L'Opéra de Smyrne de Goldoni au Théâtre du campagnol

24 janvier 1983
04m 11s
Réf. 00474

Notice

Résumé :

En 1983, Jean-Claude Penchenat monte L'Opéra de Smyrne de Goldoni avec sa troupe du Théâtre du Campagnol. L'extrait mêle de brefs passages du spectacle et une interview du metteur en scène.

Date de diffusion :
24 janvier 1983
Source :
A2 (Collection: MIDI 2 )

Éclairage

Co-fondateur en 1964 du Théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine où il est à la fois administrateur et acteur (Les Clowns, 1789, 1793, L'Âge d'or), Jean-Claude Penchenat fonde en 1975 le Théâtre du Campagnol qui, jusqu'en 2002, sera un lieu de création intense, tentant de renouveler sans cesse le dialogue avec le public, alternant les mises en scène d'œuvres classiques et contemporaines. « Le travail de la comédie, l'importance de la musique sont des fils directeurs de son répertoire. » (Evelyne Ertel)

Il n'est donc pas étonnant qu'en 1983 Jean-Claude Penchenat monte L'Opéra de Smyrne (œuvre plus connue sous le titre L'Impresario de Smyrne) de l'autre dramatique vénitien Carlo Goldoni (1707-1793), avec sa troupe du Théâtre du Campagnol. Comme le précise Jean-Claude Penchenat dans l'interview, le chant a une importance fondamentale à Venise au XVIIIe siècle. Née de recherches florentines, parachevée à Mantoue avec l'Orfeo de Monteverdi (1607), la forme nouvelle de l'opéra trouve en Venise au XVIIe siècle un foyer où elle va s'épanouir. C'est d'ailleurs à Venise que s'ouvre dès 1637 le premier opéra public (le Teatro San Cassiano). Pendant les carnavals, l'opéra devient le divertissement préféré des vénitiens. C'est la forme baroque par excellence, lieu du spectaculaire (évolution de la machinerie théâtrale) et de la performance (développement de la voix lyrique – le chant orné et prodigieux des castrats subjugue). L'Opéra de Smyrne, écrite en 1759, nous plonge ainsi au cœur d'une troupe d'opéra vénitienne et se veut, selon les mots de l'auteur, « une critique très ample et très complète sur l'insolence des acteurs et des actrices, et sur l'indolence des directeurs ».

Poussé par un impresario sans scrupules (Nibio) un riche négociant de Smyrne, Ali, veut donner dans sa ville une saison d'opéra, alors inédit dans sa contrée. Le comte Lasca, « protecteur » de jeunes chanteuses, cynique et sans illusion sur la vanité des artistes mais passionné par la scène, en fait confidence à trois chanteuses (Lucrezia, Tognina et Annina) : devant le pauvre Ali, dépassé par les événements, la lutte sera sans merci pour savoir qui sera la prima donna, c'est-à-dire celle qui aura le premier rôle féminin dans les distributions. Pressé de toute part (par les chanteuses, Nibio, un castrat, un poète et une nuée de machinistes...), le négociant turc abandonne le projet au dernier moment, laissant les chanteurs sans engagement avec pour tout dédommagement 2000 ducats donnés au comte, qui propose alors aux interprètes dépités de créer leur propre compagnie en coopérative.

Goldoni dénonce l'hypocrisie du milieu artistique et des interprètes mais également la précarité de la vie d'artiste.

Mais au-delà de l'opéra, Venise se passionne pour toutes les formes de théâtre musical et de chant – Carlo Goldoni a écrit près de 80 livrets pour des œuvres chantées et raconte dans ses mémoires qu'on chante à chaque coin de rue ou de canal à Venise ! C'est d'ailleurs ce qui pousse Jean-Claude Penchenat à insérer dans le spectacle des airs d'opéra et des chansons populaires, montrant ainsi la diversité sonore de la Venise du XVIIIe siècle. Il mêle ainsi acteurs et chanteurs d'opéra dans sa distribution, aimant « abattre les barrières, entre les genres musicaux comme entre les artistes » [1].

[1] Evelyne Ertel, Le Théâtre du Campagnol, Paris, Librairie Nizet, 1996.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Présentateur
Revenons à la France, et notamment à des informations artistiques avec un théâtre que vous connaissez peut-être, car il s’est beaucoup promené en province. Il s’agit du théâtre du Campagnol qui sévit dans la banlieue sud de Paris et qui s’est beaucoup promené avec une pièce qui s’intitulait Le bal. Une pièce qui s’est arrêtée par l’épuisement de ses comédiens, et non pas par manque de spectateurs. Le bal, maintenant, L’opéra de Smyrne, une pièce de Goldoni que met en scène Jean-Claude Penchenat, qui est d’ailleurs devenu, le responsable du centre dramatique de la banlieue sud, puisque son théâtre du Campagnol est maintenant subventionné. Nicole Cornuz-Langlois, L’opéra de Smyrne.
(Musique)
Journaliste
Vous dansiez, comédiens du Campagnol, et bien chantez maintenant. Pour nous conter les grandeurs et misères d’une troupe en attente à Venise et séduite par un mirage turc. Un opéra à Smyrne, qui consacrerait enfin leur talent méconnu. Espoir et désillusion, un sujet qui n’a pas vieilli.
Jean-Claude Penchenat
Dans L’opéra de Smyrne, disons que la démarche de Goldoni est une démarche aussi d’observateur. C'est-à-dire, il a très finement regardé les chanteurs et les acteurs de son époque et il a eu finalement cette même démarche mais, ça passe aussi par le verbe et disons, que ce verbe là particulièrement nous intéressait parce que c’est un verbe de comportement qui raconte les gens.
Journaliste
Et pour vous, metteur en scène, c’était un énorme de… travail de voix, sur les voix, pour les acteurs aussi.
Jean-Claude Penchenat
Oui, bien sûr, ils ont travaillé beaucoup les voix, puisque pour la plupart ils faut des chanteurs, et le chant à Venise au XVIIIe siècle était capital. Les gens chantaient partout. Donc, le chant, il appartient au peuple. Et c’est pour ça qu’il y a des chants populaires dans la pièce. Des chants du XVIIIe, vénitiens.
Comédien
Mes dames, messieurs je vous salue !
Comédienne
Monsieur [Inaudible]
Comédien 2
[Inaudible] et chanteurs en péril comment vous portez vous ?
Comédiens
Ha ha ha !
Comédien 1
Très bien, très bien. Je vois que monsieur Carluccio n’a rien perdu de son esprit.
Comédiens
Ha ha !
Comédien 2
Vous êtes le grand homme, qui avez eu la chance de me faire débuter sur les planches, je ne l’oublierais jamais !
Comédien 1
Et moi, je n’oublierais jamais que vous avez failli me rendre fou !
Comédien 2
Je n’étais qu’un fruit vert. Maintenant je suis un fruit mûr. [Inaudible], mais je t’aime et si je vais à Smyrne je t’emporterais avec moi.
Comédien 1
A Smyrne ?
Comédiens
Haha !
Comédien 2
Ami, qui es tu… ?
Comédien 1
Mais comment le sait-il ?
Comédien 4
Vous n’êtes plus tenu au secret.
Comédien 1
Quelle est l’âne bâté qui a parlé ?
Comédienne
Le [inaudible]. Ha ha !
Comédien 4
Quelle isolence. Si je l’ai dit à quelqu’un c’était en secret.
Comédien 1
Bon, bon, ce qui est fait est fait, essayons d’arranger les choses. Maintenant que tout le monde le sait, il n’y a plus de temps à perdre. Je ferais ce que je peux pour vous tous. Mais je ne peux pas signer les contrats. Je propose et le turc dispose.
Comédienne
Mais vous aviez promis …
Jean-Claude Penchenat
Je crois que la pièce pose très cruellement et très… de façon très actuelle le problème de la misère des chanteurs et des acteurs.
Journaliste
Qui doit, forcément pour vous, se terminer par une coopérative. C’est finalement, c’est la seule solution.
Jean-Claude Penchenat
C’est pas notre solution, enfin je veux dire, c’est notre solution mais, il s'est trouvé que c’est la solution de Goldoni à l’époque. Les gens croient que c’est une fin qu’on a inventée. Pas du tout. L’expression employée par Goldoni ne peut se traduire aujourd’hui que comme ça. C’est le théâtre géré par les acteurs. Les acteurs prennent en mains leurs propres affaires et c’est la seule solution pour eux de s’en sortir.
Comédien
Chant !