La louée à Tiffauges [muet]
01 janvier 1956
02m 08s
Réf. 00001
Notice
Résumé :
A Tiffauges, a lieu la louée des ouvriers agricoles qui viennent proposer leurs services aux patrons sur la place du village. L'embauche se concrétise par un tope là entre les deux parties.
Type de média :
Date de diffusion :
01 janvier 1956
Source :
AF
(Collection:
Non Utilisés
)
Thèmes :
Éclairage
Les images de ce reportage tourné à Tiffauges en 1956, vraisemblablement lors de la louée d’automne dite de la Saint-Martin, qui se tenait autour du 11 novembre, permettent de comprendre une pratique sociale en vigueur dans le monde agricole entre le XIXe siècle et les années 1960. La louée était l’assemblée au cours de laquelle journaliers, manouvriers, ouvriers et domestiques cherchaient à « se placer », « se gager » auprès de « maîtres », « patrons », « fermiers » ou « propriétaires » plus ou moins aisés, qui cherchaient un apport de main-d’œuvre pour leur exploitation agricole pour une période pouvant courir jusqu’à la louée d’été qui se déroulerait le 24 juin de l’année suivante ou jusqu’à la louée de la Saint-Martin un an plus tard. Les jeunes filles cherchant à se placer comme domestiques étaient, quant à elles, plutôt recrutées lors des traditionnelles foires de la Saint-Michel du 29 septembre pour une durée minimale d’un an. La pratique de la louée n’était pas propre à la Vendée et aux départements appartenant au socle hercynien cher à André Siegfried dans son célèbre Tableau politique de la France de l’Ouest de 1913, elle était en vigueur dans d’autres provinces comme le Berry où elle subsistait aussi dans la décennie 1950. Au cours de cette « foire à l’embauche », les parties en présence prenaient le temps d’échanger en place publique les modalités pécuniaires et matérielles (hébergement, nourriture, avantages en nature divers) de l’emploi proposé et scellaient leur accord par une puissante tape dans la main lancée par l’employeur à son futur employé. Cette pratique s’apparentait dans la forme à la conclusion de la vente d’une bête entre un maquignon et un paysan sur un foirail, le contact physique symbolisant la force du contrat moral unissant à partir de ce moment les deux hommes. L’entente était ensuite fêtée devant un verre de gnôle au café du village pour régler les détails pratiques d’entrée en fonctions.
De nos jours, cette coutume - et ce mode de fonctionnement oral et physique - peut être perçu comme le signe de la domination sociale des « coqs de village », comme une marque de sujétion, à peine dégagée du lien féodo-vassalique médiéval décliné chez les descendants de « vilains », car les propriétaires nobiliaires ne participaient pas à cette assemblée mais recrutaient par l’intermédiaire de leur régisseur directement dans les domaines. Il convient toutefois d’être prudent avec cette analyse en s’appuyant sur les cycles économiques s’étant succédés au cours du siècle et demi de vie de cette pratique. En effet, loin d’être vécu comme une forme d’instabilité de l’emploi, l’engagement pour une période courte permettait à l’employé jeune et sans attache familiale de faire monter les enchères pour être repris par l’employeur avant la tenue de la louée suivante. Parfois, et plus souvent qu’on ne l’imagine, l’ouvrier désirait bouger, changer de village, de patron, pour des raisons personnelles. La louée était également un moyen pour certains fils de paysans d’attendre que ne se libèrent des terres qui leur étaient promises au sein de la famille ou par un propriétaire non exploitant et ils acquéraient ainsi une expérience avant leur installation. Les perdants de ce système étaient ceux qui étaient congédiés alors qu’ils n’avaient pas démérité et désiraient demeurer en place, ou ceux qui ne recevaient pas le dû promis, ceux qui n’étaient pas repris parce qu’ils avaient eu un aléa de santé au cours de la saison, les soutiens de famille qui risquaient potentiellement de mettre leurs proches dans la gêne, les fermiers non reconduits par leur propriétaire qui retombaient dans la précarité. On peut néanmoins affirmer qu’en 1956 les injustices les plus criantes appartenaient au passé et à la littérature, la louée vivait ses dernières années, condamnée par l’évolution du métier d’agriculteur, la raréfaction de la main-d’œuvre rurale attirée par des emplois industriels plus rémunérateurs. Progressivement, un statut de salarié agricole, juridiquement normalisé allait émerger, associé à une formation technique de plus en plus poussée.
De nos jours, cette coutume - et ce mode de fonctionnement oral et physique - peut être perçu comme le signe de la domination sociale des « coqs de village », comme une marque de sujétion, à peine dégagée du lien féodo-vassalique médiéval décliné chez les descendants de « vilains », car les propriétaires nobiliaires ne participaient pas à cette assemblée mais recrutaient par l’intermédiaire de leur régisseur directement dans les domaines. Il convient toutefois d’être prudent avec cette analyse en s’appuyant sur les cycles économiques s’étant succédés au cours du siècle et demi de vie de cette pratique. En effet, loin d’être vécu comme une forme d’instabilité de l’emploi, l’engagement pour une période courte permettait à l’employé jeune et sans attache familiale de faire monter les enchères pour être repris par l’employeur avant la tenue de la louée suivante. Parfois, et plus souvent qu’on ne l’imagine, l’ouvrier désirait bouger, changer de village, de patron, pour des raisons personnelles. La louée était également un moyen pour certains fils de paysans d’attendre que ne se libèrent des terres qui leur étaient promises au sein de la famille ou par un propriétaire non exploitant et ils acquéraient ainsi une expérience avant leur installation. Les perdants de ce système étaient ceux qui étaient congédiés alors qu’ils n’avaient pas démérité et désiraient demeurer en place, ou ceux qui ne recevaient pas le dû promis, ceux qui n’étaient pas repris parce qu’ils avaient eu un aléa de santé au cours de la saison, les soutiens de famille qui risquaient potentiellement de mettre leurs proches dans la gêne, les fermiers non reconduits par leur propriétaire qui retombaient dans la précarité. On peut néanmoins affirmer qu’en 1956 les injustices les plus criantes appartenaient au passé et à la littérature, la louée vivait ses dernières années, condamnée par l’évolution du métier d’agriculteur, la raréfaction de la main-d’œuvre rurale attirée par des emplois industriels plus rémunérateurs. Progressivement, un statut de salarié agricole, juridiquement normalisé allait émerger, associé à une formation technique de plus en plus poussée.
Eric Kocher-Marboeuf