Israel Galván, Nijinsky du flamenco
Notice
Héritier d'une tradition séculaire du flamenco, Israel Galván en bouleverse cependant tous les codes et invente un art d'exception. Dans Arena, créé en 2004, il emprunte au jeu du torero la prise de risque et l'immobilité qui plane juste avant la précipitation du geste.
Éclairage
La presse espagnole n'a pas tardé à le qualifier de « Nijinsky du flamenco ». Et le philosophe Georges Didi-Huberman, qui lui a consacré tout un ouvrage, voit en lui « le danseur des solitudes » : « on comprend, à regarder Israel Galván, que danser revient peut-être à offrir ses solitudes comme autant de paradoxes jetés en bouquets, en multiplicités » [1]. Loin des grands ballets collectifs (Noces de Sang, Carmen, El Amor brujo...) grâce auxquels Antonio Gades, dans les années 1970 et 80, a redonné une forme de dignité à un art folklorisé ; Israel Galván renoue pour sa part avec une tradition plus épurée, solitaire, même s'il se sent, dit-il, « comme une jarre pleine de fantômes ».
Né à Séville en 1973, Israel Galván de los Reyes apprend la danse dès l'enfance avec son père, le danseur José Galván, et sa mère, la danseuse Eugenia de los Reyes, qu'il accompagne lorsqu'ils se produisent dans les tablaos andalous. Adolescent, il se rêve toutefois davantage en joueur de foot qu'en bailaor, et il faudra toute l'insistance paternelle pour l'obliger à continuer la voie du flamenco. Israel Galván ne se contentera pas pour autant de perpétuer une tradition, mais d'en bouleverser les codes. S'il fait ses classes auprès de Manuel Soler et de Mario Maya, grand pédagogue et chorégraphe, dont il intègre la compagnie en 1994, Israel Galván affirme sa singularité quelques années plus tard avec les créations de ¡Mira! Los zapatos rojos (1998) et de La Metamorfosis, spectacle inspiré de l'univers de Kafka (2000). Auprès de lui, déjà, un exceptionnel conseiller de l'ombre, le poète, dramaturge et plasticien Pedro G. Romero, d'une culture encyclopédique, qui connaît sur le bout des doigts l'histoire des avant-gardes artistiques. Et qui déclare : « Face à un panorama qui se limitait à deux voies, le canon inventé et l'affectation moderne, Israel Galván défait le chemin rebattu. Face à qui souhaite maintenir un statu quo classique et canonique, il retourne le canon pour nous offrir un flamenco "conceptiste" et baroque. Face à qui introduit des idiotismes de la danse moderne et contemporaine, du jazz et du folklore, il propose de reconstruire une danse flamenca moderne. »
En 2004, il crée successivement Arena et La Edad de oro, qui lui valent enfin la reconnaissance de la critique et des spécialistes du flamenco. Porté par le chant de Fernando Terremoto, La Edad de oro (L'Age d'or) est un hommage assumé aux icônes de l'Age d'or qui ont porté la danse et le chant flamencos à leur apogée, entre la fin du XIXe siècle et les années 30. Un an plus tôt, Arena évoquait l'univers de la tauromachie et l'art du torero, dont le grand Belmonte a été une figure de proue. Parfois ironique, voire même burlesque, Israel Galván fait sienne la prise de risque et l'immobilité qui plane juste avant la précipitation du geste. Et invente un flamenco d'exception, dont la science du rythme (le compás) impressionne profondément.
[1] Georges Didi Huberman, Le danseur des solitudes, éditions de Minuit, Paris, 2006.