Gilles Defacque, Le Prato à Lille
Notice
Un reportage, des coulisses à la scène de la salle Salengro de Lille, sur les clowns du Prato. Un commentaire en voix off aborde brièvement l'histoire et le parti pris de la compagnie qui développe une marginalité face à l'institution et à la tradition clownesque, en revendiquant un engagement politique et social.
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Éclairage
La culture n'est pas faite pour
éloigner, ou diviser, ou mépriser.
Elle est nourriture à Prendre
sur la Bêtise.
Elle est Fermement Nerveusement
Libre !
Rigueur et folie ! [1]
Le Prato, actuellement lieu de recherche, de résidence et de programmation, est né dans les années 1970 sur le foyer des idées de mai 1968, « dans un contexte de rage. Une rage de tout et contre tout » [2]. Fondé par des clowns, c'est aussi une équipe de comédiens. Gilles Defacque (1945), son animateur, pratique un théâtre d'intervention [3] et souhaite travailler au plus près des gens, dans « une contestation politique affichée, clairement située et revendiquée comme telle ».
En 1984, le Prato [4] s'autoproclame « Théâtre International de quartier » en écho à la nouvelle appellation de « la Salamandre, devenue "Théâtre national de Région" ». G. Defacque, jusqu'alors enseignant, se prend au jeu et décide de « vivre du clown », en déclarant vouloir « injecter une certaine dose de rigueur dans la folie des débuts ».
Depuis cette date, le festival Au Rayon Burlesque fait la part belle aux spectacles collectifs ou aux soli de clowns au sein de sa programmation tournée vers de nouvelles formes de cirque et d'humour.
Pour G. Defacque le burlesque est « la mise en crise d'un processus, la destruction d'une mécanique, jusqu'à la sienne propre, jusqu'à se moquer, devant le public, de soi-même, avec cruauté et dérision ». Clown parleur, il joue avec les mots, les objets et les situations. Sans fard, mais avec un nez rouge au-dessus d'une moustache bien fournie, il ouvre de grands yeux ronds et une bouche toujours prête à lâcher des cris ou des exclamations.
Sans hésiter à puiser dans le répertoire théâtral classique et contemporain, l'équipe produit ses propres dialogues. Dans Mélancolies burlesques (1999) [5], une rangée de fauteuils rouges précise la référence admise au cinéma qui fut un temps muet. Chacun des personnages confie des fragments de son existence, loin de l'anecdotique, puisque en prise avec une réalité sociale violente contextualisée. Par leur résonnance avec les problématiques actuelles (le travail, la perte d'emploi, la précarité...), ils nous entraînent sur la fragile frontière qui culmine entre le tragique et le comique. Ne faut-il pas en rire, puisque pour le moment l'action semble se heurter à un mur ? Le rire, qui parfois reste coincé dans la gorge, est-il une marque d'acceptation, une autorisation à différer momentanément l'action ? Peut-on engranger les éléments insupportables qui entravent les vies de certains, sans rancœur, avec la conscience qu'un jour le plus rapidement possible il faudra agir ? Alors peut-être faut-il se tenir prêt, la sollicitation du rire puis son déclenchement étant dès lors des témoignages de résistance. Ainsi, « Face au tyran, à l'ordre », G. Defacque affirme que « le clown fait ressortir de l'enfance, du mouvement, du plaisir. Il vient donner quelque chose aux gens, un moment d'histoire ensemble... » [6]
[1] Gilles Defacque, Texte de présentation du 15e Festival du Prato.
[2] Sauf mention explicite toutes les citations de Gilles Defacque sont tirées de « Un clown-poète, burlesque et populaire », entretien réalisé par Marc Moreigne, Paris, Arts de la piste, Ed. HorsLesMurs, n° 15, janvier 2000, p. 8-9.
[3] Terme introduit et analysé par Philippe Ivernel, « Ouverture historique 1936 et 1968 », dans Johnny Ebstein et Philippe Ivernel (dirs), Le théâtre d'intervention depuis 1968, Tome I, Lausanne, L'Age d'homme, 1983
[4] Le Prato, créé en 1973, s'installe dans une ancienne filature, à Lille, en 1985, devient Pôle Régional Cirque, en 2001, et scène conventionnée pour les arts burlesques et le cirque, en 2006-2008.
[5] Citons aussi : Oh! Les Beaux Jours, de Samuel Beckett (1999), Le Cabaret du bout du monde, Le Tournage Imaginaire, spectacle d'improvisations.
[6] Gilles Defacque, « Qu'est-ce qu'être clown ? », Paris, Arts de la piste, Ed. HorsLesMurs, n°19, Op. cit., p. 32.