L'Opéra de Smyrne de Goldoni au Théâtre du campagnol
Notice
En 1983, Jean-Claude Penchenat monte L'Opéra de Smyrne de Goldoni avec sa troupe du Théâtre du Campagnol. L'extrait mêle de brefs passages du spectacle et une interview du metteur en scène.
Éclairage
Co-fondateur en 1964 du Théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine où il est à la fois administrateur et acteur (Les Clowns, 1789, 1793, L'Âge d'or), Jean-Claude Penchenat fonde en 1975 le Théâtre du Campagnol qui, jusqu'en 2002, sera un lieu de création intense, tentant de renouveler sans cesse le dialogue avec le public, alternant les mises en scène d'œuvres classiques et contemporaines. « Le travail de la comédie, l'importance de la musique sont des fils directeurs de son répertoire. » (Evelyne Ertel)
Il n'est donc pas étonnant qu'en 1983 Jean-Claude Penchenat monte L'Opéra de Smyrne (œuvre plus connue sous le titre L'Impresario de Smyrne) de l'autre dramatique vénitien Carlo Goldoni (1707-1793), avec sa troupe du Théâtre du Campagnol. Comme le précise Jean-Claude Penchenat dans l'interview, le chant a une importance fondamentale à Venise au XVIIIe siècle. Née de recherches florentines, parachevée à Mantoue avec l'Orfeo de Monteverdi (1607), la forme nouvelle de l'opéra trouve en Venise au XVIIe siècle un foyer où elle va s'épanouir. C'est d'ailleurs à Venise que s'ouvre dès 1637 le premier opéra public (le Teatro San Cassiano). Pendant les carnavals, l'opéra devient le divertissement préféré des vénitiens. C'est la forme baroque par excellence, lieu du spectaculaire (évolution de la machinerie théâtrale) et de la performance (développement de la voix lyrique – le chant orné et prodigieux des castrats subjugue). L'Opéra de Smyrne, écrite en 1759, nous plonge ainsi au cœur d'une troupe d'opéra vénitienne et se veut, selon les mots de l'auteur, « une critique très ample et très complète sur l'insolence des acteurs et des actrices, et sur l'indolence des directeurs ».
Poussé par un impresario sans scrupules (Nibio) un riche négociant de Smyrne, Ali, veut donner dans sa ville une saison d'opéra, alors inédit dans sa contrée. Le comte Lasca, « protecteur » de jeunes chanteuses, cynique et sans illusion sur la vanité des artistes mais passionné par la scène, en fait confidence à trois chanteuses (Lucrezia, Tognina et Annina) : devant le pauvre Ali, dépassé par les événements, la lutte sera sans merci pour savoir qui sera la prima donna, c'est-à-dire celle qui aura le premier rôle féminin dans les distributions. Pressé de toute part (par les chanteuses, Nibio, un castrat, un poète et une nuée de machinistes...), le négociant turc abandonne le projet au dernier moment, laissant les chanteurs sans engagement avec pour tout dédommagement 2000 ducats donnés au comte, qui propose alors aux interprètes dépités de créer leur propre compagnie en coopérative.
Goldoni dénonce l'hypocrisie du milieu artistique et des interprètes mais également la précarité de la vie d'artiste.
Mais au-delà de l'opéra, Venise se passionne pour toutes les formes de théâtre musical et de chant – Carlo Goldoni a écrit près de 80 livrets pour des œuvres chantées et raconte dans ses mémoires qu'on chante à chaque coin de rue ou de canal à Venise ! C'est d'ailleurs ce qui pousse Jean-Claude Penchenat à insérer dans le spectacle des airs d'opéra et des chansons populaires, montrant ainsi la diversité sonore de la Venise du XVIIIe siècle. Il mêle ainsi acteurs et chanteurs d'opéra dans sa distribution, aimant « abattre les barrières, entre les genres musicaux comme entre les artistes » [1].
[1] Evelyne Ertel, Le Théâtre du Campagnol, Paris, Librairie Nizet, 1996.