La contrebande sur la Lys
25 février 1996
09m 30s
Réf. 00045
Notice
Résumé :
Dans son parcours le long de la Lys, Philippe Gougler rencontre Albert Cappoen, ancien contrebandier, qui passait clandestinement du tabac entre la Belgique et la France avec l'aide de chiens. Puis un ancien inspecteur des douanes, Jean Bourbon, explique dans quelles conditions s'effectuaient les passages et les surveillances de la frontière avec la chaise d'embuscade.
Date de diffusion :
25 février 1996
Source :
France 3
(Collection:
Dimanche au bord de l'eau
)
Personnalité(s) :
Thèmes :
Lieux :
Éclairage
Dans ce reportage au ton léger, Philippe Gougler interroge fraudeurs et douaniers pour montrer le pittoresque de cette activité, vrai sport ou jeu métropolitain jusqu'à la disparition des frontières dans la communauté européenne en 1993, suite aux accords de Schengen de 1985.
Le premier fraudeur qui passait du tabac est présenté à un ancien inspecteur des douanes. Les deux hommes se serrent la main chaleureusement ! Fraudeurs et douaniers ont en effet vécu de complicité, presqu'en amis. Les douaniers étaient compréhensifs car ils étaient issus des mêmes catégories sociales que ceux qui fraudaient, souvent ouvriers aux salaires de misère, chefs de familles nombreuses.
La fraude était l'affaire de tous car les villes bordant la frontière avaient tellement grossi à partir des années 1850 qu'elles étaient imbriquées les unes dans les autres… Or il existait une contribution indirecte pour entrer tout type de marchandise dans une commune, l'octroi, qui ne fut supprimé qu'en 1943. Pour échapper à cet impôt, les habitants des territoires très densément urbanisés comme ceux de Tourcoing, Roubaix, Wattrelos, Halluin… avaient pris l'habitude de s'équiper de jupons et gilets à grandes poches tout simplement pour faire leurs courses et rentrer chez eux sans avoir eu de taxe à acquitter. Le même principe était applicable, à plus grand bénéfice, sur la frontière !
L'iconographie est abondante et la carte postale a souvent mis en scène douaniers et prise de fraudeurs et de leurs chiens.
L'activité se déroulait en général à la tombée du jour, en passant la Lys, ou quelques ruisseaux qui font frontière, ou en courant de maison à maison entre France et Belgique. Les douaniers en équipe de deux faisaient la navette entre deux guérites de pierre, de brique ou de planche. Il fallait des centaines d'hommes pour garder cette longue frontière. Ils partaient du poste avec un lourd barda contenant leur chaise longue pliante d'embuscade, la peau de mouton pour se préserver du froid, un casse-croûte, le fusil, les filets qu'ils tendaient en travers des chemins pour prendre les chiens. Ils étaient accompagnés de bergers allemands au collier de fer hérissé de crocs. Les contrebandiers faisaient eux aussi travailler des chiens longuement entraînés et qui avaient une valeur considérable. Ces chiens, souvent de grands bouviers des Flandres, pouvaient courir avec des paquets de 18-20 kg ficelés sur le dos ou sous le ventre. La chanteuse Line Renaud, originaire de La Chapelle d'Armentières, raconte que son chien, lui-même fils de chien de fraudeur, avait une haine féroce de l'uniforme. Lorsque le douanier prenait un chien, il lui coupait la patte avant droite pour la prime.
On faisait passer ainsi la frontière à du tabac, de l'alcool, du beurre (le bon beurre flamand !), des céréales, mais aussi de la volaille et du bétail. La dernière personne interrogée parle de trafic de perruches, prisées à l'époque dans les maisons ouvrières.
Maxence van der Meersch a très bien décrit la vie de ces fraudeurs dans deux romans : La maison dans la dune et Invasion 14. La jeune ouvrière qu'il avait épousée avait été prise en 1921 en train de frauder et il est probable que sa sœur se soit amusée à la contrebande avec une cousine.
La romancière Marguerite Yourcenar évoque aussi dans Archives du Nord son chien fidèle tué par les douaniers en Flandres.
La disparition des frontières fut un choc pour les douanes qui ont dû se réorganiser. Une division subsiste à Halluin avec trois brigades pour la surveillance. Son rôle est de lutter contre les grandes fraudes douanières, trafics de tabac, d'alcool, d'armes, de contrefaçons et de stupéfiants. Elle travaille désormais en dynamique dans les flux routiers. Les observatoires physiques ont été supprimés en 2009 et 2010. La course à pied à travers la rivière de la Lys est désormais remplacée par celle de grosses cylindrées qui franchissent à toute allure la frontière. On est loin de la douane décrite dans le film Rien à déclarer. Et encore plus de celle des années 1950 où la douane dite "volante" allait à vélo et où les douaniers étaient en embuscade dans les champs...
Le premier fraudeur qui passait du tabac est présenté à un ancien inspecteur des douanes. Les deux hommes se serrent la main chaleureusement ! Fraudeurs et douaniers ont en effet vécu de complicité, presqu'en amis. Les douaniers étaient compréhensifs car ils étaient issus des mêmes catégories sociales que ceux qui fraudaient, souvent ouvriers aux salaires de misère, chefs de familles nombreuses.
La fraude était l'affaire de tous car les villes bordant la frontière avaient tellement grossi à partir des années 1850 qu'elles étaient imbriquées les unes dans les autres… Or il existait une contribution indirecte pour entrer tout type de marchandise dans une commune, l'octroi, qui ne fut supprimé qu'en 1943. Pour échapper à cet impôt, les habitants des territoires très densément urbanisés comme ceux de Tourcoing, Roubaix, Wattrelos, Halluin… avaient pris l'habitude de s'équiper de jupons et gilets à grandes poches tout simplement pour faire leurs courses et rentrer chez eux sans avoir eu de taxe à acquitter. Le même principe était applicable, à plus grand bénéfice, sur la frontière !
L'iconographie est abondante et la carte postale a souvent mis en scène douaniers et prise de fraudeurs et de leurs chiens.
L'activité se déroulait en général à la tombée du jour, en passant la Lys, ou quelques ruisseaux qui font frontière, ou en courant de maison à maison entre France et Belgique. Les douaniers en équipe de deux faisaient la navette entre deux guérites de pierre, de brique ou de planche. Il fallait des centaines d'hommes pour garder cette longue frontière. Ils partaient du poste avec un lourd barda contenant leur chaise longue pliante d'embuscade, la peau de mouton pour se préserver du froid, un casse-croûte, le fusil, les filets qu'ils tendaient en travers des chemins pour prendre les chiens. Ils étaient accompagnés de bergers allemands au collier de fer hérissé de crocs. Les contrebandiers faisaient eux aussi travailler des chiens longuement entraînés et qui avaient une valeur considérable. Ces chiens, souvent de grands bouviers des Flandres, pouvaient courir avec des paquets de 18-20 kg ficelés sur le dos ou sous le ventre. La chanteuse Line Renaud, originaire de La Chapelle d'Armentières, raconte que son chien, lui-même fils de chien de fraudeur, avait une haine féroce de l'uniforme. Lorsque le douanier prenait un chien, il lui coupait la patte avant droite pour la prime.
On faisait passer ainsi la frontière à du tabac, de l'alcool, du beurre (le bon beurre flamand !), des céréales, mais aussi de la volaille et du bétail. La dernière personne interrogée parle de trafic de perruches, prisées à l'époque dans les maisons ouvrières.
Maxence van der Meersch a très bien décrit la vie de ces fraudeurs dans deux romans : La maison dans la dune et Invasion 14. La jeune ouvrière qu'il avait épousée avait été prise en 1921 en train de frauder et il est probable que sa sœur se soit amusée à la contrebande avec une cousine.
La romancière Marguerite Yourcenar évoque aussi dans Archives du Nord son chien fidèle tué par les douaniers en Flandres.
La disparition des frontières fut un choc pour les douanes qui ont dû se réorganiser. Une division subsiste à Halluin avec trois brigades pour la surveillance. Son rôle est de lutter contre les grandes fraudes douanières, trafics de tabac, d'alcool, d'armes, de contrefaçons et de stupéfiants. Elle travaille désormais en dynamique dans les flux routiers. Les observatoires physiques ont été supprimés en 2009 et 2010. La course à pied à travers la rivière de la Lys est désormais remplacée par celle de grosses cylindrées qui franchissent à toute allure la frontière. On est loin de la douane décrite dans le film Rien à déclarer. Et encore plus de celle des années 1950 où la douane dite "volante" allait à vélo et où les douaniers étaient en embuscade dans les champs...
Catherine Dhérent