La Loi-cadre Defferre de 1956
Notice
Gaston Defferre, ministre de l'Outre mer dans le gouvernement Mollet, est venu présenter sa loi-cadre modifiant les institutions de l'Union française et le mode électoral en Afrique Occidentale française et Equatoriale française ; il répond aux questions d'étudiants de Sciences-Po.
Éclairage
Gaston Defferre, ministre de la France d'Outre-mer du gouvernement Guy Mollet, présente en décembre 1956, devant un parterre d'étudiants métropolitains, sa « loi-cadre » entrée en vigueur quelques mois auparavant en AOF et en AEF. Ce texte législatif (n° 56-619) adopté par le Parlement le 23 juin 1956 constitue une étape importante dans le processus d'émancipation des territoires coloniaux en Afrique française. Élaborée par Defferre lui-même avec l'appui de Félix Houphouët-Boigny, elle transforme en profondeur la façon de gouverner les colonies françaises d'Afrique, modifie les pratiques électorales et amorce l'africanisation des cadres politiques. Le terme de « loi-cadre » renvoie à une forme juridique particulière qui la caractérise : le gouvernement est autorisé à statuer par décret dans un domaine réservé en principe à la loi et, de fait, plusieurs dizaines de décrets sont promulgués en un an, certains soumis au Parlement dans le cadre d'une procédure d'urgence.
Un rappel sur les institutions préexistantes à la loi-cadre n'est peut-être pas inutile. La Constitution de la IVe République avait, en 1946, défini l'Union française à la fin de son préambule et précisé dans son titre VIII les contours de son organisation et de ses institutions politiques. L'Union française regroupe, dans un ensemble un peu disparate, la France métropolitaine, les départements et territoires d'outre-mer, mais aussi des territoires et États associés (protectorats, territoires sous mandat de l'ONU). Les articles 63 à 66 définissent les différents organes qui composent l'ensemble :
- Une Assemblée de l'Union française a ainsi été créée et siège au palais d'Iéna, à Paris. Elle a un rôle purement consultatif. Elle est composée pour moitié de représentants de la métropole et pour moitié de représentants des pays d'outre-mer, quel que soit leur statut (département, colonie, protectorat, etc.) – ce qui, d'ailleurs, contrevient au principe d'une république « une et indivisible ». Ses membres sont élus par les assemblées territoriales (voit infra) en ce qui concerne les départements et territoires d'outre-mer ; ils sont élus, pour ce qui est de la France métropolitaine, à raison de deux-tiers par les membres de l'Assemblée nationale représentant la métropole et d'un tiers par les membres du Conseil de la République représentant la métropole.
- Dans chaque territoire d'outre-mer est instituée une assemblée territoriale, Les membres de l'assemblée sont désignées par un double collège d'électeurs afin de représenter « les diverses parties de la population » des territoires – il s'agit d'une entorse au principe de l'égalité républicaine entre tous les citoyens. Les compétences des assemblées restent très limitées jusqu'à 1956, d'autant que des pressions administratives et politiques pèsent lors des premières campagnes électorales organisées à partir de 1946.
- Un Haut Conseil de l'Union française, à vocation consultative, est censé chapeauter le tout. Il n'a en réalité pas siégé avant 1949 et n'a joué aucun rôle important par la suite.
- Enfin, à partir de 1947, les fédérations d'AOF et d'AEF se voient dotées chacune d'un Grand Conseil. Le Grand Conseil de l'AOF est ainsi constitué de 40 représentants (5 pour chacun des 8 territoires aofiens), élus parmi les membres des assemblées territoriales. Le Grand Conseil est essentiellement chargé de la discussion et du vote du budget fédéral, mais exerce aussi un contrôle indirect sur les services publics de la fédération, sur le Fonds d'Investissement et de Développement Économique et Social (FIDES) et sur divers aspects de la vie économique et sociale des populations.
Il faut préciser, par ailleurs, que l'ensemble des composantes des territoires de la « France d'outre-mer » (comme on appelle désormais officiellement l'empire colonial français) envoie des députés à l'Assemblée nationale à l'occasion d'élections législatives, pour lesquelles est maintenu le principe du double collège électoral en Algérie et dans la plupart des territoires de l'Afrique française.
Sans modifier la Constitution, la loi-cadre de 1956 crée donc les conditions institutionnelles et politiques qui rendent effective l'autonomie de l'ensemble des territoires de l'AOF, de l'AEF et Madagascar. Ainsi sont établis de nouveaux statuts pour les territoires de la France d'outre-mer. Le nouveau texte met en place une décentralisation des pouvoirs de la métropole vers les territoires, ainsi que des mesures de déconcentration administrative accompagnant l'extension des compétences des assemblées territoriales. Elle prévoit pour l'ensemble des scrutins un suffrage désormais véritablement universel - avec un collège unique d'électeurs -, ainsi que des conseils de gouvernement composés de ministres désignés par les assemblées territoriales et présidés par un représentant de la République française, accompagné d'un vice-président africain. Ces conseils ne sont toutefois pas responsables devant les assemblées locales.
Le contexte général troublé (fin de la guerre d'Indochine, début de l'enlisement de la guerre d'Algérie) explique en partie que le gouvernement, par la bouche de Gaston Defferre, présente la loi-cadre comme un octroi de pure générosité fait aux populations africaines. C'est oublier que les luttes syndicales et politiques locales ont largement contribué à l'assouplissement de la tutelle coloniale. Les succès électoraux que connaît le Rassemblement Démocratique africain (RDA) – et ce, malgré les obstacles que dressent régulièrement les autorités coloniales à chaque campagne électorale – renversent quelque peu le rapport de force. Quant aux luttes syndicales, importantes depuis la fin des années 1940, elles mobilisent également des acteurs variés dont les revendications se font aussi volontiers politiques. En métropole, notamment au sein de la SFIO et du MRP, divers dirigeants considèrent pour leur part qu'une évolution vers davantage d'autonomie est non seulement souhaitable, mais inéluctable.