Paul Claudel évoqué par sa fille Marie
Notice
Geneviève Dermerch rencontre à Roubaix, madame Marie Fregnac-Claudel, fille de Paul Claudel. Celle-ci évoque son père, mais aussi sa tante Camille Claudel. Puis on se rend au village de Villeneuve-sur-Fère jusqu'à la maison de la famille Claudel. Là se trouve un buste de la jeune fille Violaine (de l'œuvre éponyme de Paul Caudel) sculpté par sa sœur Camille.
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Éclairage
Ce document diffusé en avril 1966 et dû au réalisateur Bernard Claeys présente la fille aînée du poète Paul Claudel, Marie Frégnac-Claudel dans sa maison de Roubaix. Hormis la parole mesurée de cette dernière, le respect évident porté à son père, l'attention prêtée par la caméra aux divers objets et souvenirs rapportés de tous les pays et continents fréquentés par l'ambassadeur Paul Claudel, l'intérêt de ce document tient surtout aux vues de Villeneuve-sur-Fère et notamment du presbytère où le poète est né en 1868 (1). Dont il convient de dire, réfutant le caractère imprécis du commentaire, qu'il n'appartient pas au Nord mais plutôt à la Champagne et à la Picardie. Villeneuve-sur-Fère, son village natal, situé à quelques pas des sources de l'Ourcq et tout aussi près de l'autoroute A 4 qui aujourd'hui relie Paris à Nancy, est en effet un village de la Communauté des Communes de Château-Thierry. Cette dernière, ayant acquis en 2012 la maison natale du poète (le presbytère), doit d'ailleurs l'ouvrir aux visiteurs en 2014. Y seront évoqués par les œuvres et les archives les figures de Claudel lui-même mais aussi de sa sœur la sculptrice Camille, son aînée de quatre ans. Rarement un lieu de naissance n'aura aussi éloquemment fait comprendre l'œuvre d'un écrivain comme dans le cas de Claudel. Non seulement certains patronymes de son théâtre, Violaine ou Cygne de Coufontaine, sont-ils directement issus de la toponymie locale mais il suffit de faire quelques mètres hors du village pour saisir l'aspect immuablement médiéval, voire roman, de ce paysage du Tardenois. La prégnance de la terre, l'ondulation des mouvements du sol évoquent d'emblée les Cinq Grandes Odes et ses images d'une "terre bien chauffante, tendre-feuillante et nourrie du lait de la pluie" (L'Esprit et l'Eau, Pékin 1906, Paris NRF 1913). C'est pourquoi ce vieil empire terrestre, la Chine, où Claudel sera Consul de 1895 à 1909, évoquera à son imagination des visions familières". Le soleil de la Pentecôte illumine la Terre nette et parée et profonde comme une église. L'air est si frais et si clair qu'il me semble que je marche nu, tout est en paix" (L'Entrée de la terre. Connaissance de l'Est, Pékin 1897, Paris 1900). Claudel, où qu'il soit sur Terre, apparaît comme un paysan, parle comme un paysan, d'une langue volontairement rude, fleurie et grossière. Il y a dans son écriture, dirait-on par image, de la pierre équarrie de Champagne et du cep de vigne noueux. Vigneron danseur, il l'est encore plus vigoureusement dans la quatrième Ode, La Muse qui est la grâce, lorsqu'il lance "et foule la terre sous tes pieds comme quelqu'un qui danse !". Et voici tout à coup un souvenir d'enfance que le poète évoque tel quel, dans sa brutalité, et dont il réussit à faire usage dans sa poétique "Comme ton oncle, le gros chasseur, quand il fut frappé de son coup de sang, on l'entendait râler à l'autre bout du village". Car il y a avant tout notre lien à la gravité de la terre, qui est à jamais notre prison et s'élever au-dessus d'elle par l'esprit ne peut se faire qu'en la comprenant, qu'en l'intégrant au rythme du poème. "Va t'en ! Je me retourne désespérément vers la terre ! Va t'en ! tu ne m'ôteras point ce froid goût de la terre, Cette obstination avec la terre qu'il y a dans la moelle de mes os et dans le caillou de ma substance et dans le noir noyau de mes viscères !...Comme un grand arbre qui s'en va rechercher le roc et le tuf de l'embrassement et de la vis de ses quatre-vingt deux racines ! Qui a mordu à la terre, il en conserve le goût entre les dents." (La Muse qui est la grâce. Quatrième Ode. Tientsin 1907. Paris, 1913). C'est pourquoi, nous semble-t-il, il convient d'effectuer ce voyage aux frontières limitrophes de la Picardie et la Champagne, donc de la craie, l'argile et la vigne pour pouvoir goûter à sa juste saveur la poésie de Paul Claudel.
(1) On peut consulter sur le site ina.fr différents documents radio ou télévisuels consacrés à Paul Claudel et son oeuvre. On l'entend parler de Villeneuve-sur-Fère dans un entretien avec Jean Amrouche datant de1951 dans le documentaire Claudel et "Le Soulier de satin". On y retiendra des entretiens avec le poète lui-même ou encore une interviewe réalisée quelques jours avant son décès en février 1955 à l'occasion de la reprise de L'annonce faite à Marie à La Comédie Française.