatsu, exclusivement masculine, appartient à ce qu'il est convenu d'appeler la « seconde génération du Butô », quinze ans après les premières performances de Tatsumi Hijikata. Et c'est d'abord en Europe, puis aux Etats-Unis, que Sankai Juku a connu la consécration, alors que le fondateur du Butô n'avait jamais souhaité « faire carrière » hors du Japon. Dans sa dernière intervention publique, en 1985 à Tokyo, peu avant sa mort, Hijikata avait même déclaré, lapidaire : « Contre ceux qui nous accusent par une nouvelle forme de Butô, je me contente de tirer la langue sous la pluie » ! Il est vrai que les spectacles de Sankai Juku se sont progressivement éloignés du soufre provocateur qui caractérisait à ses débuts la « danse des ténèbres ». L'aspect très spectaculaire des chorégraphies d'Amagatsu aura en tout cas permis à Sankai Juku d'accéder aux plus grandes scènes internationales, à commencer par le Théâtre de la Ville, à Paris, dès 1982.
Filmé en 1980 au Forum des Halles, à Paris, Kinkan Shonen (Graine de kumquat), créé en 1978 à Tokyo, est l'un des tout premiers spectacles de Sankai Juku. Ushio Amagatsu a passé son enfance au bord de la mer. Ce spectacle évoquait pour lui « le rêve d'un jeune garçon sur les origines de la vie, de la mort. Cet enfant, droit debout au bord de la plage, laisse son regard plonger dans l'océan pour y fusionner avec les poissons, stade primitif de l'humanité. » Se découpant sur un fond de scène composé d'un véritable tableau réalisé avec des poissons séchés, les danseurs, crânes rasés, visages et corps poudrés et blanchis, se meuvent avec la lenteur qui caractérise le Butô. C'est dans ce spectacle que figure l'une des scènes d'anthologie de Sankai Juku, entre Amagatsu et un paon, qualifié de « vanité de la nature ».
[1] in Scènes n° 1, revue de l'Espace Kiron, Paris, mars 1985.