Paul Claudel évoqué par sa fille Marie

23 avril 1966
07m 29s
Réf. 00724

Notice

Résumé :

Geneviève Dermerch rencontre à Roubaix, madame Marie Fregnac-Claudel, fille de Paul Claudel. Celle-ci évoque son père, mais aussi sa tante Camille Claudel. Puis on se rend au village de Villeneuve-sur-Fère jusqu'à la maison de la famille Claudel. Là se trouve un buste de la jeune fille Violaine (de l'œuvre éponyme de Paul Caudel) sculpté par sa sœur Camille.

Type de média :
Date de diffusion :
23 avril 1966
Personnalité(s) :

Éclairage

Ce document diffusé en avril 1966 et dû au réalisateur Bernard Claeys présente la fille aînée du poète Paul Claudel, Marie Frégnac-Claudel dans sa maison de Roubaix. Hormis la parole mesurée de cette dernière, le respect évident porté à son père, l'attention prêtée par la caméra aux divers objets et souvenirs rapportés de tous les pays et continents fréquentés par l'ambassadeur Paul Claudel, l'intérêt de ce document tient surtout aux vues de Villeneuve-sur-Fère et notamment du presbytère où le poète est né en 1868 (1). Dont il convient de dire, réfutant le caractère imprécis du commentaire, qu'il n'appartient pas au Nord mais plutôt à la Champagne et à la Picardie. Villeneuve-sur-Fère, son village natal, situé à quelques pas des sources de l'Ourcq et tout aussi près de l'autoroute A 4 qui aujourd'hui relie Paris à Nancy, est en effet un village de la Communauté des Communes de Château-Thierry. Cette dernière, ayant acquis en 2012 la maison natale du poète (le presbytère), doit d'ailleurs l'ouvrir aux visiteurs en 2014. Y seront évoqués par les œuvres et les archives les figures de Claudel lui-même mais aussi de sa sœur la sculptrice Camille, son aînée de quatre ans. Rarement un lieu de naissance n'aura aussi éloquemment fait comprendre l'œuvre d'un écrivain comme dans le cas de Claudel. Non seulement certains patronymes de son théâtre, Violaine ou Cygne de Coufontaine, sont-ils directement issus de la toponymie locale mais il suffit de faire quelques mètres hors du village pour saisir l'aspect immuablement médiéval, voire roman, de ce paysage du Tardenois. La prégnance de la terre, l'ondulation des mouvements du sol évoquent d'emblée les Cinq Grandes Odes et ses images d'une "terre bien chauffante, tendre-feuillante et nourrie du lait de la pluie" (L'Esprit et l'Eau, Pékin 1906, Paris NRF 1913). C'est pourquoi ce vieil empire terrestre, la Chine, où Claudel sera Consul de 1895 à 1909, évoquera à son imagination des visions familières". Le soleil de la Pentecôte illumine la Terre nette et parée et profonde comme une église. L'air est si frais et si clair qu'il me semble que je marche nu, tout est en paix" (L'Entrée de la terre. Connaissance de l'Est, Pékin 1897, Paris 1900). Claudel, où qu'il soit sur Terre, apparaît comme un paysan, parle comme un paysan, d'une langue volontairement rude, fleurie et grossière. Il y a dans son écriture, dirait-on par image, de la pierre équarrie de Champagne et du cep de vigne noueux. Vigneron danseur, il l'est encore plus vigoureusement dans la quatrième Ode, La Muse qui est la grâce, lorsqu'il lance "et foule la terre sous tes pieds comme quelqu'un qui danse !". Et voici tout à coup un souvenir d'enfance que le poète évoque tel quel, dans sa brutalité, et dont il réussit à faire usage dans sa poétique "Comme ton oncle, le gros chasseur, quand il fut frappé de son coup de sang, on l'entendait râler à l'autre bout du village". Car il y a avant tout notre lien à la gravité de la terre, qui est à jamais notre prison et s'élever au-dessus d'elle par l'esprit ne peut se faire qu'en la comprenant, qu'en l'intégrant au rythme du poème. "Va t'en ! Je me retourne désespérément vers la terre ! Va t'en ! tu ne m'ôteras point ce froid goût de la terre, Cette obstination avec la terre qu'il y a dans la moelle de mes os et dans le caillou de ma substance et dans le noir noyau de mes viscères !...Comme un grand arbre qui s'en va rechercher le roc et le tuf de l'embrassement et de la vis de ses quatre-vingt deux racines ! Qui a mordu à la terre, il en conserve le goût entre les dents." (La Muse qui est la grâce. Quatrième Ode. Tientsin 1907. Paris, 1913). C'est pourquoi, nous semble-t-il, il convient d'effectuer ce voyage aux frontières limitrophes de la Picardie et la Champagne, donc de la craie, l'argile et la vigne pour pouvoir goûter à sa juste saveur la poésie de Paul Claudel.

(1) On peut consulter sur le site ina.fr différents documents radio ou télévisuels consacrés à Paul Claudel et son oeuvre. On l'entend parler de Villeneuve-sur-Fère dans un entretien avec Jean Amrouche datant de1951 dans le documentaire Claudel et "Le Soulier de satin". On y retiendra des entretiens avec le poète lui-même ou encore une interviewe réalisée quelques jours avant son décès en février 1955 à l'occasion de la reprise de L'annonce faite à Marie à La Comédie Française.

Jacques Darras

Transcription

Catherie Claeys
Nous avons voulu retrouver madame Freignac et nous lui avons rendu visite à Roubaix. Cette dame, dont le nom de jeune fille est Marie Claudel. Madame Fregnac, vous êtes Marie Claudel. Votre présence à ce spectacle et dans le nord, est-ce une pure coïncidence, un hasard ?
Marie Fregnac
Non, pas du tout, puisque j’ai épousé un homme du nord, de Roubaix. Et du fait que je ne sois pas très loin de l’Aisne, pays natal de mon père…
Catherie Claeys
Villeneuve ?
Marie Fregnac
Villeneuve, Fère-en -Tardenois, Soissons, Reims…
Catherie Claeys
Encore le Nord.
Marie Fregnac
Oui.
Catherie Claeys
On peut dire que vous êtes une femme du nord, et presque que Paul Claudel est un homme du nord. Vous êtes sa première… sa fille aînée, je crois ?
Marie Fregnac
Oui, la fille aînée de 5. Je suis l’ainée, donc. Mon frère Pierre vient après. J’ai une soeur, Reine, un frère, Henri, et une soeur, Renée. Et nous avons, à nous tous, 19 enfants, donc 19 petits-enfants pour mes parents, enfin pour mon père qui était toujours très fier d’avoir des petits enfants autour de lui.
Catherie Claeys
Et parmi eux, il y avait, je crois, Violaine ?
Marie Fregnac
Violaine qui est la fille aînée de mon frère Pierre et Marie Cygne de Coûfontaine, dans "L'Otage" qui est la fille aînée de mon frère Henri.
Catherie Claeys
Ce sont des prénoms qui ont été donnés après les pièces, la création des pièces ?
Marie Fregnac
Oui, bien sûr, parce que l’"Annonce" a été créée bien avant que nous soyons de ce monde. Et c’est en souvenir de ces pièces, et pour faire plaisir à mon père, que nous avons… que mes frères ont pris ces noms pour leurs filles.
Catherie Claeys
Et Violaine était un nom du pays, je crois ?
Marie Fregnac
C’est un nom du pays. C’est un village qui n’est pas très loin de Villeneuve. Donc il prend beaucoup, aussi, des noms du village. Mais ce n’est pas une Sainte.
Catherie Claeys
Non, il n'y a pas de sainte Violaine. Nous sommes très émus de nous retrouver dans une maison du nord comme celle-ci, typiquement du nord et d’y trouver, d’une façon aussi insolite, aussi inattendue, tant de souvenirs du poète. Pouvez-vous nous les montrer ?
Marie Fregnac
Eh bien oui. Il y a, au mur, 4 tableaux du Soulier de satin , peints par José Maria Sert pour le livre du Soulier de satin illustré pour lui en livre de luxe. Et ces 4 journées représentent, évidemment, les 4 actes principaux de la pièce. Et puis…
Catherie Claeys
Vous avez aussi des objets qui…
Marie Fregnac
J'ai un kakemono qui revient de chine, et puis divers petits objets chinois, des souvenirs qu’on ramène quand on voyage avec un père diplomate en plus d’écrivain. Voici toutes les oeuvres de mon père. Vous voyez, ici, les oeuvres complètes qui viennent de sortir. En haut, vous verrez, on voit les morceaux choisis, des oeuvres sur l’exégèse, des souvenirs de voyage. Et plus bas, vous voyez des photos de ses parents, son père, sa mère, puis Claudel à l’âge de 18 ans.
Catherie Claeys
N’est-ce pas l’époque de Villeneuve ?
Marie Fregnac
C’est l’époque de Villeneuve.
Catherie Claeys
De son enfance campagnarde ?
Marie Fregnac
Oui, exactement. Et alors sa soeur, Camille, qui a fait cette sculpture, puisqu’elle était elle-même une artiste et qu’elle était l’élève de Rodin, elle est donc partie, elle, la première de Villeneuve. C’est elle qui a entraîné toute la famille. Et elle a fait signe à Paul de venir. Et il l’a suivie. Et sa famille, ensuite, a suivi, tout le monde, et les voilà donc à Paris, boulevard Voltaire.
Catherie Claeys
Je vous interromps. N’était-ce pas une maîtresse-femme ? Pour attirer comme ça, toute cette famille, elle devait avoir une personnalité extraordinaire.
Marie Fregnac
Oui, elle avait un caractère terrible. D’ailleurs, si mon père a donné Mara, c’est en pensant à elle parce qu’elle avait un caractère épouvantable. Elle était très difficile à vivre. Mais enfin, c’était aussi un génie dans son genre. Mon père était diplomate, a été en Chine après avoir été en Amérique. C’était son premier poste. Du reste, en Chine, c’est là où je suis née, à Tien Sin.
Catherie Claeys
Et depuis, vous n’avez pas quitté ?
Marie Fregnac
Depuis, je ne l’ai pas quitté jusqu'au moment de la Belgique c'est-à-dire à la fin de sa carrière. C’était son dernier poste, c’était Bruxelles.
Catherie Claeys
Il revenait aux sources. Il revenait dans le nord.
Marie Fregnac
Oui.
Catherie Claeys
Mais pouvez-vous me dire quelle était votre vie avec votre père, là-bas ?
Marie Fregnac
Eh bien, c’était une vie très simple parce que mon père était très simple malgré toutes ses… vie diplomatique, ses occupations. Nous, on le voyait surtout au petit-déjeuner, le matin, parce que c’était là où il était le plus gai, le plus content, le plus heureux. C’était plus facile pour nous de lui parler. Il ne nous parlait pas de grand-chose au point de vue oeuvre parce qu’il avait horreur de parler de ce qu’il faisait. Mais nous allions, nous, en catimini, dans son bureau, et on allait regarder dans ses papiers, dans ses manuscrits, dans on journal.
Catherie Claeys
Vous étiez très curieux ?
Marie Fregnac
Nous étions très curieux parce qu’évidemment, nous voulions nous tenir au courant de ce qu’il faisait. Et puis ensuite, il nous emmenait… Très souvent, on se baladait, l’après-midi. On sortait avec lui. Il aimait beaucoup les boutiques, il marchait énormément.
Catherie Claeys
Et vous êtes revenue à Villeneuve à quelle époque ?
Marie Fregnac
En 14, parce que mon père a été nommé à Frankfort ou Hambourg, et la guerre a éclaté à ce moment-là. Lui était en poste. Et pour nous envoyer à l’abri, il nous a envoyés chez notre grand-mère paternelle, voici, à Villeneuve, où nous sommes restés deux ans, un an. Deux ans avec mon frère ainé Pierre.
Catherie Claeys
Et c’est là que vous avez dû comprendre mieux encore….
Marie Fregnac
C’est là que j’ai vécu, parce que ma grand-mère en parlait beaucoup, forcément. Elle parlait souvent de Paul malgré qu’elle n’était pas du tout de son avis parce qu’il était, lui, à ce moment-là, converti et que ma grand-mère ne l’était pas du tout. Alors ça, il y avait toujours des heurts au point de vue religieux. Mais enfin, malgré ça, elle gardait une certaine déférence et nous obligeait à aller à la messe tous les dimanches. Et je me souviens, quand j’étais petite fille, j’avais deux grandes tresses. On me mettait un chapeau parce que c’était vraiment… et des gants et des bas. Parce qu’à l’époque, il ne fallait être découverte et les jambes nues, mais enfin, elle y tenait beaucoup. Et ma grand-mère nous accompagnait toujours.
(Musique)
Catherie Claeys
C’est un garçon de ce village, Villeneuve, qui, à 22 ans, écrit donc "L’Annonce faite à Marie", ce grand mystère de la foi, inspiré par la paix divine de cette terre, par cette sève qui nourrira l’alchimie de son verbe.
(Musique)
Catherie Claeys
Voici la petite rue de son enfance.
(Musique)
Catherie Claeys
La maison familiale.
(Musique)
Catherie Claeys
Et la maison natale…
(Musique)
Catherie Claeys
… collée à l’église que ses parents ne fréquentent pas.
(Musique)
Catherie Claeys
Voici la cheminée dont il parle dans L’Annonce . Un buste de Violaine fait par sa soeur. La grande table. Le vaisselier qui garde tous les souvenirs d’Orient, cet Orient dont il rêvait en feuilletant l’atlas, le soir.
(Musique)