Vacances à Megève pour les petits Parisiens
Notice
Reportage sur les premières vacances de petits Parisiens après la guerre. La colonie de vacances suivie se rend à Megève, en Haute-Savoie. Les enfants profitent du soleil, du grand air, de la nature environnante et de la joie. François Billoux, le Ministre de la Santé Publique, rend visite aux petits vacanciers.
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Éclairage
Les premières vacances scolaires après la fin de la Seconde Guerre mondiale sont l'occasion de mettre en scène les vertus d'un retour à la nature et le rôle des colonies de vacances. L'esthétique cinématographique, les commentaires comme la tonalité de ce reportage diffusé dans le cadre des Actualités Françaises (1) le 3 août 1945, s'inscrivent dans la continuité des années 1930. Les vacances scolaires sont elles aussi en filigrane des politiques familiales menées depuis le début de l'entre-deux-guerres.
La masse des enfants entassés dans une gare sombre et étroite crée un climat anxiogène permettant de jouer sur un effet de contraste avec les grands espaces montagnards. Il est accru par la réactivation mémorielle, par l'intermédiaire d'un schéma narratif identique, des images des trains qui emmènent les enfants en déportation.
Les territoires de montagne se présentent comme des échappatoires pour les populations urbaines dont il paraît nécessaire qu'elles doivent aller vers une montagne régénératrice. Dès le départ du train, la luminosité s'accroît instillant l'idée d'un avenir radieux. Les plans larges sur une vallée entourée de sommets sont associés au grand air qui constitue la raison essentielle d'une migration dont l'objet est de purifier la jeunesse par l'intermédiaire d'activités bienfaitrices. Leurs fonctions se situent en premier lieu sur un registre moral. Ce qui est vécu habituellement comme une corvée quotidienne devient un plaisir sous l'effet quasi-magique d'un air pur qui modifie les comportements. Le sentiment du partage est activé par les séquences d'enfants réunis pour la sieste, les jeux ou l'observation de la nature. L'individualisme doit laisser la place à l'entraide et à la coopération, indispensables à la construction d'une société plus harmonieuse concrétisée par les projets du Conseil National de la Résistance qui propose en mars 1944, dans son programme, un plan complet de sécurité sociale. Les colonies de vacances se situent dans cette dynamique et constituent ainsi un moyen permettant de libérer les enfants tout en les contrôlant pour mieux s'assurer du respect des règles morales et sociales essentielles comme le reportage en témoigne. Les représentations urbaines sont mobilisées (odeur, densité, bruit, etc.) pour mettre en exergue les atouts de la montagne qui se dessinent en contrechamp des contraintes citadines. La pureté immaculée d'un sommet mythique (le Mont Blanc) rendu inaccessible par la distance que confère la prise de vue fait naître un sentiment d'humilité. La régénération doit passer également par le physique. Elle se situe sur un registre hygiénique rappelant l'importance sanitaire de sa prise en charge. Le corps est soumis à un nettoyage intensif pour éliminer les miasmes. Il est nourri avec enthousiasme afin de le renforcer dans une période de rationnement, et est exposé avec précaution au soleil pour profiter des vertus bienfaitrices. Mais l'hygiène ne peut se limiter à de strictes contingences biologiques. Elle est aussi liée dans ces années d'après-guerre à une activité physique dont l'objet n'est pas dans le dépassement de soi mais dans l'activation des grandes fonctions de l'organisme par l'exercice afin de s'assurer d'une bonne santé. Le jeu est alors particulièrement recommandé pour permettre aux enfants de s'évader moralement tout autant que de se renforcer physiquement. Il est aussi un moyen de s'exposer aux bienfaits naturels dont témoigne la nudité thoracique. Le plein air est ainsi retenu comme une condition d'exercice incontournable dans une conjoncture où la lutte contre la tuberculose est privilégiée. La présence de François Billoux, Ministre de la Santé Publique, est là pour rappeler qu'il s'agit d'une priorité nationale dans une période de reconstruction où la jeunesse est appréhendée comme l'avenir d'un pays fragilisé. Bien que quelques jeunes filles soient présentes, les jeunes garçons sont valorisés conduisant à renforcer les stéréotypes sociaux quant à la place et au rôle des femmes. S'il est nécessaire qu'elles prêtent attention au bon équilibre de leur organisme, elles ne peuvent s'égarer dans une excitation physique désordonnée au risque de provoquer des troubles moraux.
(1) Les « Actualités Françaises » font partie des collections d'archives d'actualités cinématographiques conservées par l'INA. L'ensemble de ces documents a fait l'objet d'une restauration de l'image et du son opérée par les équipes de l'INA. Ces films étaient diffusés dans les salles de cinéma sous les dénominations suivantes :
- Les « Actualités mondiales » (août 1940 – août 1942), version pour la France du journal allemand de l'UFA, seul journal cinématographique visible dans la zone occupée. En « zone libre » un journal cinématographique est édité d'octobre 1940 à août 1942 sous le contrôle étroit du régime de Vichy : le journal de France–Actualités Pathé.
- « France Actualités » (août 1942 – août 1944) : ces actualités du régime de Vichy sont diffusées sur tout le territoire et, à capitaux français et allemands, elles marquent l'engagement plus profond du gouvernement de Vichy dans la collaboration.
- « France Libre Actualités » (septembre 1944 – décembre 1944), journal cinématographique fondé en coopérative par plusieurs comités de Résistance.
- Ce journal d'actualités prend le nom « d'Actualités Françaises » à partir de janvier 1945 et sera diffusé dans les salles de cinéma jusqu'en février 1969.