L'Union de la gauche
Présentation
Le congrès de Tours de 1920 marque la scission de la gauche française entre deux forces revendiquant la représentation du mouvement ouvrier : la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO et futur Parti socialiste) et la Section française de l’Internationale communiste (SFIC et futur Parti communiste). Depuis cette date, et tout au long du vingtième siècle, de nombreuses collaborations ont lieu entre ces forces politiques, ainsi que des tentatives de réunification. Ce processus d’unification connaît une accélération importante à partir du milieu des années 1960.
Ces clivages anciens s’inscrivent alors de plus dans le contexte très tendu de la Guerre froide et de la bipolarisation du monde. Le PCF était par ailleurs depuis la Libération le parti de gauche le plus important. Au sein de la gauche non communiste, très divisée, le projet d’union avec le PCF était ainsi très clivant.
François Mitterrand, plusieurs fois ministre sous la IVe République et chef de l’UDSR, fait partie des leaders de l’opposition à Charles de Gaulle et à la Constitution de la Ve République dès 1958. Aux législatives de l’automne 1958, il compte parmi les victimes du raz-de-marée gaulliste, et ce en dépit du report des voix communistes en sa faveur. Dans l’opposition, il cherche ainsi à revenir aux responsabilités, ce qui ne peut passer selon lui que par l’union des opposants à de Gaulle. Le Parti socialiste Autonome (PSA), fondé en 1958 par scission d’une minorité de la SFIO, refuse sa demande d’adhésion. Dans cette gauche éclatée en divers partis et clubs, François Mitterrand participe alors à plusieurs regroupements dont celui qui, en juin 1964, voit la formation de la Convention des institutions républicaines (CIR) où il se prononce pour une union de toute la gauche non-communiste et communiste.
François Mitterrand et l’union de la gauche, de la CIR au PS
La CIR, la FGDS, l’union des socialistes et de la gauche (1965-1971)
Pour l’élection présidentielle prévue en 1965, Gaston Defferre, figure historique de la SFIO, se présente un temps comme candidat. Le maire de Marseille, à la tête de la puissante fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, milite pour une alliance non avec le PCF mais avec les centristes du MRP (Mouvement républicain populaire), pour la formation d’une « Grande Fédération démocrate et socialiste ». Cependant, du fait d’hostilités multiples, tant de Guy Mollet que du MRP, Gaston Defferre est amené à retirer sa candidature fin juin 1965.
Au terme de tractations politiques complexes, et avec l’appui du PCF, c’est ainsi finalement François Mitterrand qui se présente comme candidat unique de l’ensemble de la gauche, communiste et non communiste. Cette candidature s’appuie sur une nouvelle formation politique : la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), associant la SFIO, la CIR, ainsi que le parti radical et divers clubs politiques.
Contre toute attente, le général de Gaulle n’obtient que 43,7% des voix au premier tour. Lors du second tour il affronte François Mitterrand, arrivé deuxième avec 32% des suffrages. Finalement, François Mitterrand perd avec 45,5% des voix mais s’impose comme une figure centrale de l’union de la gauche.
Parallèlement à la démarche de la FGDS qui décide par exemple de ne plus former qu’un groupe à l’assemblée, de ne présenter qu’un candidat aux législatives ou de contracter des accords de désistement avec le PCF ; le Parti socialiste Unifié (PSU) auquel adhère notamment Pierre Mendès-France cherche aussi à renouveler la gauche.
Pour les élections de 1967 des accords électoraux sont conclus entre la FGDS, le PCF et le PSU. Au terme des élections, les gaullistes ne conservent la majorité à l’Assemblée que d’un siège. La gauche est redevenue une force importante et François Mitterrand compte parmi les élus. Se posant en leader de l’opposition il poursuit sa démarche unitaire, cherchant à fondre les composantes de la FGDS en un seul parti.
Les événements de mai 1968 et la défaite de la gauche aux élections de juin sont un coup de frein à cette démarche. La FGDS disparaît. Pour l’élection présidentielle de juin 1969, la gauche ne présente pas de candidature unique. La SFIO, devenu en mai 1969 à Alfortville le Nouveau Parti socialiste, présente la candidature de Gaston Defferre, rejetée par la CIR et François Mitterrand. Le PCF, le PSU et les trotskystes présentent chacun leur candidat.
François Mitterrand et le socialisme, après l'échec de l'expérience de la FGDS
Le PS d’Epinay et la stratégie d’union (1971)
C’est à ce titre que le congrès réuni à Epinay-sur-Seine du 11 au 13 juin 1971 est réellement un moment clé dans l’histoire de la gauche française. Lors de ce congrès, l’ensemble de la gauche non communiste se rassemble dans la même formation : le « Parti socialiste ».
Ce PS fondé à Epinay, réunit et dissout de fait l’ancienne CIR et le « Nouveau Parti socialiste » qui avait succédé à la SFIO entre mai et juillet 1969. En dépit de divergences politiques persistantes sur certains aspects, ces formations s’unissent autour de la stratégie d’union de la gauche avec le PCF, portée par le nouveau Premier secrétaire socialiste, François Mitterrand.
Congrès d’Epinay
Dans le sillon de ce congrès, des discussions et négociations sont ouvertes par le nouveau Parti Socialiste avec le PCF, qui aboutissent le 27 juin 1972 à la signature par les deux formations d’un Programme commun de gouvernement. Cette signature est vécue elle aussi comme un moment historique par les signataires.
Signature d'un Programme commun de gouvernement par le PS et le PC
Le Programme commun de gouvernement : de la signature à la rupture
Le temps des progrès de l’union (1972-1974)
Autour du Programme commun, le PS de François Mitterrand, le PCF de Georges Marchais, rejoints par le Mouvement des Radicaux de gauche de Robert Fabre, connaissent des années de relative entente et de collaboration sur le plan électoral. Des divergences politiques fondamentales perdurent, mais elles sont modérées du fait de la démarche unitaire.
Ainsi, diverses manifestations attestent et donnent corps à l’union, à l’image du grand meeting qui est organisé en décembre 1972 au Parc des expositions à Paris.
Meeting de la gauche unie
Cette dynamique unitaire commence à porter ses fruits lors des législatives de 1973. En avril 1974 le décès du Président Pompidou au cours de son mandat provoque des élections présidentielles anticipées. Toujours unie, la gauche se présente à ces élections avec un candidat unique, François Mitterrand. Parvenu au second tour, il échoue de peu face à Valéry Giscard d’Estaing.
Meeting de la gauche en soutien à son candidat unique à l'élection présidentielle
Tensions et rupture au sein de la gauche (1974-1977)
A partir de l’automne 1974, des tensions apparaissent au sein de l’union, notamment parce que la dynamique unitaire bénéficie davantage au Parti socialiste qu’à son partenaire communiste. En 1976, cette progression de la gauche et en son sein, du PS, s’accentue au cours des élections cantonales. Ces dernières sont une large victoire pour la gauche. Mais le PCF, qui depuis les débuts de la Ve République était la force électorale la plus importante à gauche, vit mal cette évolution du rapport de force.
Déclaration après le premier tour des cantonales
Les polémiques entre le PS et le PCF s’accroissent. Lors des élections municipales de 1977, malgré des négociations locales parfois difficiles, la gauche se présente presque partout de nouveau unie. Ces élections sont pour elle une grande victoire. Le PS notamment remporte plusieurs villes importantes comme Brest, Montpellier, Nantes ou Rennes.
Réaction de François Mitterrand après les municipales
Face à une droite qui se déchire entre le camp du nouveau maire de Paris et ancien Premier ministre, Jacques Chirac, réuni au sein du RPR (Rassemblement pour la République), et celui du Président Giscard d’Estaing (Union pour la Démocratie française), la gauche semble aux portes de la victoire législative pour les élections de mars 1978.
Mais les tensions internes à l’union de la gauche finissent par conduire à son éclatement. Le PCF avait en effet demandé la réactualisation du Programme commun. Les négociations échouent et le 23 septembre l’union est rompue.
Déclaration de François Mitterrand sur la rupture de l'union de la gauche
Socialistes et communistes sous la présidence Mitterrand
La question de l’éventuelle présence communiste dans un gouvernement socialiste (1977-1981)
A partir de septembre 1977, PS et PCF ne sont ainsi plus alliés et ces partis se présentent seuls aux législatives de mars 1978. Malgré tout, la question d’un accord et d’une présence du PCF au gouvernement en cas de victoire socialiste ne cesse d’être posée.
François Mitterrand évoque les relations entre socialistes et communistes avant les législatives
A l’issue du premier tour, en raison de la division de la droite comme de la gauche, les suffrages se sont répartis entre les quatre principales forces politiques : l’UDF, le RPR, le PS allié aux radicaux et le PC. Surtout, la bipolarisation est forte et avec 48,6% des suffrages, si elle s’unit, la gauche est majoritaire. Au terme de négociations rendues difficiles par la violence de la campagne et des tensions consécutives à la rupture, un accord électoral est conclu entre le PS et le PCF le 13 mars 1978.
Accord électoral de la gauche pour le second tour des législatives de 1978
Mais cet accord est fragile et les reports de voix sont meilleurs à droite. Finalement, la gauche fait un score décevant et perd les législatives face à la majorité présidentielle. Cette défaite affaiblit le PS et fait émerger en interne une figure concurrente de François Mitterrand pour la direction du PS : Michel Rocard.
Le début du conflit Rocard-Mitterrand
Jusqu’en 1981, la question de l’alliance avec les communistes ne cesse de se poser puisqu’elle semble numériquement nécessaire à une arrivée de la gauche au pouvoir. PS et PCF continuent cependant de prendre des positions divergentes, par exemple sur les crises afghane et polonaise.
François Mitterrand à propos des communistes au gouvernement
Finalement, c’est pour le second tour que le PCF appelle à voter François Mitterrand. Les communistes participent ainsi le 10 mai 1981 à la victoire présidentielle de François Mitterrand.
Les communistes et les gouvernements socialistes (1981-1995)
En dépit de cet appel du PCF à voter François Mitterrand, aucun ministre communiste n’intègre en mai 1981 le premier gouvernement Mauroy. C’est à l’issue des législatives qu’un « accord politique de gouvernement » est conclu entre le PS et le PCF et que quatre ministres communistes entrent au gouvernement, mais à des postes secondaires : Charles Fiterman aux Transports, Anicet Le Pors à la Fonction publique, Jack Ralite à la Santé et Marcel Rigout à la Formation professionnelle. Ces quatre ministres, participent également au troisième gouvernement Mauroy qui tombe en juillet 1984 sur le projet de loi sur l’enseignement privé dit « projet Savary ».
Laurent Fabius prend alors la tête de Matignon. Des négociations sont engagées sur le maintien de la participation communiste au nouveau gouvernement. Plusieurs désaccords s’étaient en effet déjà exprimés au sein de la majorité, notamment sur les grandes orientations économiques. Finalement, le PCF décida de ne plus participer au gouvernement, mais de soutenir sa politique. Après juillet 1984 et jusqu’à la fin du second mandat mitterrandien, aucun gouvernement ne compte de ministre communiste.
Conclusion
La dynamique unitaire est donc au centre de l’histoire de la gauche durant presque toutes les années 1960 et 1970. En dépit d’une histoire mouvementée, elle a permis l’arrivée au pouvoir pour la première fois sous la Ve République d’un Président et d’un gouvernement de gauche.
Il faudra ensuite attendre la coalition de la « Gauche plurielle » en 1997 pour que communistes et socialistes participent à un même gouvernement.
Bibliographie
- Bergounioux Alain et Grunberg Gérard, Les Socialistes français et le pouvoir. L’ambition et le remords, Paris, Hachette littératures, 2007.
- Bergounioux Alain et Tartakoswki Danielle (dir.), L’Union sans unité. Le programme commun de la gauche 1963-1978, Rennes, PUR, 2012.
- Courtois Stéphane et Lazar Marc, Histoire du Parti communiste français, Paris, Presses universitaires de France, 1995.
- Winock Michel, François Mitterrand, Paris, Le Grand livre du mois, 2015.