Les naturistes

C'est un véritable scénario de comédie qui semble se dérouler sur la plage de Kerminihy, sur le littoral d'Erdeven, au cours de l'été 1974. La petite commune rurale du Morbihan voit sa tranquillité troublée par l'invasion de l'une de ses plages. À l'écart derrière la pointe de la Roche sèche, la plage la plus occidentale du littoral d'Erdeven a été choisie comme lieu de baignade et de bronzage pour des familles de naturistes. Dès 1972, le camping naturiste La Pinède s'était installé à deux kilomètres de la commune, accueillant le temps de l'été les adeptes de cet art de vivre. Erdeven devient alors le lieu d'expérimentation d'une forme de tourisme presque inédite sur la côte bretonne.

Le tourisme balnéaire, largement développé sur la côte bretonne, se décline sur la plage de Kerminihy sous une forme nouvelle. Dans les années 70, le naturisme est devenu une pratique populaire et familiale. C'est dès la fin du XIXe siècle que les idées du naturisme se sont développées en Europe, particulièrement en Allemagne puis en France, en accord avec certains principes hygiénistes ainsi qu'avec l'idéal du retour à la nature. Dans le courant des années 30, à l'ère de la conquête des loisirs et des sports et du développement du tourisme populaire, la vulgarisation du nudisme s'opère tandis que la pratique du camping se répand dans toute l'Europe. À la fin des années 60, de plus en plus séduits par les bienfaits de l'exposition aux éléments naturels, le nombre de naturistes en France a doublé.

On découvre dans ces images une pratique familiale, saine et populaire. Le naturisme est un retour aux sources le temps de l'été, dans un cadre naturel, collectif et convivial. C'est également une forme d'exaltation du corps et de la nature. Sur la plage de Kerminihy, la peau hâlée des estivants symbolise bien-être et bonne santé. Par le retour à la nudité naturelle, ce mode de relâchement temporaire de la contrainte sociale est aussi un mode de critique de la civilisation urbaine et industrielle. Le naturisme des années 70 est en effet marqué par la recherche d'une nouvelle qualité de vie ainsi que par certains changements dans les mentalités. Il incarne donc une forme de remise en cause de l'ordre établi, en lien direct avec la libération des mœurs, le féminisme et le pacifisme. Pratique encore transgressive à cette date, le naturisme est toutefois bien organisé en France depuis 1950 par la création de la Fédération Nationale de Naturisme. C'est donc dans un esprit militant qu'on le pratique sur la plage d'Erdeven, d'autant plus qu'il est encore peu accepté par la population locale.

En effet, bien que répandue, la pratique du naturisme est difficilement admise et suscite la curiosité de l'opinion publique. À Erdeven, le conflit qui se cristallise entre les naturistes et la population locale traduit moins une indignation pour des considérations morales qu'un sentiment d'invasion de la plage par une population extérieure, marginalisée. Vouée à se transformer avec l'avancée du tourisme, la population du littoral breton se trouve ici confrontée à une situation peu habituelle. Dans le camp des naturistes, on est armé contre la réprobation de ce mode de vie. Les événements de l'été 1974 ne font donc pas reculer les adeptes. Les naturistes de la plage d'Erdeven n'obtiennent toutefois une autorisation officielle qu'en 1983, parvenant ainsi à s'imposer sur l'une des rares plages nudistes du Morbihan.

Bibliographie

Arnaud Baubérot, Histoire du naturisme, le mythe du retour à la nature, PUR, 2004.