Création française de Die Soldaten de Bernd Aloïs Zimmermann à Lyon
Notice
Court reportage sur la création française de l'opéra de Zimmermann à l'Auditorium de Lyon, en février 1983, sous la direction de Serge Baudo, où entre deux scènes de répétitions avec la cantatrice Nancy Shade, le cinéaste Ken Russell s'explique en peu de mots sur sa capacité à mettre en scène une œuvre réputée impossible à monter.
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Éclairage
Le compositeur allemand Bernd Alois Zimmermann (1918 - 1970) est considéré comme le successeur direct d'Alban Berg, et son œuvre la plus importante, Les Soldats, comme l'un des jalons de l'histoire de l'opéra au XXe siècle.
Refusant les classifications, gardant une farouche indépendance par rapport aux écoles et à leurs diktats, Zimmermann construit une œuvre très forte et personnelle en une vingtaine d'années. Il passe du néoclassicisme au sériel, du pluralisme au statisme, travaille de plus en plus à la superposition des styles différents, et donne la primauté à l'expressivité, comme en témoignent Les Soldats, Musique pour les soupers du roi Ubu, et le Requiem pour un jeune poète, qui sont ses œuvres majeures avant son suicide en 1970.
Die Soldaten, son unique opéra, en quatre actes et quinze tableaux, conçu d'après la pièce de Jakob Lenz du même titre, est exemplaire de ce pluralisme musical et structurel. Écrit et réécrit entre 1958 à 1964, réputé impossible à monter, et finalement créé à Cologne en 1965 sous la direction de Michael Gielen, il est considéré comme l'ouvrage le plus puissant conçu depuis Wozzeck, et surtout comme l'un des rares exemples réussis de la lyrique sérielle. Zimmermann, compositeur écorché vif, y raconte la déchéance de Marie, petite oie de la bourgeoisie lilloise du XVIIIe siècle, tentée par les mirages de la noblesse, mais détruite par le milieu militaire, et finissant comme putain à soldats. Mais il y montre surtout des situations dramatiques atemporelles, avec « des hommes ... conditionnés moins par le destin que par la constellation fatale des caractères et des circonstances » offrant ainsi une critique féroce de la société, qui triomphe dans les bruits de bottes et de guerre implacables du final. Une structure théâtrale complexe, qui va jusqu'à juxtaposer douze scènes en parallèle, permet l'abrogation du temps et de l'espace, mais rend l'œuvre extrêmement difficile à porter à la scène. Le style est fusionnel à l'extrême, mêlant dans une orchestration virtuose citations classicisantes (du Grégorien à Bach) et rigueur sérielle dans une œuvre « totale » qui fait appel au film comme à la pantomime, et exige un chant tendu jusqu'au cri et toutes les nuances de la voix parlée ou chantée.
Malgré l'impact de la création, l'œuvre, difficile à intégrer au répertoire des maisons d'opéra traditionnelles, est rarement donnée. En 1983, elle vient de faire son apparition à Bruxelles, et presqu'au même moment, Louis Erlo en propose la création française à l'Opéra de Lyon. Création qui a lieu à l'Auditorium, salle dont le plateau immense permet de monter l'œuvre dans sa multiplicité spatiale. Et c'est au cinéaste Ken Russell, qui a défrayé la chronique avec ses portraits filmés au vitriol de Tchaïkovski, Mahler et Liszt, et qui vient de réaliser à Florence pour Massimo Bogianckino un Rake's Progress de Stravinski passionnant, qu'est confiée la mise en scène, proposée ici comme critique évidente de l'impérialisme américain.