Jean Poiret et Michel Serrault : Interview d'un boxeur
Notice
Ce sketch de 1956 repose essentiellement sur un comique de la parole. Le journaliste (Jean Poiret) interroge un boxeur (Michel Serrault) en simplifiant son vocabulaire à l'extrême, laissant entendre que l'athlète n'a qu'une intelligence limitée. Lorsque le boxeur parvient finalement à prendre la parole, c'est pour citer Ovide, Cézanne ou Claudel, prenant à défaut le journaliste, mais renvoyant également le spectateur à ses propres préjugés.
Éclairage
Jean Poiret (1926-1992) et Michel Serrault (1928-2007) se rencontrent à l'école de théâtre de la Rue Blanche à Paris, et forment dès 1952, le duo Poiret-Serrault. Créé sur un « coup de foudre professionnel » selon Jean Poiret, le duo travaille de concert à des sketches de cabaret-spectacle rapidement repris à la télévision. Le duo n'a jamais connu de séparation officielle, et a encore longtemps offert aux téléspectateurs des reprises de ses sketches, mais les carrières respectives des deux acteurs finissent par mettre fin à la création de sketches. Leur carrière se poursuivra au cinéma, au théâtre et à la télévision, et leur prestation la plus connue à ce jour demeure sans conteste La Cage aux folles, pièce de théâtre écrite par Jean Poiret, et créée en 1973. Cette pièce, bien que mettant en scène d'autres personnages, est entièrement construite autour du duo d'acteurs, où Michel Serrault campe un homosexuel travesti, Albin, et Poiret un homosexuel plus viril, Georges.
Si les sujets des numéros sont trouvés en commun, notamment en approfondissant les caractères d'un personnage « avec ses types particuliers, avec ses manies particulières » joué en improvisation, c'est Jean Poiret qui en assure l'écriture. Les deux artistes mettent en avant dans la réussite de leur duo leur amitié, une complicité qui est effectivement visible à l'écran ou à la scène.
Le duo Poiret-Serrault tire profit des caractéristiques traditionnelles du duo comique, calquées sur les clowns. Le clown blanc, ridiculement raide et sérieux, c'est Poiret, avec son allure hautaine, sa voix posée et sa faconde. L'auguste, bouffon burlesque, c'est Serrault, avec sa bonhomie, une attitude maladroite, mal assurée...
Mais le duo s'attaque également à des comportements, des préjugés courants, il stigmatise les manies et les absurdités de tous ceux qui les entourent. Le comique de Poiret et Serrault repose sur le langage autant que sur la situation. Il s'appuie en grande partie sur la parodie – beaucoup de leurs sketches, à l'image de « l'interview d'un boxeur », mettent en scène un journaliste – Poiret – face à une personnalité – Serrault – boxeur, écrivain, chef d'orchestre, entre autres, et pointent la fabrication d'un discours médiatique en appuyant sur l'absurdité des questions du journaliste, et parfois sur celle des réponses de l'interviewé. Un décalage entre la situation attendue et ce qui se passe réellement est également source de comique. Ici, on attend bien évidemment du boxeur qu'il soit conforme à notre vision du boxeur – et c'est bien en cela qu'un préjugé nous est pointé du doigt – on attend donc une réponse courte, lapidaire, voire pas de réponse, tant la question du journaliste – manie ici encore pointée par les auteurs – est compliquée. Finalement, les deux humoristes déjouent cette attente en provoquant une surprise qui favorise le comique : la réponse très élaborée et philosophique du boxeur. Ces jeux de mots sont propres à leur humour, mais aussi la marque de l'humour de leur temps, jouant à la fois sur le sens de la langue et sur une certaine idée de l'absurdité : le sketch « Permis de conduire un orchestre » l'illustre parfaitement : les deux comédiens y évoquent l'examen du permis de conduire un orchestre « poids lourd », c'est-à-dire symphonique, et la nécessité de le mettre en place suite à de nombreux accidents. Le vocabulaire musical et le vocabulaire de la conduite s'y entremêlent de manière saisissante, et le sérieux initial s'envole face à ce décalage entre réalité et fiction.