La poésie décalée du Cirque Imaginaire
Notice
Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin ont planté leur chapiteau sur le carreau des halles en plein réaménagement. Sous le regard ébahi des ouvriers du chantier, Victoria apparaît en prodigieuse femme orchestre, Jean-Baptiste en modeste jongleur. Son commentaire en voix off pose les bases de leur parti pris esthétique.
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Éclairage
Initialement, fort d'une expérience de comédien de cinéma et de théâtre, ainsi que de celle de metteur en scène J.-B. Thierrée avait fondé le Cirque Baptiste, du nom de son propre clown. Sa trajectoire "saltimbanque" est porteuse de l'esprit de contestation de Mai 68 et marquée par des rencontres très diverses (Alexis Grüss Senior, Michel Rocard alors Secrétaire National du Parti Socialiste Unifié [P.S.U.], Félix Guattari à la Clinique des Bordes). L'intérêt pour le cirque et des convictions politiques se trouvent donc étrangement mêlés dans cet engagement artistique, qui se réalise aux côtés de Victoria Chaplin, fille de Charlie, sous le chapiteau du Cirque Bonjour.
En 1971, Jean Vilar en les invitant à présenter leur spectacle Le Cirque Imaginaire, au Festival d'Avignon, signe un des premiers actes de reconnaissance du cirque.
Ces rénovateurs venus de l'extérieur, qui dans le cadre conventionnel de la succession de numéros, intègrent des artistes issus des gens du voyage (Diana Moreno au « cordage aérien », Jean-Paul Moreno et ses « Fauves en douceur et férocité »), renouent avec une vision idéalisée du cirque moderne. Ainsi, J.?B. Thierrée annonce une « féerie », catégorie spectaculaire typiquement liée au XIXe siècle ; il titre son spectacle (pratique alors abandonnée) ; il réintroduit le charivari, en ouverture, et le final collectif (deux figures considérées comme incontournables par les puristes). Ces partis pris formels ne sont pas assumés de façon nostalgique, mais plus au regard de la recherche d'une authenticité à retrouver pour construire les bases d'un nouveau départ.
Une théâtralisation se manifeste au travers de la musique (de Stéphane Vilar, fils de Jean) jouée en live, des références littéraires (Pierre-Henri Cami) ou politiques et conjoncturelles, des entrées clownesques et des costumes originaux. Un désir de création s'affirme dans un cadre intime et festif avec invitation du public à prendre part au spectacle. J.-B. Thierrée commente : « Certains [spectateurs] entrent en piste, attirés par cette fête que nous voulons créer. Une fête ça ne s'explique pas, elle a lieu ou elle n'a pas lieu » [1]. Il dit, trente ans plus tard, en relatant cet engagement :
« J'allais, comme les "établis" maoïstes dans les usines, m'y infiltrer et y faire mon œuvre de révolutionnaire » [2].
Progressivement, le Cirque Bonjour se démarque, dans la pratique, du dressage d'animaux, et se refuse à l'exhibition de numéros dangereux ; J.?B. Thierrée affirme que « l'attrait du danger, la soumission à un code de l'honneur de certains artistes de cirque [lui] paraissent à proscrire » [3]. Il se distingue également dans son organisation administrative et son mode de diffusion. Coopérative ouvrière, il construit ses tournées en partenariat, entre autres, avec les Maisons des Jeunes et de la Culture. Bien que, dans les partis pris de la troupe, sont contenues en substance des questions posées au cirque traditionnel, et existent en germe nombre d'ouvertures, qui seront développées au sein du nouveau cirque, celle-ci semblera toujours en décalage avec le mouvement général soutenu par les pouvoirs publics. A cette époque, les subventions de l'Etat sont inexistantes et les aides à la création pour ce genre encore du domaine de l'utopie. En 1974, le Cirque Bonjour, ne trouvant pas l'écho favorable espéré, devient le Cirque Imaginaire (titre de leur premier spectacle) et se resserre autour du groupe familial puis, en 1990, le Cirque invisible qui tourne essentiellement dans les grandes villes européennes.
[1] Jean-Baptiste Thierrée est cité par E. V. (« Le Cirque Bonjour n'est plus imaginaire », Avignon, Le Dauphiné Vaucluse, juillet 1971).
[2] Jean-Baptiste Thierrée est cité par Anne-Marie Paquotte (« Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin, Les pionniers du nouveau cirque », Paris, Télérama, n° 2720, du 2 au 8 mars 2002, p. 16).
[3] Ces propos sont recueillis par René Cordonna dans « Des Ombres sur la Piste aux Etoiles », Paris, Télérama, 6 avril 1974, p. 16.