Voeux pour l'année 1962

29 décembre 1961
18m
Réf. 00222

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle présente ses voeux aux Français pour l'année 1962. Après avoir rappelé la stabilité retrouvée des institutions, il évoque la résolution prochaine du conflit algérien, puis il annonce que la modernisation du pays va se poursuivre.

Type de média :
Date de diffusion :
29 décembre 1961
Type de parole :

Éclairage

C'est par l'intermédiaire de la télévision que le général de Gaulle présente ses voeux aux Français pour la nouvelle année 1962, comme c'est désormais la tradition depuis 1960. Il y réalise le bilan de l'année écoulée et annonce les perspectives pour 1962 ; et en ce 29 décembre 1961, la situation de la France se révèle être très agitée.

Le drame algérien tout d'abord, déstabilise le régime : depuis l'annonce de l'autodétermination et l'ouverture des négociations en mai 1961, les événements dramatiques se succèdent : l'Organisation Armée Secrète (OAS), créée durant l'été, multiplie les attentats à l'explosif en métropole ; au printemps, la tentative de coup d'État de quatre généraux (Challe, Jouhaud, Zeller rejoints par Salan) avait contraint le Général à intervenir sur les ondes télévisées pour exiger le retour à l'ordre ; en octobre, à Paris, la manifestation des Musulmans de la région parisienne - organisée à l'appel du F.L.N. - était violemment réprimée. C'est dans ce contexte extrêmement tendu que de Gaulle - sans jamais dévier de la ligne désormais tracée - déclare que la France se tient prête, " dès lors qu'auraient cessé les combats et les attentats " à " apporter sa coopération à un État algérien souverain et indépendant ". En effet, la dernière phase des négociations - rompues le 13 juin 1961 sur la question du Sahara - reprendra moins de deux mois après cette allocution, le 11 février 1962, engageant alors la France - plus de sept ans après le début de la guerre - à tourner définitivement la page de la colonisation.

Mais l'Algérie n'est pas le seul problème qui se pose alors à la France. En effet, durant l'été 1961, la proximité d'une troisième guerre mondiale n'a jamais été aussi proche : le mur de Berlin, construit par les soviétiques et qui sépare désormais la ville en deux, marque d'une manière retentissante les velléités souverainistes de l'URSS face aux pays du bloc de l'ouest, de même que la reprise de ses essais nucléaires quelques jours plus tard.

En politique intérieure, le gouvernement doit faire face à la grève des mineurs de Decazeville : ceux-ci protestent contre l'annonce de la fermeture définitive des mines de fond - qui ne sont plus rentables - faite dès 1960. " La grève, bien souvent, paraît inutile, voire anachronique " leur rétorque le général de Gaulle. Débuté le 19 décembre 1961, le mouvement des mineurs ne s'achèvera que le 23 février 1962, sans qu'aucun accord ne soit conclu.

Le Général évoque également pêle-mêle les nouvelles institutions (adoptée en janvier 1959 et qui doivent assurer la pérennité de la nation), le redressement économique de la France (mais qui est encore grevé par le conflit algérien) et la construction de l'Europe (la réconciliation franco-allemande et l'union économique du Marché Commun). Il achève son discours en exprimant ses souhaits " très confiants et très ardents de bonheur et de grandeur ".

Aude Vassallo

Transcription

Charles de Gaulle
Voici l'année nouvelle, la France en a vécu beaucoup. Cependant, elle accueille celle-ci sans manquer à l'espérance. C'est qu'en effet, elle sait où elle en est, ce qu'elle vaut et ce qu'elle veut. Il y aura bientôt quatre ans, que quittant le chemin du déclin, elle a pris la route qui monte. Cela eut lieu, qui peut l'oublier, en raison de certaines évidences qui s'imposèrent à la Nation. Impuissance du régime des partis, qui, après nous avoir conduit au désastre de 1940, avait, une fois le péril passé, recommencé ces jeux stériles. Abdication de l'Etat devant la menace de guerre civile dressée à l'occasion de l'affaire d'Algérie. Imminence d'une faillite monétaire, financière et économique, entraînée par une longue suite de faiblesse et de laisser-aller. Je ne dirais certainement pas que depuis lors, nous ayons vécu dans une complète tranquillité et une entière satisfaction. Aussi bien, ce n'était pas possible, parce que des forces énormes sont à l'oeuvre qui bouleversent l'univers, et nous secouent nous-mêmes, à chaque instant. C'est ainsi que les ambitions du système soviétique, les excitations qu'il prodigue à tout ce qui sur la terre tend au désordre et à la haine. Le danger de guerre atomique qu'il fait planer sur le genre humain, les interventions provocantes qu'il prodigue, à mesure de ces drames intérieurs, et notamment aujourd'hui, pendant cet espèce de Thermidor, où il affecte de condamner la longue série passée de ses crimes et de ses abus, sans renoncer à leur cause qui s'appelle le totalitarisme. Tout cela nous oblige à nous mettre en garde, à pourvoir à notre défense, à maintenir des alliances difficiles. En outre, l'agitation chronique d'un grand nombre de peuples d'Asie et d'Afrique, parvenus à l'indépendance ou sur le point d'y parvenir, sans posséder les moyens de subsister et de se développer. Et d'autant plus portés à la démagogie xénophobe, remplissent la terre de tumultes bruyants. D'autre part, à l'intérieur de nous-mêmes, notre grande entreprise de rénovation nationale remue inévitablement, les intérêts particuliers, les routines et les partis pris. Et enfin, l'acheminement du problème algérien vers une solution de bon sens, ne laisse pas de provoquer dans un groupe criminel des révoltes, hier ouvertes, et aujourd'hui concentrées en chantage et en assassinat. Mais quelles que soient les difficultés que comporte par le temps qui court, la marche de la Nation française, vers la prospérité, vers la puissance et le redressement de son action internationale, elle n'en continue pas moins son oeuvre, avec un succès évident et une constance que rien n'ébranle. A cet égard, le contraste est saisissant par rapport à la confusion où naguère, elle se débattait. Si l'Etat en d'autres temps s'est incliné devant les sommations que certains éléments dressaient contre lui, pour l'emporter, c'est un fait que depuis 3 ans et 7 mois, le pouvoir responsable, malgré tout, n'a pas changé de route. Assurément, le caractère dont ont pu le marquer les évènements de l'histoire, contribue à sa solidité. Mais il la tient surtout de l'unité nationale établie autour de lui. Si dans l'ordre politique, depuis janvier 1947, jusqu'en mai 1958, soit en l'espace d'environ 11 ans, se succédèrent 22 cabinets, ensuite notre pays, depuis presque 4 années, a eu un seul gouvernement. Et au cours des 3 ans écoulés, depuis que fut mise en oeuvre l'actuelle constitution, je n'ai nommé qu'un Premier Ministre, une pareille stabilité, et certainement facilitée par l'esprit et par le texte des nouvelles institutions, mais elle n'est possible, en somme, que parce qu'elle répond à la volonté du pays. Si dans le domaine social on constate, que pour 9 millions d'ouvriers français, il y a eu, par suite des conflits du travail, sous les régimes précédents, chaque année, en moyenne, 7 millions de journées de grève, sous le régime présent, ce n'est plus qu'un million par an. Une amélioration aussi considérable procède, évidemment, de l'expansion et de l'effort menés par l'Etat, pour que le sort de chacun bénéficie des progrès accomplis, mais aussi, la grève, bien souvent, paraît aujourd'hui, inutile, voire anachronique. Parce que le peuple français a conscience de l'importance vitale du développement de la France, et aussi parce que les travailleurs et leurs organisations prennent une part grandissante de responsabilités dans les études, les débats, les plans qui règlent, soit pour l'ensemble, soit dans chaque branche, l'activité économique de la Nation. Si au point de vue économique, où le critère est la balance des comptes extérieurs, celle-ci n'avait jamais cessé d'être gravement déficitaire depuis la fin de la guerre jusqu'en mai 1958, au point que pour empêcher l'effondrement, on ne pouvait rien tirer des humiliantes sollicitations dont on avait usé et abusé auprès des autres Etats. Un renversement complet s'est accompli tout à coup, en 1959, 1960, 1961, il ne s'est pas passé un mois où l'étranger n'ait payé à la France, plus que celle-ci ne lui avait versé. Assurément, les lourdes mesures qui ont été prises lors de la grande opération financière, monétaire et économique que l'on sait, ont pour beaucoup contribué à ce changement de la tendance. Mais ces mesures ne valent et ne tiennent que parce que la masse des français les acceptent et les approuvent. Au total, notre pays a trouvé l'équilibre qui est la condition de tout. Quoiqu'il arrive, les moyens nécessaires seront pris pour le maintenir. C'est pourquoi, la Nation aborde l'année nouvelle lucidement et sereinement. Non point qu'elle se dissimule les traverses qu'elle va rencontrer, mais elle entend poursuivre son oeuvre dans les conditions qu'elle a choisies et les buts qu'elle a fixés. Qu'est-ce à dire ? Voici pour l'essentiel. Une négociation qui s'engagerait entre les grandes puissances de l'ouest, et la Russie soviétique, pour tenter de régler les problèmes du monde, notamment celui de l'Allemagne, trouverait, sans aucun doute, notre participation constructive. Mais il faudrait qu'eut cessé l'état de tension créé par les mises en demeure et les menaces du Kremlin. Il faudrait aussi qu'il s'agisse de rééquilibrer l'Europe et non point aggraver l'emprise de Moscou sur notre continent. En Europe même, l'union de six Etats qui se dessinent dans les domaines, politique, économique, culturel, et dans celui de la défense, la France veut, pour sa part, continuer à la développer, mais de telle sorte que les intérêts de tous, qu'ils soient industriels ou qu'ils soient agricoles, y trouvent également leur compte, et que la Nation elle-même reste à l'intérieur de l'organisation commune. En Algérie, la France entend que d'une manière ou d'une autre se terminent les conditions actuelles de l'engagement politique, économique, financier, administratif et militaire, qui la tient liée à ce pays. Et qui s'il restait ce qu'il est, ne serait être, pour elle, qu'une entreprise à hommes et à fonds perdus, alors que tant d'autres tâches appellent ses efforts ailleurs. Cependant, dès lors qu'auraient cessé les combats et les attentats, elle serait disposé à apporter sa coopération à un Etat algérien souverain et indépendant. Procédant du libre suffrage des habitants, pourvus que ses intérêts essentiels soient garantis, en échange de ce qu'elle fournirait. Actuellement encore, c'est là la solution qui lui paraît la meilleure. Parce que l'association des communautés algériennes y trouveraient sans doute sa chance. Et parce qu'il pourrait en sortir des rapports d'avenir féconds, entre elle-même d'une part, l'Algérie et l'Afrique du nord, d'autre part. Il semble, aujourd'hui, possible, que tel doive être en effet, en vertu d'un accord réciproque, l'aboutissement d'un drame cruel. Mais dans tous les cas, l'année qui vient sera celle du regroupement en Europe, et de la modernisation de la plus grande partie de l'armée française. Dès le mois prochain, deux divisions nouvelles et certaines formations aériennes commenceront le mouvement qui les ramènera d'Algérie dans la métropole, comme celles qui viennent d'être transférées et comme d'autres qui les suivront. En même temps, un allègement de nos charges en effectif nous aideront à pourvoir à nos dépenses d'armement moderne. Enfin, Et c'est la condition suprême de son avenir, la France entend continuer l'oeuvre immense de sa rénovation intérieure, au point de vue économique, social, scolaire, scientifique, technique et démographique. Avec ardeur, elle commence la mise en oeuvre du grand plan, qui en 4 ans, peut et doit porter son peuple, à un niveau d'existence qu'il n'avait jamais atteint, ainsi qu'à une capacité, une puissance, digne de ce qu'il se doit à lui-même et de ce qu'il doit aux autres. Comme justement cet objectif répond à une grande ambition, la France sait que le travail à fournir, les obligations à accomplir sont à la mesure des résultats à obtenir, et que le progrès exige un effort discipliné. Voilà nos buts. Ils sont clairs et ils sont tels qu'ils doivent servir à tous sans nuire à qui que ce soit. Puissent tous les peuples en faire autant. Françaises, Français, au nom du pays, je souhaite une bonne année, à ses filles et à ses fils, c'est-à-dire : à chacune et à chacun de vous. Ces voeux vont en particulier aux petits enfants qui naîtront en 1962, et ajouteront à nos espérances. Et puis tous ensemble, nous portons vers la France, nos voeux très confiants et très ardents, de bonheur et de grandeur. Vive la République, vive la France. !