Tradition, progrès économique et développement humain
Présentation
En 1877, dans son Tour de France par deux enfants, G. Bruno, de son vrai nom Augustine Fouillée, avait choisi de ne pas laisser André et Julien Volden s’aventurer sur les routes vendéennes, préférant leur faire emprunter le caboteur Le Poitou entre les ports de La Rochelle et de Nantes. En épargnant à ses jeunes héros cette traversée du Bas-Poitou, l’auteure pouvait passer sous silence les événements tragiques qu’avait connu la province sous la Révolution dans le souci d’unité patriotique qui sous-tendait son œuvre pédagogique, mais en agissant de la sorte, elle occultait les caractères socioculturels et économiques originaux de cette partie de l’Ouest qui méritaient pourtant autant d’être portés à la connaissance des écoliers que ceux des habitants d’autres départements sur lesquels elle insistait par ailleurs. Cet oubli de la Vendée en disait long sur la place que le département occupait dans l’espace français au début de la Troisième République.
Ce manque d’intérêt pour la Vendée a globalement perduré jusqu’à ce que le tourisme de masse ne commence à déferler sur ses deux-cents kilomètres de côtes au cours des années 1960 au prix de lentes transhumances motorisées estivales empruntant un réseau routier secondaire peu adapté au trafic moderne. Tandis que les RN 7 et RN 10 constituaient les artères vitales reliant Paris aux rivages ensoleillés de la Méditerranée ou du Sud-Ouest aquitain, la Vendée demeurait, pour de nombreux Français, et toutes proportions gardées, une sorte de Far West, une « frontière » dans le sens où l’employait alors le président J.F. Kennedy, en somme un espace encore quasiment vierge ! D’ailleurs, en dehors des Sables d’Olonne, les autres stations balnéaires de la côte vendéenne attiraient plutôt des vacanciers issus des couches populaires des départements de l’Ouest qui venaient passer des vacances bon marché en faisant du camping-caravaning ou recherchant l’ambiance d’une « pension de famille » dans un environnement encore largement dominé par la ruralité.
Les vacances des agriculteurs
L’idée d’associer la Vendée à la nouvelle France gaullienne en voie d’urbanisation et d’industrialisation, celle des grands ensembles de Sarcelles et des laboratoires du Commissariat à l’énergie atomique, avait de quoi paraître saugrenue si certains chantiers d’immeubles collectifs et d’usines aux portes de la Roche-sur-Yon ou la recherche d’uranium dans son sous-sol ne témoignaient au contraire des prémices de la mutation à venir.
Interview du maire de La Roche-sur-Yon
Un modèle ancien d’ambition commerciale familiale sur fond de conservatisme social
Sous ses dehors de pays de traditions vivaces maintenues jusqu’au cœur du XXe siècle, la Vendée s’était pourtant déjà inscrite dans le mouvement de modernisation des campagnes françaises de la fin du XIXe siècle analysé par l’historien américain Eugen Weber dans La Fin des terroirs. Entre 1880 et 1914, la Vendée connut effectivement ses premiers changements notables dans les domaines de la production et des mentalités en dépit d’un apparent immobilisme social. Parmi les facteurs de modernisation de cette époque, il convient d’insister en particulier sur l’importance jouée par le désenclavement ferroviaire qui a révolutionné l’équilibre interne de nombreuses campagnes. En Vendée, l’arrivée du train a permis l’expédition des produits de la mer depuis la côte sablaise et a favorisé la naissance des premières villégiatures du littoral, elle a accompagné le développement du mouvement coopératif des beurreries-coopératives approvisionnant quotidiennement les Halles centrales de Paris et concouru à l’essor de industrialisation rurale reposant sur les métiers du textile, du cuir, du bois ou de la petite métallurgie et déjà de l’agroalimentaire.
Dépôt de bilan de la tannerie Fleuriais
Le foisonnement d’initiatives particulières se nourrit souvent des ateliers mis en place par l’animation paroissiale qui unit les communautés villageoises autour de leur clocher, en particulier dans le Bocage de la partie septentrionale du département. Les plus anciennes sagas d’entreprenariat familial vendéen débutent dès ce moment avec Jean-Baptiste Rautureau, qui s’installe comme cordonnier en 1870 à La Gaubretière, les familles Fleury et Michon qui s’associent en 1905 après une expérience initiale de négoce porcin à Benet ou encore Célestin Baudry qui crée un premier dépôt général de produits destinés à l’agriculture à L’Herbergement en 1907.
Rautureau fabriquant de chaussures de luxe
Fleury-Michon
En dépit de ces traces anciennes de modernisation, les manuels de géographie vont continuer, parfois jusqu’aux années 1980 (!), d’enfermer la Vendée dans un déterminisme socio-historique présenté souvent de manière réductrice au sein des « marges méridionales du Massif armoricain ». Reprenant à leur compte le théorème énoncé par André Siegfried en 1913 dans son Tableau politique de la France de l’Ouest, à propos de la distinction à opérer entre les mentalités des habitants des pays granitiques et calcaires, les géographes insistent sur les traces de la société d’Ancien Régime présentes en Vendée. Les auteurs pointent du doigt, comme autant d’indicateurs négatifs de la situation économique et sociale du département, la présence résiduelle du métayage, voire le maintien de la culture du blé dur, l’influence supposée du clergé ou encore un taux de natalité plus élevé que la moyenne opposé à un niveau d’instruction moyen qualifié d’inférieur à celui de nombre de régions réputées mieux instruites où le chômage frappe pourtant la jeunesse de plein fouet. Dans une période où les actualités cinématographiques sont encore le moyen privilégié de montrer aux spectateurs le monde qui bouge, c’est l’image de cette Vendée figée dans ses traditions qui se dégage de la séquence à l’ambiance surannée tournée à la louée de Tiffauges en 1956; quelques années plus tard, la télévision désormais dominante est dans la même veine quand il s’agit de filmer la récolte à la main de certaines cultures traditionnelles du département comme celle de la mogette.
La récolte des mogettes
Une terre d’élection de l’aménagement du territoire qui opère elle-même sa mue agricole et industrielle
La rupture est d’autant plus marquante avec les reportages tournés au cours de la décennie 1960 qui braquent au contraire l’œil de la caméra et tendent le micro du journaliste vers les changements annoncés et ceux qui sont d’ores et déjà visibles. L’ambition modernisatrice qui paraît alors s’emparer de la Vendée s’affiche ouvertement avec l’implication d’élus locaux qui n’hésitent pas à affronter l’objectif et à se lancer dans la promotion de leur territoire et de ses habitants, de hauts fonctionnaires du corps préfectoral ou de la DATAR. Ils relaient, tous, des initiatives privées dont les succès commencent à poindre mais dont les premiers efforts remontent en réalité aux années de l’après Seconde Guerre mondiale.
Présentation de la plaquette industrielle Vendéenne
Interview de Jérôme Monod
L’agriculture vendéenne entame sa mue grâce à la nouvelle « Europe verte », la politique agricole commune (PAC), dont l’élan modernisateur s’accompagne en France de mesures-phares comme le début du remembrement favorisé par la création des SAFER ou l’association d’agriculteurs sous diverses formes juridiques dont les plus connues sont les GAEC et les CUMA.
La SAFER
Une association d'agriculteurs à Saint-Martin-des-Noyers
Le 100 000e GAEC en Vendée
La récolte du maïs
Ces dispositifs, qui entraînent parfois des résistances ou des a priori négatifs finalement surmontés, sont pris sous l’impulsion de ministres de l’Agriculture tels qu’Henri Rochereau ou Edgard Pisani et contribuent grandement à moderniser les exploitations vendéennes, à accroître les productions existantes et à en développer de nouvelles comme le maïs au prix de la stagnation d’autres.
Une ferme modèle en Vendée
La récolte du tabac en Vendée
Le succès est au rendez-vous en seulement une décennie et l’agriculture vendéenne fait partie des bons élèves au sein d’un mouvement général d’intensification des productions végétales et animales. A partir du passage de Jacques Chirac au ministère de l’Agriculture en 1972-1974, le travail des locataires qui vont se succéder à l’Hôtel de Villeroy va essentiellement consister à négocier à Bruxelles pour le maintien de prix rémunérateurs et l’attribution de quotas laitiers suffisamment généreux pour permettre le maintien du modèle de l’exploitation agricole familiale au sein de laquelle l’agricultrice prend une part croissante.
Les quotas laitiers
Le statut des femmes agricultrices
En Vendée, tout au long du dernier demi-siècle, l’action des pouvoirs publics a constamment été aiguillonnée par des acteurs du syndicalisme agricole à la forte personnalité tels Bernard Lambert et Luc Guyau et le département a ainsi connu la triple influence de la Confédération paysanne et des Paysans-travailleurs, de la FNSEA, puis de la Coordination rurale à partir des années 1990.
La SICA SAVA
Portrait du candidat Luc Guyau
Manifestation Coordination Rurale en Vendée
Cette course à la rentabilité se fait souvent au détriment de certaines productions locales attachantes et débouche sur un problème de pollution de la nappe phréatique qui amène certains agriculteurs à vouloir s’éloigner de ce modèle au profit d’une agriculture biologique ou raisonnée qui n’est plus perçue comme un modèle contestataire depuis quelques années.
La bonnotte de Noirmoutier
L'eau potable en Vendée
Manque de soutien financier à l'agriculture biologique
L’essor de l’agriculture accompagne celui des industries agro-alimentaires du département dont les origines remontent ainsi que l’on dit à la fin du XIXe siècle. La plaine de Fontenay-le-Comte et le Marais poitevin vendéen s’inscrivent dans le mouvement coopératif laitier de Surgères pour la production de beurre et de fromages dès les années 1890, tandis que la famille Fleury partie de Benet installe ses ateliers d’abattage et de transformation de charcuterie à Pouzauges dans l’entre-deux-guerres.
Fermeture de la laiterie Le Petit Vendéen
Une laiterie-fromagerie moderne à Saint-Michel-en-l'Herm
Fleury-Michon
Au cours des années 1960, les familles Bougro et Sicard entament une ascension continue dans les plats cuisinés et la boulangerie industrielle.
Sodebo une réussite familiale
Essor de l'entreprise Sicard
Bien que cette réalité soit de nos jours méconnue du grand public, le décollage de l’industrie vendéenne au XIXe siècle s’est appuyé sur le charbon et l’industrie textile comme dans les autres « pays noirs » européens, mais avec des niveaux de production sans rapport avec celles observées dans les grands bassins industriels du continent. Le gisement houiller de Faymoreau dans le sud-Vendée a certes donné naissance à un paysage minier traditionnel avec son carreau de mine et ses corons mais dans un espace très limité.
Anciennes mines de charbon à Saint-Laurs et à Faymoreau
L’industrie textile est, quant à elle, présente dans le Bocage du nord-ouest de la Vendée où elle constitue une excroissance de l’industrie du tissage traditionnelle des Mauges et du Choletais, jadis connu pour ses mouchoirs. En Vendée, le travail du coton, débarqué à Nantes depuis les plantations du sud des Etats-Unis, a longtemps été caractérisé par le travail à façon à domicile avant d’être relayé par des ateliers textiles apparus au début du XXe siècle. Ces entreprises familiales ont pu prospérer jusqu’aux années 1970 en s’appuyant sur l’élévation du niveau de vie avant de péricliter sous les coups de boutoir de la concurrence des industries textiles de pays à bas coût de main-d’œuvre. Jusqu’aux années 1990, certaines entreprises de confection ont pu survivre du fait de la qualité de leur production mais, au final, seules les plus imaginatives sont parvenues à jusqu’à nos jours grâce à leur haut degré de savoir-faire en matière de design et de fabrication.
Mode à l'usine de Treize-Vents
Sivem à Aizenay
Aux licenciements observés du fait des fermetures d’entreprises du secteur du textile à partir des années 1980, il convient d’ajouter ceux des entreprises de l’industrie de la chaussure, une autre industrie traditionnelle du nord de la Vendée en lien étroit avec la « nébuleuse industrielle du Choletais ». Là encore, seul le haut de gamme a pu perdurer, en particulier avec la société Rautureau et l’implantation de Louis Vuitton à Sainte-Florence au terme d’une compétition acharnée à l’échelle européenne.
Rautureau fabriquant de chaussures de luxe
Implantation de Vuitton en Vendée
Les réussites économiques vendéennes depuis les années 1960 sont également à rechercher du côté d’autres industries traditionnelles. On peut citer l’exemple des métiers du bois où le savoir-faire des artisans, menuisiers et ébénistes ruraux a été employé dans l’industrie de la construction nautique ainsi que la menuiserie industrielle voire le négoce en gros grâce à une offre de formation diversifiée qui a su s’adapter aux évolutions de la demande.
Les métiers du bois en Vendée
La scierie Pivetau Bois
Les ouvriers vendéens ont également su apprivoiser le fer, l’aluminium, le verre ou le plastique participant avec leurs entreprises-phares à un grand ensemble d’industries relevant d’une haute technologie installées dans la Basse-Loire entre Nantes et Saint-Nazaire avec la construction navale (Ateliers et chantiers de Bretagne, Ateliers et chantiers de la Loire et chantiers de Penhoët) ou les constructions métalliques et mécaniques (ateliers des locomotives et structures métalliques Batignolles-Châtillon, forges d’Indret) depuis la fin du XIXe siècle.
L'entreprise de sous-traitance Defontaine
L'entreprise Tronico et l'épargne locale
L'entreprise Jeanneau sort la microcar
Des préoccupations sociales et de bien-être
Le développement économique de la Vendée n’a pas oublié l’humain. Le département a adhéré dès ses débuts au mouvement mutualiste de protection sociale et à l’économie coopérative dans l’agriculture.
Accord entre Mutuelles de Vendée et MG France
Une laiterie-fromagerie moderne à Saint-Michel-en-l'Herm
Fermeture de la laiterie Le Petit Vendéen
25e anniversaire de la Cavac
L’esprit familial régnant dans de nombreuses entreprises permet fréquemment de faire jouer la solidarité dans les relations sociales et le contrôle fréquent du capital social par les familles fondatrices des sociétés les met le plus souvent à l’abri des comportements prédateurs des groupes financiers anonymes. Alors qu’elle était en retard du point de vue des équipements médicaux au début des années 1970, la Vendée compte aujourd’hui parmi les départements de taille moyenne les mieux dotés, ainsi qu’en témoignent les extensions du centre hospitalier départemental de La Roche-sur-Yon et son attrait sur les praticiens hospitaliers qui savent qu’ils trouveront à côté de leur engagement professionnel une qualité de vie indéniable.
Un nouvel hôpital à La Roche-sur-Yon
L'équipement hospitalier de La Roche-sur-Yon
L’essor du bien-être n’aurait pu se faire sans l’apport décisif de la maîtrise de l’espace. Celle-ci est d’abord passée par les transports routiers au cours des Trente Glorieuses, puis par une politique volontariste de désenclavement engagée par le département et l’Etat entre 1980 et le début des années 2000.
Les transports Graveleau instituent la paie personnalisée
Dépôt de bilan de la Samro
Peu de départements ont connu de semblables améliorations de leur réseau routier en seulement une génération et partout où les rubans de bitume ont été coulés, l’activité et les emplois ont suivi, en particulier avec les parcs d’activités Vendéopôles implantés à proximités des nœuds autoroutiers et des échangeurs.
Inauguration du dernier tronçon de l'A87
Ouverture d'une plate-forme Système U
Alors qu’elle se classait en 2013 au 37e rang des départements français par la population avec un peu plus de 655 000 habitants et une densité remarquable pour un département rural de 97 habitants/km², la Vendée fait incontestablement partie des départements français les plus connus tant sur le plan national que dans les pays européens et fait partie du haut du classement des départements où « il fait bon vivre ». Cette réussite repose en grande partie sur le dynamisme et la solidité de son tissu économique qui a su s’adapter au fil des époques aux nouveautés et contraintes qui auraient pu l’amener à se scléroser puis à se déliter. La question de la transmission des valeurs et de la capacité à relever les défis demeure donc, aujourd’hui comme hier, au centre de la problématique de la perpétuation du modèle social et économique vendéen.