Carte postale : chasseurs alpins français et italiens à la frontière

1914
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Réf. 01009

Notice

Résumé :

Photographie de Charles Chusseau-Flaviens issue du fonds iconographique du Musée dauphinois.

Type de média :
Date de diffusion :
1914

Éclairage

« L'invention de la carte postale a plus fait pour le tourisme que celle du chemin de fer », aurait dit l'écrivain Georges Duhamel. Même s'il ne s'agit pas ici à proprement parler d'une carte postale touristique, celle du photographe Charles Chusseau-Flaviens dans l'hiver du conflit qui embrase les pays européens en 1914 revêt une signification importante pour le sujet.

On est alors dans la période considérée généralement comme l'âge d'or (1890-1920) de la carte postale. Inventée dans les années 1860 en Allemagne, elle apparaît en France en 1870 et officiellement en 1873 comme moyen de communication rapide. Par les procédés techniques qui permettent une duplication massive et industrielle des photographies insérées au verso, la carte postale devient en 1891 un support commercial pour faire la promotion des territoires, des villes, des monuments et surtout des lieux touristiques. A une période où la presse n'utilise que faiblement les images photographiques, elle est aussi un vecteur pour rendre compte du quotidien ou médiatiser les événements marquants. C'est dans cet esprit que le photographe Chusseau-Flavien réalise de très nombreux clichés (1), utilisant la technique sur plaque sèche au gélatino-argentique. Fixant aussi bien les élites royales, les populations de territoires extra-européens, que les faits politiques ou du quotidien en France, il constitue une collection importante au tournant du siècle. Considérant l'image comme moyen de façonner les opinions, il est le fondateur d'une des premières agences de presse internationales, regroupant quelques 160 photographes avant la Première Guerre mondiale.

La poignée de mains entre deux sous-officiers alpins, un chasseur alpin français et un alpini italien, prend une portée symbolique forte, que la photo ait été prise en début 1914 ou même au commencement de l'hiver 1914 (2). Elle est centrée sur les deux hommes identifiables par leur costume, plus sobre pour le chasseur alpin et plus orné pour l'Alpini. Vareuses, pantalons, guêtres sont adaptés aux conditions d'exercice et cet équipement se rapproche de celui des alpinistes de l'époque ; le béret (la « tarte ») des chasseurs alpins et le chapeau qui incarne les Alpini où est fichée dans un pompon dont la couleur indique l'appartenance du bataillon, une plume dont la couleur définit le grade. Ici on ne peut que distinguer le pompon blanc, avec une plume visiblement d'aigle marron (indiquant le grade de sous-officier). En revanche on ne peut discerner le symbole placé sur la partie antérieure du chapeau qui signe la spécialité (alpins, transmissions, etc..). En 1914 ces deux corps spécialisés sont reconnus dans leur spécificité. Fondées successivement en 1872 pour les Alpini puis, à leur imitation en 1888 pour les chasseurs alpins (3), dans un contexte géopolitique de tensions et de rivalités pour les territoires et les colonies (4), ces troupes doivent défendre des frontières qui pour la France, centrée sur sa rivalité avec l'Allemagne, étaient devenues moindres. A l'époque de la photo, les chasseurs alpins des deux pays sont le plus souvent natifs des hautes vallées, fins connaisseurs de leurs territoires et attachés à le défendre. En même temps, proches dans leur mode de vie, ils le sont aussi dans leur quotidien, parcourant les cols et les frontières pour des activités autres que militaires.

Très composée, cette photo l'est par le cadrage qui centre les deux personnages dans l'environnement désert d'un col d'altitude enneigé qui leur semble pourtant familier. La couverture neigeuse masque la frontière que les deux hommes franchissent symboliquement par leur poignée de main amicale, loin des conflits en cours ou à venir. Quelle que soit la date, la fraternisation entre les Alpins tient aux pratiques communes des territoires et aux interconnaissances qui existent de part et d'autres des vallées.

Au–delà d'une volonté d'insister sur la proximité rassurante des deux armées, cette carte postale rappelle le rôle majeur des chasseurs alpins dans le développement des pratiques sportives en montagne : alpinistes au 19ème pour connaître les sommets et les passages - comme les militaires l'avaient été aux siècles précédents dans la mise en œuvre de la cartographie - et diffuseurs en France du ski de descente dit alpin (5), - (l'équipement de l'alpini semble lui faire pratiquer la technique du télémark) dès la fin du 19ème, ayant compris l'avantage de ce mode de déplacement emprunté aux populations scandinaves mais en l'adaptant aux territoires alpins. Ce sont eux qui organisent les premiers concours de descente comme à Chamonix en 1906 et au col du Montgenèvre en 1907. De fait par les pratiques sportives qu'elle contribue à développer, comme par la présence des refuges dits napoléons qui émaillent un certain nombre de cols, équipements réutilisés désormais pour l'accueil des touristes, l'armée des Alpes participe dans la longue durée au façonnement des territoires de montagne et à leur usage touristique.

(1) Plusieurs milliers répartis principalement entre trois lieux de conservation : le musée d'Orsay pour ses autochromes, le musée Nicéphore Niepce et le Georgeeastmanhouse (international Museum of Photography and Film).

(2) Absence de données précises en dehors de la date 1914.

(3) qui remplacent les anciens chasseurs à pied non spécialisés.

(4) 1882 : constitution de la triple alliance entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie.

(5) 1er ski-club à Grenoble le « ski club des Alpes » en 1879 et 1er bataillon de skieurs alpins à Briançon en 1899 au 159 Régiment d'infanterie alpine.

Pour aller plus loin :

- Deleuze Benoït, Le Pichon Yann (1988) Les Alpins, 1888-1988. Berger-Levrault, 143p.

- Les cahiers des Troupes de montagne, revue trimestrielle, Musée des Troupes de montagne, Grenoble.

- Léon Marie-Hélène (2009) Les chasseurs alpins ; mythe et réalités des troupes de montagne. Éditions l'Harmattan.

- Rauch André (1986) Naissance du club alpin français : la convivialité, la nature et l'État - 1874-1880. In : la naissance du mouvement sportif associatif en France. P. U. L.

Anne-Marie Granet-Abisset