Jacques Mauclair à propos d'Adamov
Notice
Jacques Mauclair évoque l'auteur Artur Adamov, et les difficultés qu'il éprouvait à faire jouer ses pièces. Il revient sur sa propre expérience, la mise en scène de Ping-pong, dont il reconnaît qu'elle représente une critique virulente de la société de consommation. A travers des photographies, le téléspectateur est invité à accompagner le metteur en scène dans ses souvenirs.
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Éclairage
Arthur Adamov (1908-1970) est un écrivain français d'origine russo-arménienne. Vivant son enfance en exil, il s'installe finalement en France avec sa famille dans les années 20. Il commence à écrire en fréquentant les avant-gardes françaises, notamment les surréalistes. En 1928, il est marqué par la mise en scène qu'Antonin Artaud fait du Songe d'August Strindberg. Il s'oriente alors vers l'écriture dramatique.
Ses premiers textes sont rattachés au théâtre de l'Absurde. Comme Ionesco et Beckett, dont il est contemporain, Adamov peint une existence anxiogène, une vision tragique de la condition humaine, qui, pour lui aussi, découle de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il fut interné six mois au camp d'Argelès sur Mer pour avoir manifesté son hostilité à Vichy. Si, dans un premier temps, son écriture peut se rapprocher de celles de Beckett ou Ionesco, il évolue très rapidement vers une écriture très inspirée par Brecht, dont il a pu découvrir le travail avec le Berliner Ensemble en 1954 à Paris.
Ping-Pong inaugure cette nouvelle période de son écriture, et, dans l'intrigue comme dans la construction, on peut y voir la mise en avant d'un univers concret, habité par les problèmes économiques et sociaux. Dans cette pièce, deux personnages, jeunes étudiants désargentés, se prennent de passion pour un billard électrique. Entraînant dans leur sillage un tas de personnages, ils passent leur vie à essayer de rentrer dans le Consortium qui détient le brevet dudit billard, multipliant les inventions pour l'améliorer – c'est-à-dire le rendre encore plus coûteux pour l'utilisateur, donc plus rentable pour l'entreprise. Entretenant leur espoir, leur réussite – toujours partielle, et sujette à des hauts et des bas – leur permet aussi d'entrevoir la réalité sociale. Dans la construction de la pièce, en une succession de tableaux titrés, comme dans les dialogues entre les deux protagonistes qui, clôturant chaque tableau, permettent un point sur la situation, on retrouve l'influence du théâtre brechtien, où le récit prend une part aussi importante que le dialogue. On retrouve également l'influence de ce théâtre dans les préoccupations politiques sous-jacentes : Ping-Pong est une satire sociale, comme l'explique le journaliste face à Jacques Mauclair. Adamov, à partir de cette pièce est dans celles qui suivront, n'aura de cesse de mettre en lumière les travers de la société, comme, ici, la société de consommation et la manière dont elle happe les individus, quand bien même ils s'étaient un temps tenus à la marge de cette société. La pièce questionne les nouveaux rapports humains induits par ce nouveau type de société.
Dans la vidéo, Jacques Mauclair évoque également le théâtre des Noctambules, où la pièce fut créée, et les conditions financières dans lesquelles sont créés les spectacles d'Adamov dans les années 50. Comme beaucoup d'autres (Ionesco, Beckett, Audiberti, etc.), Adamov fait partie d'une avant-garde théâtrale qui se trouve plus ou moins exclue des grandes scènes parisiennes. Afin de promouvoir ce nouveau théâtre se créent, dans les années 50, plusieurs petites salles indépendantes dans le quartier latin. Ces salles (théâtres de Babylone, de la Huchette, des Noctambules et Théâtre de Poche) vivent dans des conditions financières souvent précaires, et ne doivent leur pérennité qu'au succès, parfois inattendu, de certaines de leurs productions. Ce circuit parallèle voit se monter, de manière clandestine, le renouveau du théâtre en France.