Israel Galván, un génie de danseur
Notice
« Nijinsky du flamenco », Israel Galván enflamme la carrière Boulbon, au festival d'Avignon 2009, avec un spectacle inspiré par le thème de l'Apocalypse. Se réfugiant dans l'espace d'un cercueil de planches, dont il fait instrument de percussion, le « danseur des solitudes » invente un au-delà du flamenco.
Éclairage
« Le génie, c'est de se parier génial et de tomber juste », écrivait Julio Cortázar. De ce point de vue, Israel Galván est un danseur absolument génial. Né en 1973, à Séville, de parents eux-mêmes danseurs de flamenco, il a forgé dès ses premiers spectacles, en 1998 (¡Mira! Los zapatos rojos) et 2000 (La Metamorfosis, d'après Kafka), bien plus qu'un style : un art d'exception. « Nikinsky du flamenco » pour la presse espagnole, « danseur des solitudes » pour le philosophe Georges Didi-Huberman [1], Israel Galván signait en 2009, avec El final de este estado de cosas, redux, un spectacle absolument magistral, inspiré de l'Apocalypse selon Saint-Jean. Rien d'étonnant à ce qu'Isabelle Baechler et Didier Dahan, qui suivaient pour France 2 le festival d'Avignon en juillet 2009, où le spectacle était présenté dans le cadre grandiose de la carrière Boulbon, soient « tombés sous le charme ».
Dommage, cependant, qu'Israel Galván n'ait souhaité offrir aux photographes de presse et aux télévisions, qu'une seule séquence de son spectacle : la plus radicale et la plus solitaire, celle où il danse à l'intérieur d'un cercueil dressé à la verticale, dont il fait instrument de percussion. Aussi ne voit-on pas à l'image, les musiciens (sonorités rock des musiciens du groupe Orthodox, mêlées aux guitare, percussions et palmas d'Alfredo Lagos, José Carrasco et Bobote) et la formidable chanteuse Inès Bacan, qui accompagnaient Israel Galván dans sa traversée de L'Apocalypse. Et on ne voit guère davantage, dans ces images saisissantes mais brèves, l'incroyable richesse du vocabulaire corporel d'Israel Galván, car tout au long d'El final de este estado de cosas, redux, sa danse capte non seulement dans son compás toute l'électricité sèche du flamenco (notamment dans la vigueur et la subtilité du zapateado), mais encore sait-elle ouvrir son voltage aux forces ténébreuses du Butô japonais comme à la transe possessive de la tarentelle. Parce qu'il se le permet, tout lui semble permis : inventer un sol de tremblement de terre, libérer l'outrance d'un travestissement sexuel, narguer la mort en faisant scène d'un cercueil de planches. A travers L'Apocalypse de Jean (dont les Lamentations, dit-il, peuvent évoquer le cante jondo du flamenco), Israel Galván lit à corps ouvert les prophéties de fin du monde. Le plasticien et poète Pedro G. Romero, qui accompagne Israel Galván depuis son premier spectacle, en 1998, parle à bon escient d'une « incarnation en sismographe, polygraphe et encéphalogramme » qui donne à la danse le caractère d'une « analyse philologique, d'un alphabet, d'une dactylographie » [2]. Dans l'étrange prémonition spectrale d'un monde qui s'achève et s'écroule, comme jadis Babylone, se lève avec Israel Galván un enfant au corps d'argile capable, peut-être, d'inventer une danse d'exorcisme.
[1] Georges Didi Huberman, Le danseur des solitudes, éditions de Minuit, Paris, 2006.
[2] cité dans le dossier de presse de la création.