La dernière course de Gérard Lelièvre

Ce court sujet de moins de 2 minutes 30, diffusé au journal télévisé de France Régions 3 (FR3) au début de l’automne 1984, présente le championnat de France de marche athlétique qui s’est déroulé à Laval. Il alterne des plans de la course, de l’arrivée et une interview du champion. Il permet de découvrir une discipline méconnue : la marche athlétique, à l’occasion d’une épreuve organisée en ville à Laval et au cours de laquelle l’enfant du pays Gérard Lelièvre a été sacré.

Une démarche chaloupée et une curieuse façon de poser les pieds : la marche athlétique est une discipline à part, et cela se voit ! Elle se distingue en effet des épreuves de course en ce que les sportifs doivent marcher sans jamais courir, c'est-à-dire qu’ils doivent garder en permanence au moins un pied en contact avec le sol. Elle se subdivise elle-même en deux catégories : la marche athlétique de vitesse, discipline olympique, pour des distances de 20 à 50 km, dans laquelle il est interdit de plier le genou de la jambe posée au sol (elle doit donc rester tendue) et la marche athlétique de fond, entre 100 et 200 km, qui nécessite une remarquable endurance. Au-delà, on parle alors d’ultrafond, tels les Paris-Strasbourg ou Paris-Colmar qui avoisinent les 500 km de distance. La glorieuse incertitude du sport, formulée par Albert Camus au sujet du football – un sport particulièrement populaire en Mayenne (voir Présentation de l'équipe du Stade Lavallois et Ambiance avant Laval-Kiev) – s’applique tout aussi bien à la marche athlétique car, sur une si longue distance, il est difficile de préjuger de l’état de forme à l’issue de l’épreuve. C’est donc souvent à mi-parcours que la situation se précise et que les plus résistants se démarquent.

Le 7 octobre 1984, le championnat de France du 100 km marche est organisé à Laval. Un parcours de 5 km est dessiné en centre-ville, que les athlètes devront donc effectuer 20 fois consécutives. On reconnaît dans le reportage les quais sur la rive gauche de la Mayenne, depuis laquelle on aperçoit, en arrière-plan de l’autre côté de la rivière, le vieux château et le château neuf, puis le quartier d’Avesnières avec la traversée du pont éponyme. La foule et les médias sont massés le long du parcours. Le premier marcheur à franchir la ligne d’arrivée à l’issue du 20e tour de circuit affiche un temps de 8 h, 58 minutes et 12 secondes, soit plus de 11 km/h de moyenne (soit plus de 3 m par seconde !). Cette meilleure performance mondiale n’est hélas pas homologuée comme record du monde parce que les records doivent être établis sur piste, et non sur route comme c’est le cas pour le tracé de cette épreuve.

Dossard n° 2 sur son maillot, le vainqueur de l’épreuve n’est pas un inconnu à Laval. En effet, Gérard Lelièvre est un enfant du pays, né en 1949 dans cette même ville qui le voit devenir champion de France. Ce petit gabarit – 1 m 66 seulement – à la musculature sèche a déjà un palmarès fourni, fort de multiples records de France. 1979 a été pour lui un millésime exceptionnel, année où il établit un record du monde sur 20 km. Malheureusement, les Jeux olympiques d’été lui réussissent moins, en raison d’une difficulté à supporter les grandes chaleurs. Cela explique sa contreperformance à Los Angeles deux mois seulement avant son sacre à Laval. Surtout, Gérard Lelièvre, alors âgé de 35 ans, sort d’une saison chargée dans laquelle il s’était fixé d’autres objectifs. Plus encore, il avait prévu de mettre un terme à sa carrière sportive. La fédération d’athlétisme l’avait inscrit sur ses tablettes pour prendre les fonctions d’entraîneur de l’équipe de France de marche mais, à la date du reportage, cette nomination restait à confirmer en raison de changements opérés à la tête des instances dirigeantes.

Quoi qu’il en soit, après son exploit national dans sa ville natale, Gérard Lelièvre n’a pas totalement raccroché les crampons et a encore étoffé son palmarès de quelques victoires de prestige, notamment en catégorie vétérans. Son héritage a continué de vivre à travers une relève brillante : le Français Yohann Diniz détient les meilleurs temps mondiaux sur 20 et 50 km chez les hommes ; chez les femmes en revanche les athlètes russes et chinoises se partagent la domination mondiale sur la discipline. Plus récemment, un autre Mayennais fait sensation en marche athlétique : Gabriel Bordier, né à Laval lui aussi, en 1997, compte plusieurs titres de champion de France sur des distances de vitesse (5, 10 et 20 km). Membre de l’équipe de France et de la Team Mayenne pour les Jeux Olympiques de Paris en 2024, c’est un espoir de médaille pour sa délégation. Et pour la petite histoire, l’entraîneur de Gabriel Bordier n’est autre que… Gérard Lelièvre.

• Gérard Lelièvre, fiche d’athlète sur le site de la fédération internationale (IAAF) [https ://worldathletics.org/athletes/france/gerard-lelievre-14358068].
• Michel JOUNEAUX, « Le formidable exploit de Gérard Lelièvre », Ouest-France, pages « Sport », 8 octobre 1984, p. 12.
• Arnaud BODIN, « Gérard Lelièvre a marché trois fois aux Jeux », Ouest-France, 25 juillet 2012 [https ://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/gerard-lelievre-marche-trois-fois-aux-jeux-1580042].
• Arnaud BODIN, « Athlétisme. Gérard Lelièvre, un phare à Doha pour Bordier », Ouest-France, 2 octobre 2019, page « Sports ».
• « Athlétisme. Championnats de France Élite. Victoire et record personnel pour Bordier », Ouest-France, 31 juillet 2023 [https ://www.ouest-france.fr/sport/athletisme/athletisme-championnats-de-france-elite-victoire-et-record-personnel-pour-bordier-aa447f2c-2f7d-11ee-844f-9b2035f8fdcf].