Tristan et Isolde à l'Opéra-Bastille par Peter Sellars et Bill Viola
Notice
Des images de la nouvelle production de Tristan et Isolde mise en scène par Peter Sellars dans les vidéos de Bill Viola confirment l'irruption définitive de cette technologie nouvelle sur la scène de l'opéra, ce que commentent les deux artisans du spectacle et Waltraud Meier, l'interprète d'Isolde.
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Éclairage
En supprimant en 1951 le décor construit pour le remplacer par une simple ambiance lumineuse, Wieland Wagner change toute l'esthétique de représentation de l'opéra. Cette utilisation d'une technologie unique et impalpable, la lumière, qui devient décor et plus encore état d'esprit, est en fait bien une révolution, qu'on soit revenu ou non à des volumes construits sur scène depuis. Une autre révolution technologique s'est peu à peu mise en place depuis les années quatre-vingt, avec la projection, de décors réalistes, de films, oniriques ou réalistes, ou de jeux de laser, qui permet de construire des espaces virtuels... Au début du XXIe siècle, c'est la vidéo qui s'installe à son tour dans l'environnement spatial de l'opéra. Non plus film projeté, mais bien apparition d'un nouveau moyen d'expression, devenu presque une fin en soi dans La damnation de Faust de Robert Lepage, ou plus encore les magnifiques Paladins signés José Montalvo et Dominique Hervieu, tant l'intégration du spectacle vivant y est assurée avec maestria dans le spectacle projeté.
On peut bientôt distinguer cette intégration de la juxtaposition de la vidéo et de l'action théâtrale, telle que la pratiquent Peter Sellars et Bill Viola dans leur Tristan et Isolde de l'Opéra-Bastille, en 2005. La vidéo y devient une strate entière et primordiale du spectacle, noyant et anéantissant presque le jeu des « vrais » acteurs du drame, jouant avec eux en costumes noirs dans une boîte noire sans décor aucun, avec pour tout accessoire un parallélépipède bas - banc, lit, pierre tombale - tout aussi noir. Un Tristan assurément pas sans image pourtant, le fond de la boîte étant un vaste écran recevant en continuité ces projections mouvantes et sophistiquées qui ont fait la renommée du vidéaste américain.
Avec le risque que la vidéo prenne le pas sur le théâtre même ?
Ce Tristan, par la puissance d'expression de ses interprètes, interpellés comme jamais dans la nécessité d'être, répond clairement : à l'Opéra, ce qui prime, c'est la magie du chant, comme c'est le cas pour ce spectacle porté à l'incandescence par la vivacité, la flamboyance de Waltraud Meier, Isolde simplement idéale de beauté, et d'une persuasion vocale insolente, et par le marbre de Ben Heppner s'animant de désespérance pour un troisième acte totalement vécu. Défonce torrentielle des solistes, portée par un orchestre transcendant, sous la direction d'Esa Pekka Salonen, telle est la réponse du théâtre "vivant" au défi de la vidéo omniprésente. Synthèse nouvelle, comme un pas de plus dans la modernité permanente de l'opéra, un enjeu qui n'est pas étranger à la politique artistique de Gérard Mortier, pour qui l'opéra ne peut se réduire à un simple divertissement, et se doit d'être au contraire "une prise de conscience, par le biais de l'émotion, qui doit amener à la réflexion sur notre époque".