L'enfance de Gérard de Nerval

15 janvier 1967
05m 35s
Réf. 00738

Notice

Résumé :

Le poète Jean Rousselot évoque l'enfance de Gérard de Nerval à Mortefontaine dans l'Aisne. Il ne reste plus que la maison délabrée qui appartenait à l'oncle du poète où, peut-être, il habita. Sur les images des décombres de la maison, sont évoqués les livres que le jeune Gérard a pu lire. Ce voyage se termine à Loisy, village où Gérard de Nerval était en nourrice, puis à l'école de Mortefontaine.

Type de média :
Date de diffusion :
15 janvier 1967
Personnalité(s) :

Éclairage

C'est en décembre 1836, écrivant dans le Figaro, que Gérard Labrunie prend le pseudonyme Gérard de Nerval. Ce journaliste de 28 ans (né en 1808) est un Parisien du cœur de Paris. Son père exerce la médecine rue Saint-Martin à hauteur du n°168 actuel. Sa mère est la fille d'un commerçant linger établi rue Coquillière, le futur quartier des Halles. Cependant toute la petite enfance de Gérard, jusqu'à l'âge de 6 ans, s'est déroulée dans le Valois. D'abord mis en nourrice au village de Loisy, il a été élevé par son grand oncle maternel Antoine Boucher habitant Mortefontaine. C'est d'ailleurs en référence à une pièce de terre limitrophe de Loisy et appartenant à cet oncle, dite Clos de Nerval, que le poète prendra son pseudonyme. Le Valois, qui va figurer de manière récurrente et quasiment transfigurée dans l'œuvre de l'écrivain est demeurée, aujourd'hui encore, malgré la trouée brutale que font à terre l'autoroute A1 ou dans les airs les incessants croisements des longs courriers décollant de Roissy, une région secrète de forêts et de châteaux. Tout au long des vallées de la Launette et la Nonette, à Ermenonville, Versigny, Fontaine-Chaalis, mais aussi bien dans les alentours de Senlis, à Ognon, Brasseuse et Raray, se cachent des résidences au milieu de somptueux hectares de parcs qui, protégés par le label Parc Régional, donnent l'idée de ce que pouvait être cet espace à l'époque du poète. Villages de petites fermes en pierre locale de teinte jaune ocre pâle, aux façades couvertes de vignes, de roses et roses trémières, ce sont autant de villages royaux blottis au milieu de forêts royales fréquentées pour la chasse depuis François Ier où Nerval, grand voyageur à travers l'Europe et l'Orient, étalonna ses premières marches. Qu'on se reporte par exemple à La Bohème galante (1852) résonnant des mystérieux poèmes chantés qui constituent le répertoire des plus pures chansons françaises, ou bien qu'on se tourne vers Sylvie (1853) et Aurélia (1854) sans omettre le récit Les Faux Saulniers (1850), sans cesse y reviennent les noms et les paysages de Senlis, Chaalis et Ermenonville, à la fois lieux de départ pour l'imagination (la route des Flandres) mais aussi points d'ancrage d'une incurable nostalgie pour un avant, un arrière-pays ressemblant à l'enfance. De ce territoire, Gérard de Nerval a sans doute fait, par la littérature, le paysage français le plus véritablement romantique. Il est vrai qu'il fut toute sa vie durant le fidèle adaptateur de la poésie allemande (Goethe, Schiller, Heine) et que ses incursions vers le Rhin sur les pas de son père, médecin attaché aux armées impériales à partir de 1808 et de sa mère morte et enterrée deux ans plus tard à Glogow en Basse Silésie constituèrent la matière même de ses rêves de retour impossible. Dans cet extrait des Bonnes adresses du passé, une émission de l'ORTF qui faisait découvrir les villes, villages et demeures de personnages célèbres, l'auteur du commentaire assez hasardeusement psychanalytique n'est autre que le poète Jean Rousselot.

Jacques Darras

Transcription

Bernard Roland
La poussière, le plâtre, le salpêtre, le bois taraudé par le ver qui moud consciencieusement une farine ligneuse, la place encore chaude d’une chatte sur un lit, une fenêtre aveuglée que perce un lierre sans scrupule. Il ne manque ici qu’une table avec un traité de la divination des songes pour que commence l’incantation magique qui ouvre le domaine de l’illusion.
(Musique)
Jean Rousselot
On nous a dit que dans le grenier du grand-oncle Bouchet, chez qui Gérard de Nerval a passé une grande partie de son enfance, il y avait beaucoup de livres d’occultisme, de magie, des livres cabalistiques. Je ne sais dans quelle mesure on peut penser qu’un enfant de 6 ans s’est plongé dans tout cela. Mais s’il s’y est plongé, (et après tout, pourquoi pas ? ), on peut penser qu’il a aussi trouvé dans ce grenier, dans cette bibliothèque, des ouvrages ayant trait à la chevalerie. En allant un peu loin, on pourrait penser que ce sont un peu ceux qui avaient troublé l’esprit, plus ou moins, de certains héros de Cervantès, enfin, Don Quichotte, n’est-ce pas. On pense à la chevalerie pour la noblesse, pour le blason, pour tout le côté emblématique. Mais il y a aussi le côté attitude, n’est-ce pas. Alors son père… Oui, mais je ne pense pas que son père ait été ce qu’on peut appeler un chevalier, n’est-ce pas. C’était un médecin militaire. Je pense que l’image de son père pourrait avoir eue sur Nerval une influence tout autre. Nerval n’a pas vu pratiquement beaucoup son père dans ses premières années puisque ce médecin militaire est parti faire campagne emmenant avec lui madame Labrunie et non pas Nerval. Vous voyez ? Tout de suite, je dis Nerval au lieu de dire Labrunie. Et quand le père est revenu, il y a une image, il y a même deux images que l’on connait qui ont pu déterminer peut-être, j’allais dire, sa vocation, ce qui serait… ce qui ne conviendrait pas. Disons l’orientation générale de son esprit vis-à-vis du père, vis-à-vis de l’image du père notamment. C’est que ce père, dans l’élan de sa tendresse pour ce fils retrouvé, le sert violemment contre sa poitrine pour l’embrasser. Et le petit Gérard a un mouvement de répulsion, n’est-ce pas, et il crie : « Mon père, tu me fais mal ! » Et il y a autre chose aussi, une deuxième image : c’est que le père revient blessé. Le père revient blessé à un pied, ce qui le fait boiter. Alors là, nous entrons évidemment dans le freudisme et dans toutes ses conséquences. On peut supposer que l’image de ce père brutal, qui sert son enfant trop fort dans ses bras, que d’autre part, le fait que ce père soit bancal comme Byron mais aussi comme le diable, on peut penser que ces images ont pu conditionner ,dans une certaine mesure, la représentation idéale que ce poète se faisait du Père avec un P majuscule naturellement. Et sa mère, on n’en sait d’ailleurs pas grand-chose. On sait simplement qu’elle est morte jeune. Elle est morte en Allemagne. Elle est morte sur le chemin du retour, si je puis dire, puisqu’elle avait accompagné son mari. On sait où se trouve sa tombe. Chose étrange, d’ailleurs, il ne semble pas que Gérard de Nerval, quand il est allé en Allemagne, ait fait le crochet qui lui aurait permis d’aller sur la tombe de sa mère. Et là, j’y vois d’ailleurs encore un symbole. Je me demande si cette mère n’était pas devenue une mère absolument idéale, n’est-ce pas. Le contact avec son tombeau, dans le fond, l’aurait plutôt heurté, n’est-ce pas, en la rendant soudain par trop concrète. Il y a eu, chez cet enfant sans mère, comme chez tous les enfants sans mère, d’ailleurs, une sorte de permanente nostalgie vers, dirons-nous, la forme idéale de la maternité. A travers toutes les femmes, c’est sa mère qu’il a cherchée, plus ou moins consciemment, plus ou moins obscurément. Je crois que c’est seulement peut-être vers la fin de sa vie, quand il a écrit "Aurélia", par exemple, que ce symbole s’est éclairé pour lui. D’ores et déjà, il avait pu s’en rendre compte à travers ses lectures de Goethe. La Mère, c’est la mère avec une grande majuscule, ce sont les mères, en réalité. Mais dans "Aurélia", vers la fin d"’Aurélia", vers la fin de sa vie. Cela se précise. On sent vraiment que la grande forme féminine vers laquelle il va, c’est vraiment une forme à la fois cosmique et intellectuelle qu"’Aurélia" lui représente. C’est d’ailleurs très beau, ce passage, ce passage qui se trouve vers le milieu, à peu près, de ce grand texte où, à partir d’une femme qui est une femme d’une taille normale et naturelle, se bâtit dans tout l’univers une femme géante, gigantesque qui est à la fois la nature, la nature toute entière, la mère, l’objet permanent et gigantesque d’adoration que Nerval peut avoir. En même temps, bien entendu, la symbolique religieuse intervient.
(Musique)
Bernard Roland
Cette femme géante et nourricière, c’était peut-être la bonne paysanne de Loisy qui servit de nourrice à Gérard de Nerval durant les deux premières années de son existence. Et si la maison de nourrice existe toujours à Loisy, à Mortefontaine, les écoliers ne se soucient pas du petit garçon qui, il y a un siècle et demi, quittait l’école en courant pour aller s’amuser comme eux dans les rues du village.
(Musique)