Une association d'agriculteurs à Saint-Martin-des-Noyers

10 janvier 1969
06m 26s
Réf. 00012

Notice

Résumé :
Trois frères agriculteurs de Saint Martin des Noyers se sont associés pour développer et mutualiser leurs installations agricoles, solution qui implique beaucoup de travail personnel et où chacun a ses propres tâches en fonction de sa spécialité. Les femmes ont, elles aussi, un rôle important dans cette organisation dont toute la famille profite.
Date de diffusion :
10 janvier 1969
Source :

Éclairage

Au cours de la décennie 1960, les agriculteurs vendéens, à l’image de leurs homologues français des autres régions et de leurs collègues européens, doivent faire face à une modernisation à marche forcée imposée par la forte hausse de la demande en produits agricoles. Poussés à investir, à adopter les nouvelles structures et méthodes de production promues par les technocrates du ministère de l’Agriculture à Paris et de la Commission de Bruxelles, les cultivateurs passent du statut social de « paysan » à celui d’« exploitant agricole » en espérant préserver la polyculture familiale qui constitue la colonne vertébrale de l’agriculture française depuis la Révolution.
Afin de répondre à ce défi, le regroupement familial peut apparaître comme une solution pratique si au sein d’une même fratrie l’entente permet de se répartir les tâches en fonction des points forts de chacun. C’est ce type de solution qui est mis en avant dans un reportage tourné à la fin des années 1960 à Saint-Martin-des-Noyers, commune du canton de Chantonnay.
Etablis depuis 1952 au lieu-dit du Pin dans deux fermes mitoyennes d’une superficie globale de 80 ha appartenant à maître Perrin, notaire à La Chaize-le-Vicomte, les frères Edouard, Alcide et Clément Gourraud ont choisi de s’associer librement au milieu des années 1960 sans former un GAEC tel qu’il a été créé par la loi du 8 août 1962. En fusionnant les deux fermes qu’ils exploitaient préalablement, ils ont choisi de se répartir prioritairement les tâches : céréales et CUMA pour l’un, labours et mécanique agricole pour un autre, traite et élevage laitier pour le dernier. Un modeste investissement de 20 000 Francs leur a permis de construire une salle de traite moderne dotée de trayeuses électriques, l’une des premières de Vendée, et d’ériger plusieurs hangars pour abriter les 29 puis 45 vaches laitières de l’exploitation, le matériel ainsi que les fourrages.
En 1969, année de diffusion du reportage, l’exploitation produit annuellement 155 000 litres de lait qu’elle vend à la coopérative voisine de Belleville-sur-Vie et s’assure des revenus complémentaires en vendant des bêtes à viande (veaux, génisses et taurillons) ainsi que des céréales récoltées à l’aide des botteleuses et d’une moissonneuse-batteuse achetées en commun dans le cadre d’une coopérative d’utilisation en commun de matériel agricole (CUMA) de quatorze adhérents dirigée par Edouard Gourraud. L’exploitation va fonctionner sur ce modèle d’entente familiale durant une décennie. Cette solution permet aux trois frères de prendre une semaine de congés annuels, de s’accorder un repos dominical à tour de rôle et de prendre des responsabilités dans le syndicalisme agricole au niveau de la Fédération départementale des producteurs de lait (FDSEA).
En 1975, d’un commun accord, la fratrie rompt l’exploitation commune pour retrouver ses marques. Clément et Alcide continuent de travailler ensemble tandis qu’Edouard reprend son indépendance dans sa ferme initiale. Lors du départ en retraite d’Edouard en 1984, l’exploitation est reprise par son beau-frère Jean-Marie Crépeau marié à l’unique fille de la famille qui choisit de réunir à nouveau les deux exploitations mais cette fois sous la forme d’un GAEC avec ses deux autres beaux-frères. Le GAEC perd Alcide qui décède en 1988 et se transforme à nouveau en 1993 avec le départ en retraite de Clément et la reprise de l’exploitation par son fils Michel alors âgé de 26 ans, le groupement est dissout en 2013 avec le départ à la retraite de Jean-Marie. Aujourd’hui, l’exploitation Gourraud a le statut d’EARL et repose uniquement sur Michel Gourraud et son épouse, secondés par un ouvrier agricole. Depuis le tournage, presque un demi-siècle s’est écoulé et l’exploitation a évolué ; c’est ainsi que la famille Gourraud a pu acquérir en faire-valoir-direct 48 des 92 ha qu’elle exploite en rachetant leurs terres aux enfants de maître Perrin après son décès. En 2016, l’exploitation compte 65 vaches laitières accompagnées en permanence par 160 à 200 bovidés destinés à la vente ; sa production laitière annuelle atteint 550 000 litres de lait écoulés à la coopérative Eurial de Bellevigny (nouvelle appellation de Belleville-sur-Vie du fait de sa fusion avec Savigny).
A l’instar de la génération précédente voici cinquante ans, Michel Gourraud a dû relever le défi de la fin des quotas laitiers et s’est engagé dans la voie qualitative de l’agriculture raisonnée. Toutefois la question de la relève générationnelle se pose, de même que celle d’une éventuelle nouvelle association pouvant favoriser la pérennité de l’exploitation sur le moyen terme.
Eric Kocher-Marboeuf

Transcription

Journaliste
L’évolution économique entraîne une modification rapide des structures de toute l’agriculture. L’exploitant résiste difficilement à la concurrence qui se développe en Europe et même dans le monde entier. L’agriculteur ne suit pas facilement cette évolution des autres catégories sociales et son genre de vie en souffre d’autant. Il faut donc que les agriculteurs envisagent de se grouper puisque l’association, quelle qu’elle soit, est la seule solution de les faire participer au monde moderne. D’ailleurs, il n’est pas toujours nécessaire de chercher des formules toutes faites, bien des solutions sont dès maintenant possibles et d’ailleurs, en voici un exemple en Vendée, l’association libre des Frères [Gouraud]. Monsieur Clément [Gouraud], vous vous êtes associés avec vos frères, voulez-vous m’expliquer les raisons qui vous ont poussés à créer une association en famille ?
Clément [Gouraud]
Ben voilà, c’est que déjà, nous travaillons ensemble du fait que nous étions frères, et puis que nous étions, juste avec deux fermes qui étaient groupées, et au même propriétaire, vous voyez ? Et du fait que nous travaillons déjà ensemble, pour pas mal de raisons, nous avons, nous avons préféré nous associer directement et travailler ensemble, voyez-vous.
Journaliste
Alors, vous avez démarré avec combien de vaches ?
Clément [Gouraud]
Au départ, nous avions 29 vaches, c’est-à-dire il y a cinq ans. Et maintenant, nous en avons 45 environ.
Journaliste
La superficie de la propriété ?
Clément [Gouraud]
Actuellement, elle est de 80 hectares, à l’époque, c’était de 75.
Journaliste
Et la production laitière ?
Clément [Gouraud]
Actuellement, nous arrivons autour de 4000 avec les 45 vaches.
Journaliste
Et la production annuelle ?
Clément [Gouraud]
Alors, ça tourne autour de 100, 150, 155 à peu près.
Journaliste
155000 litres ?
Clément [Gouraud]
Oui.
Journaliste
Pourquoi n’avez-vous pas formé un groupement agricole d’exploitation en commun ?
Clément [Gouraud]
Il y a cinq ans, vous savez, il n’était pas beaucoup question des GAEC, et puis, comme nous étions frères, nous n’avions pas jugé indispensable de former ces GAEC. On est entre frères, ce n’est pas la peine.
Journaliste
Donc, pas d’investissement et pas besoin d’organisation officielle pour faire l’association ?
Clément [Gouraud]
Non, non.
Journaliste
Donc, comment avez-vous organisé la marche de votre exploitation ?
Clément [Gouraud]
Nous avons commencé par la salle de traite, la première année.
Journaliste
Que vous avez bâtie ?
Clément [Gouraud]
Bâtie, plus un silo à fourrage que vous voyez. La deuxième année, c’était le deuxième silo à fourrage,
Edouard [Gouraud]
Oui,
Clément [Gouraud]
Et les 30 laitières qu’on avait au départ ont dû rester sous un tout petit hangar qu’on avait fait, qu’on a ensuite démoli et il y a combien qu’on a fait celui-là ?
Edouard [Gouraud]
Heu, il y a deux ans exactement, quoi !
Journaliste
Autrement dit, beaucoup de travail personnel ?
Clément [Gouraud]
Presque tout.
Edouard [Gouraud]
Ben, une grande partie, oui. Si, on fait tout le compte de ce qu’on a monté, ça nous a, ça nous revient aux environs de 2 millions anciens, quoi !
Journaliste
Oui, c’est ça, ce qui est très peu par rapport à…
Clément [Gouraud]
Par rapport au nombre de vaches.
Journaliste
Au nombre de vaches, à la grandeur de votre exploitation. Comment vous répartissez-vous le travail, puisque vous êtes chacun des frères dans des organisations professionnelles ? Alors, comment fonctionne votre organisation en matière d’association ?
Clément [Gouraud]
Alors, d’abord pour moi, c’est moi qui m’occupe des vaches, c’était un peu par affinité, du fait que déjà auparavant, je m’occupais déjà des vaches laitières, vous voyez ?
Journaliste
Donc vous, vous êtes le spécialiste de la production laitière,
Clément [Gouraud]
D’accord !
Journaliste
Et vos relations professionnelles à l’extérieur, c’est production laitière ?
Clément [Gouraud]
Egalement, production laitière.
Journaliste
Vous, Edouard, c’est la question céréalière qui vous intéresse. Je crois que vous avez des fonctions officielles extérieures à votre ferme ?
Edouard [Gouraud]
Oui, heu, étant donné que je m’occupais de la partie céréales, ça nous posait déjà un problème, il fallait faire, enfin, d’une part, appel à l’entreprise, ce n’était pas toujours facile. Alors là-dessus, on s’est arrangés avec une quinzaine de gars pour former une CUMA. On a commencé par acheter d’abord des botteleuses pour botter le foin, et après ça, il s’est avéré nécessaire qu’il fallait, il nous fallait une moissonneuse-batteuse. Alors, on s’est regroupés à 14 pour acheter cette moissonneuse-batteuse.
Journaliste
Et vous êtes le président de la CUMA ?
Edouard [Gouraud]
On m’a nommé responsable.
Journaliste
C’est ça, et comme ça, tout va bien ?
Edouard [Gouraud]
Euh oui, jusqu’à présent, on n’a jamais eu de difficulté, il faut dire. Et on arrive à ramasser dans de bonnes conditions, on arrive quand même à couper aux environ de 125 hectares par an, en céréales.
Journaliste
Quel est le rôle de votre troisième frère, Alcide ?
Clément [Gouraud]
Alors lui, il s’occupe spécialement des gros labours. Aujourd’hui, il n’est pas là parce qu’il est parti, justement, à La Roche-sur-Yon chercher des pièces pour son tracteur qui est en panne, vous voyez ? Ben alors, il s’occupe surtout des labours et alors de façon superficielle, selon le temps qu’il dispose.
Journaliste
En quelque sorte, c’est le mécanicien de l’entreprise ?
Clément [Gouraud]
Oui, surtout, c’est sa spécialité.
Journaliste
Cette association libre a donc demandé une complète réorganisation dans le domaine de l’exploitation proprement dite. Mais est-ce que pour vous, les épouses, cela a transformé votre mode de vie, et est-ce aussi difficile qu’autrefois ?
Intervenante 1
Beaucoup moins qu’autrefois. C’est vrai qu’il a fallu aussi s’organiser, parce que autrefois, on avait nos parents, et quand ils sont partis, il fallait absolument essayer quelque chose. C’était impossible de continuer de faire ce que je faisais autrefois.
Journaliste
Alors, quel est votre rôle actuellement ?
Intervenante 1
Maintenant, je m’occupe de la maison et des enfants. Mais quelquefois remplacer mon mari, quand il s’absente, puis…
Journaliste
C’est assez rare !
Intervenante 1
Ah, c’est assez rare, oui.
Journaliste
Messieurs, pouvez-vous prendre des loisirs plus facilement qu’autrefois ?
Clément [Gouraud]
Oui, oui c’est certain, ma femme peut vous le dire, cette année encore, on a dû prendre huit jours, on est allés passer huit jours en Hollande, ensemble. Et si mon frère veut s’absenter, c’est pareil pour lui. Même le dimanche, on peut s’absenter un dimanche sur deux, c’est facile.
Journaliste
Alors, comment êtes-vous organisés, pour ce qui concerne la traite, par exemple ?
Clément [Gouraud]
Alors pour ça, ça dépend comme…. En principe, c’est chacun son tour, mais enfin, si on veut changer, c’est très facile, on peut se faire remplacer.
Journaliste
C’est ça !
Edouard [Gouraud]
D’autant plus qu’on s’est réparti les tâches d’une manière assez rationnelle.
Journaliste
Est-ce que vos épouses, est-ce que vous avez senti que vos épouses étaient beaucoup plus à l’aise, beaucoup plus libres qu’autrefois ?
Clément [Gouraud]
Ah oui, oui, quand même ! Remarquez que autrement, ce n’était pas possible. Il fallait que les épouses soient à la traite, qu’elles fassent même les litières à l’occasion, donc on arrivait à la maison et il n’y avait rien de prêt, il n’y avait rien de tenu, ce n’était pas pareil, tout de même.
Journaliste
Donc maintenant, quiétude d’esprit de tous les côtés ?
Clément [Gouraud]
Oui, bien sûr, remarquez, ce qu’on a fait, il faudra encore revoir dans les années à venir si la situation va évoluer, il faudra suivre, tout simplement.
Journaliste
Tout ceci prouve que l’association, au niveau de l’exploitation, accroît l’efficacité des hommes et leur permet de prendre des loisirs. En définitive, c’est la famille qui en profite et les enfants en particulier. Il faut savoir perdre un peu de son indépendance pour gagner la liberté. Et l’exemple des frères Gouraud en Vendée en est une des plus simples illustrations.