Jérôme Thomas, Le cirque Lili
Notice
Sous son chapiteau de bois et de toile rouge, Jérôme Thomas propose Le Cirque Lili, à Aubervilliers. Entre entretien et extraits de répétition ou du spectacle, s'expose la diversité des objets de son jonglage, de la plume à la boule d'acier et est abordée la question de la chute inattendue que l'artiste a appris à intégrer dans la dramaturgie spectaculaire.
Éclairage
Jérôme Thomas fait partie de ces artistes de cirque qui préfèrent développer de façon autonome la force de leur pratique circassienne afin de la faire accéder au rang d'art. L'histoire commence sous le chapiteau de la Compagnie Foraine, lorsque Jérôme Thomas, à quatorze ans, y découvre le jonglage. Sylvie Martin-Lahmani, participant à la construction de la légende, rapporte que depuis ce stage, l'artiste aurait décidé de « "continuer à ne pas s'arrêter" : de jongler, de danser avec ou sans objets, de penser chorégraphiquement un monde qui serait plein de balles, de rebonds et de temps suspendus » [1]. Construisant sa formation en autodidacte, il accepte les influences, notamment celles de son professeur, Nadejda Achvits (Ecole de cirque de Moscou) et de Michaël Moschen (USA), adepte tout comme lui de l'improvisation.
Pour Jérôme Thomas, le carcan des douze minutes du numéro du cirque traditionnel est trop étroit pour faire « entendre le jonglage », pour « raconter une plus longue histoire ». Il veut prendre son temps et inviter « le spectateur à entrer dans le processus narratif de l'histoire » [2] et pouvoir concrètement déclarer : « le jonglage est un art ». Il crée successivement Artrio (1989), Extraballe (1989), Kulbuto (1991), Quipos (1993) ; puis, viennent trois versions de Hic Hoc (1995-1997), 4 « qu'on en finisse une bonne fois pour toutes avec... » (1998) et Cirque Lili (2001).
Jérôme Thomas est considéré comme le chef de file d'un mouvement qui prend naissance dans les années 1980 [3] et qui privilégie le jonglage avec des balles de silicone (initialement du caoutchouc). La disponibilité à l'improvisation autorise la mise à profit des possibilités offertes par ce type de balle – qui a la propriété de rebondir – dans la gestion de l'accident, dans la théâtralisation de la chute non programmée. Ainsi, la technique des droplines permet au jongleur de « sauver la face ! » [4] en négociant l'imprévu, en l'intégrant dans la figure qu'il recompose. Dans ce cadre la prouesse est redéfinie et selon Jean-Michel Guy, l'enjeu « n'étant plus fondé sur la peur, le spectateur ne considère plus le jongleur comme un surhomme, mais comme un acteur aux prises avec son environnement » [5].
Cirque Lili (2001) se joue sous un chapiteau-manège autoportant de bois et de toile rouge, conçu par Gilles Audejean.
Jérôme Thomas décline les multiples facettes de son art, en diversifiant les matériaux (de la plume, à la boule d'acier), en jouant sur les alternances de rythmes, de trajectoires. Déployant une énergie considérable, il endosse le profil de quelques personnages auxquels Christophe Pilven donne la réplique. Il est accompagné par Jean-François Baez (accordéoniste) et Jean-Charles Richard (saxophoniste), qui interprètent la partition de Guy Klucevsek.
La Compagnie Jérôme Thomas poursuit son travail de création avec, entre autres, Deux hommes jonglaient dans leur tête (2008) associée au compositeur et musicien Roland Auzet qui crée une musique électronique et Ici (2010) sur le possible dépassement de l'enfermement. Un Cirque Lili 2 est en préparation pour 2013.
[1] Sylvie Martin-Lahmani, « Le roi de la jongle », dans Jean-Michel Guy (dir), Avant-garde, cirque !, Paris, Editions Autrement, Collection Mutations, n° 209, novembre 2001, p.83.
[2] Jérôme Thomas est cité par Yvon Kervinio (« Jérôme Thomas », Le cirque dans l'Univers).
[3] Notamment des jongleurs qui ont travaillé au sein de la compagnie créée par Jérôme Thomas en 1991 : Nolwenn Cointre, Emmanuel Anglaret, Jean-Christophe Hapon, Philipe Ménard, Martin Schwietzke...
[4] Joëlle Bourgin, « Sauver la face ! », Paris, Arts de la piste, HorsLesMurs, n°15, janvier 2000, p. 33.
[5] Jean-Michel Guy, Les Arts du cirque en l'an 2000, Paris, Chroniques de l'AFAA – Ministère des Affaires étrangères, n° 28, 2000, p. 119.