Raymond Devos : Parler pour ne rien dire

31 décembre 1979
02m 36s
Réf. 00235

Notice

Résumé :

Devant les élèves du Conservatoire National du Cirque, Raymond Devos présente son sketch, Parler pour ne rien dire. Dans ce sketch, comme dans toute l'œuvre de l'humoriste, se retrouvent ces jeux avec le langage qui ont fait sa renommée.

Date de diffusion :
31 décembre 1979
Source :
TF1 (Collection: Numéro un )
Thèmes :
Lieux :

Éclairage

Né le 19 novembre 1922 à Mouscron, en Belgique, de parents français, Raymond Devos est connu pour son humour absurde et décalé, fait de jeux sur le langage. Il est mort à Saint-Rémy-Lès-Chevreuse en 2006. Né en Belgique, Raymond Devos passe son enfance dans le Nord de la France, à Roubaix, entouré de six frères et sœurs, et de parents qui, pour leur loisir, pratiquent la musique et le chant. Très jeune, il est attiré par les métiers du spectacle, mais un revers de fortune du père, qui possédait une entreprise de textiles, l'oblige à arrêter ses études à l'âge de treize ans, pour se lancer dans la vie active. Il sera livreur, crémier, libraire, avant d'être déporté pour le STO, dont il s'évadera en 1944. Après la guerre, il se lance dans la carrière de comédien. D'abord membre d'une troupe itinérante en Savoie, il assiste aux cours de théâtre de Tania Balachova et apprend le mime aux côtés d'Etienne Decroux. Il participe à la création d'un trio comique se produisant sur les scènes des cabarets parisiens, puis intègre une compagnie de théâtre. C'est alors qu'il est en tournée à Biarritz avec cette compagnie qu'il vit une scène qui deviendra l'amorce de son premier sketch. Alors qu'il exprime à un maître d'hôtel son désir de voir la mer, celui-ci lui répond « mais vous n'y pensez pas, elle est démontée ». La réponse, « et vous la remontez quand ? », est désormais célèbre grâce au sketch La mer. Suivra Le car pour Caen, un exemple de l'humour de Raymond Devos. En jouant sur l'homonymie (Quand/Caen – Car/Quart), il crée un dialogue absurde et délirant. Raymond Devos écrit ses sketches sur un principe de variation : il choisit un mot, qui devient le thème, et qu'il varie et fait tourner. Autodidacte, Raymond Devos compense la frustration d'avoir dû arrêter ses études en lisant beaucoup, et étudie notamment avec beaucoup d'attention les théories sur la mécanique du rire. L'humoriste, qui commence à se produire seul en scène dans les années 70, crée un univers qui ne connaît pas d'équivalent dans le paysage des humoristes français. Le personnage de Devos, la silhouette corpulente et échevelée, costume bleu, bretelles et nœud papillon, le visage souligné par un maquillage marqué de la bouche et des yeux, surgit immédiatement à l'esprit. Devos, qui a été très marqué par les spectacles de cirque que son père l'emmenait voir, enfant, s'inspire beaucoup de l'esthétique du clown. Elle est visible dans ce costume qui restera, de ses débuts à ses dernières apparitions sur scène, au début des années 2000. Mais l'influence des clowns est également tangible dans le rythme des sketches, dans leur construction musicale toute en contrepoints, ainsi que dans la musique, qui prend une place de plus en plus importante – Devos apprend la scie musicale, la harpe, joue de la guitare, de la flûte, et est très régulièrement accompagné d'un pianiste. Pour lui, la musique est un contrepoint nécessaire : « le contrepoids du comique, c'est la musique », explique-t-il dans un entretien à Libération, le 12 janvier 1994. Il explique dans cet entretien sa vision du comique, qui repose sur cette construction par contrepoints : le comique a besoin, pour advenir, de moments d'harmonie, d'une élévation qui contrecarre sa tendance à tout dégrader. Le rire, pour Devos, ne doit pas être méchant, reposer sur des vannes ou des attaques. Il ne doit pas être facile. Il recherche un humour qui témoigne de l'absurdité des choses, et qui élève le quotidien : tous ses sketches partent en effet de situations banales, qu'il fait déraper vers un irréel absurde et décalé. Cet humour subtil, qui se nourrit des ambigüités du langage, est également un instrument de critique politique, comme l'illustre le sketch Parler pour ne rien dire. Mais une critique qui n'est pas frontalement adressée et demeure universelle.

Anaïs Bonnier

Transcription

Comédien
Puisqu’on m’a demandé de faire un discours. Je vous signale tout de suite mesdames et messieurs, que je vais parler pour ne rien dire. Je sais, vous pensez, s’il n’a rien à dire, il ferait mieux de se taire. Oui, c’est trop facile. C'est trop facile. Vous voudriez que je fasse comme tous ceux qui n’ont rien à dire, et qui le gardent pour eux ? Et bien non, mesdames et messieurs, moi quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache ! Je veux en faire profiter les autres, et si vous-mêmes mesdames et messieurs vous n’avez rien à dire et bien, on en parle ! On en discute, je ne suis pas ennemi du colloque ! Mais, me diriez-vous, si nous parlons pour ne rien dire, de quoi allons nous parler ? Ben de rien ! De rien, car rien c’est pas rien, la preuve, c’est qu’on peut le soustraire. Rien moins rien, égal moins que rien ! Alors, si on peut trouver moins que rien, c’est que rien vaut déjà quelque chose. On peut acheter quelque chose avec rien en le multipliant. Bon, une fois rien, c’est rien. Deux fois rien, c’est pas beaucoup, d’accord, mais trois fois rien… pour trois fois rien on peut déjà acheter quelque chose ! Et pour pas cher ! Bon, maintenant si vous multipliez trois fois rien par trois fois rien, rien multiplié par rien égal, rien, trois multiplié par rien égal neuf, ça fait rien de neuf ! Bon, allez. Parlons d’autre chose. Parlons d'autre chose. Parlons de la situation tenez, parlons de la situation, sans préciser laquelle. Si vous le permettez je vais faire brièvement l’historique de la situation quelle qu’elle soit. Il y a quelques mois, souvenez-vous la situation prenait [trop pas pire] que celle d’aujourd’hui mais n’en était pas meilleure non plus ! Déjà, nous allions vers la catastrophe et nous le savions. Nous en étions conscients. Car il faudrait pas croire que le responsable d’hier était plus ignorant de la situation que ne le sont ceux d’aujourd’hui. D’ailleurs, ce sont les mêmes. Oui la catastrophe nous le pensions était pour demain ! C'est-à-dire qu’en fait elle devrait être pour aujourd’hui d’ailleurs. Si mes calculs sont justes. Or, que voyons-nous aujourd’hui ? Qu’elle est toujours pour demain ! Alors je vous pose la question mesdames et messieurs, est-ce en remettant toujours au lendemain la catastrophe que nous pourrions faire le jour même que nous l’éviterons ? D'ailleurs je vous signale entre parenthèses que si le gouvernement actuel n’est pas capable d’assumer la catastrophe, il est possible que l’opposition s’en empare.