L'Âge d'or - Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil

13 mai 1975
06m 27s
Réf. 00479

Notice

Résumé :

En 1975, après un an et cinq mois de travail, Ariane Mnouchkine et la Troupe du Théâtre du Soleil présentent au public L'Âge d'or, véritable fresque qui veut peindre le monde d'aujourd'hui en puisant les moyens de représentation dans les traditions du masque (commedia dell'arte et théâtre chinois).

Date de diffusion :
13 mai 1975
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Pour Ariane Mnouchkine comme pour Jacques Copeau – qu'elle cite beaucoup dans le livre-programme du spectacle – en France à l'aube du XXe siècle ou pour Giorgio Strehler en Italie après la Seconde Guerre mondiale, le retour aux techniques du masque et du corps masqué représente un retour aux sources nécessaire pour réformer l'art de l'acteur afin qu'il retrouve une efficacité rigoureuse et épurée. Il s'agit également de trouver une forme de représentation adéquate pour dire le monde d'aujourd'hui, plus particulièrement le monde émigré et ouvrier (« la réalité sociale de 1975 » nous dit le texte-programme du spectacle : « Nous voulons montrer la farce de notre monde, créer une fête sereine et violente en réinventant les principes de théâtres populaires traditionnels. ») [1] . L'enjeu théâtral de L'Âge d'or est de dire aujourd'hui avec des techniques corporelles anciennes, mais aussi trouver dans les masques, archétypes d'hier, les formes pour dire les archétypes d'aujourd'hui. Il faut bien comprendre qu'ici il n'est pas question de reconstitution de la Commedia dell'arte : « nous avons seulement décidé d'employer certains éléments de base d'un genre de théâtre qui, entre autres, fut celui représenté par la commedia dell'arte : les masques, les types, l'improvisation, le corps » (Philippe Caubère, [1]). Ariane Mnouchkine précise d'ailleurs que la troupe a cherché également l'inspiration dans les masques chinois. Le masque a permis aux acteurs de jouir d'une très grande disponibilité corporelle une fois qu'ils ont su le laisser parler – c'est dans la contrainte que l'on trouve la plus grande liberté ! Mais le masque représente aussi un geste premier fondamental : « D'abord, le masque, c'était la première transposition du "naturel" au "théâtral" » (Philippe Caubère, [1]). Il est un premier pas vers la représentation.

Il faut rappeler ici le fondement du travail de la troupe d'Ariane Mnouchkine et de sa troupe : la création collective fondée sur l'improvisation. En effet, à partir d'un thème choisi, le Théâtre du Soleil construit son spectacle à partir des improvisations des comédiens qui proposent devant tous les autres une scène qui sera acceptée ou non, retravaillée, incorporée dans la trame du spectacle. Le travail préparatoire de L'Âge d'or – première ébauche a duré un an et cinq mois. C'est une maturation lente, un véritable travail de recherche dont le moyen est l'improvisation.

Ce document exceptionnel nous permet d'entrevoir quelques bribes d'un spectacle symbole de l'époque post-68 lorsque s'est affiché le désir profond de voir le théâtre non seulement intimement connecté au monde, mais capable de le changer. « Nous désirons un théâtre en prise directe sur la réalité sociale, qui ne soit pas un simple constat, mais un encouragement à changer les conditions dans lesquelles nous vivons. Nous voulons raconter notre Histoire pour la faire avancer – si tel peut être le rôle du théâtre. » [1]

[1] Le Théâtre du Soleil, L'Âge d'or – première ébauche, Collections : Théâtre ouvert dir. par Lucien Attoun, Paris Stock, 1975.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

(Musique)
Comédien 1
Oh dis donc, quelle foule, mais approchez, approchez, n’ayez pas peur. Venez plus près. Voilà. On va bien rigoler cet après-midi. Oh, qu’est-ce que ça fait plaisir de vous voir. Et venez vous derrière, n’ayez pas peur. Et bien, cet après-midi, on est là pour faire du théâtre. Alors, on va y aller. T’es prêt ?
Comédien 2
Oui !
Comédien 1
T’es sûr ! Alors c’était à Naples en 1720 et y avait la peste. Tiens j’entends le prince.
(Musique)
Comédien 2
Arrêtez. Halte et dis-moi, que se passe-t-il dans la ville ?
Comédien 1
Ouf, dans la ville ?
Comédien 2
Dans la ville !
Comédien1
Oh [incompris], dans la ville, dans ta ville à toi ?
Comédien 2
Dans ma ville à moi.
Comédien 1
Dans ta ville à toi, ha bah, à Naples ?
Comédien 2
A Naples !
Comédien 1
A Naples, oui, à Naples. Euh, ici quoi ?
Comédien 2
Ici ! Mais c'est beau. Alors, le coupable, je crois que je l’ai trouvé. Bonjour Monsieur, comment t’appelles-tu ?
Comédien 3
Abdallah.
Comédien 1
Ahan, et d’où viens-tu ?
Comédien 3
Ba, je reviens d’Alger.
Comédien 1
Aha, et où vas-tu ?
Comédien 3
Je l’y vais à Marseille.
Comédien 1
Sur un bateau ?
Comédien 3
Euh, évidemment. Regarde, mon bateau il s’appelle Li mia coule pas.
Comédien 1
Et alors, c’est toi le coupable.
Comédien 3
Le coupable de quoi ?
Comédie 1
De la peste à Naples en 1720 !
Comédien 3
Mon cher, Monsieur, ça je le regrette, mais j’habite en plein XXe siècle.
Comédien 1
Oh, ça. Aucune importance, débrouille-toi !
(Silence)
Comédien 3
Tut, tuuut, tut, tuuut, tut, tuuut, tut, tuuut.
(Musique)
Comédienne 1
Et voilà, remontez un petit peu, merci. Tous assis maintenant !
Comédienne 2
Nous sommes combien de monde cet après midi. [Inaudible].
Comédien 3
[Inaudible]
Comédienne 2
[Inaudible]
Comédien 3
Toi tu me l’avais pas dit ! Tu amenais tant de monde avec toi pour venir m’accueillir au port de Marseille.
Comédienne 2
Regardes, tout ça pour le paysan du Maghreb. Oï, oï, oï, oï, oï.
Comédien 3
Vous savez, on me l’a écrit là que la France c’était beau. Mais alors ça, oh que c’est beau ici, ça me va. Tu sais, je suis heureux hein, bonjour la France, bonjour la France !
Comédienne 2
[Inaudible], s’il ti pli, ne l’emploie pas la violence je t’en supplie !
Comédien 3
[Incompris], si tu savais, je n’ai vraiment aucune intention de l’employer la violence ti si,
Comédienne 2
Si, si, emploie la ruse.
Comédien 3
Ah ! Oui, la ruse, c’est ça.
Comédien 4
Mais oui.
Comédien 3
[Inaudible] Schklac. [Salopa] !
Comédienne 2
Oui,
Comédien 3
Je n’avais jamais vu un couteau comme ça.
Comédienne 2
S’il ti pli, ne pense qu’à une chose. La ruse !
Comédien 3
Ah oui, oui. La ruse, la ruse.
Comédien 4
Ça va être bon.
Comédien 3
Aha, comme c’est bizarre. Un dromadaire avec trois petites bosses et deux queues dans le corps de Maghreb.
(Musique)
Comédien 4
Oh le con ! Hmm. Bouge pas.