Dynamique des lieux
Introduction
Lorsque le spectacle se déroule hors les murs, le lieu est support, décor et partenaire. Par "lieu", il faut entendre l'environnement architectural ou paysager, la configuration de l'espace investi, ses usages habituels, la relation qu'il instaure avec les spectateurs et l'histoire dont il est éventuellement porteur. L'acte artistique prend appui sur ces diverses dimensions et, de façon plus ou moins délibérée, les donne à percevoir en même temps qu'il se donne à voir. On invoque aussi volontiers aujourd'hui la notion de territoire pour désigner des réalisations qui incluent la participation des habitants.
Histoire d'eau
« Narcisse guette »
Les thèmes de l'île et de l'eau jalonnent le parcours de Bruno Schnebelin et d'ilotopie. Île réelle sur le Rhône, où l'artiste, après avoir habité une péniche, a choisi de se poser; île réinventée avec ses indigènes de couleur dans L'Île aux topies et Collectionneurs d'îles ; îlots de fiction, les êtres et les dispositifs flottants qui constituent les scénographies lacustres de la compagnie.
Chacune d'elles associe les symboliques de l'eau et les préoccupations du metteur en scène. Dans Narcisse guette, la surface est miroir et le spectacle évoque "depuis le reflet dans l'eau l'image de soi, jusqu'à une fractalisation de l'individu en multiples personnalités, jusqu'au clonage" [1].
Fous de bassin a traversé ce miroir et puisé dans l'eau comme dans le réservoir de la fantasmagorie contemporaine" [1] : dans un chaos aquatique traversé de flammes, l'être humain dérive et résiste. Les Oxymores d'eau oppose un état archaïque aux machineries grotesques d'un progrès technique ravageur et laisse entrevoir une résolution solidaire et écologique. L' Opéra d'Ô, qui clôt provisoirement le cycle, "navigue dans une enfance grinçante, parmi des personnages-jouets qui ne résistent pas longtemps face au désenchantement du monde." [1] Le public assemblé sur la berge ne perçoit pas forcément les enjeux sous-jacents mais "voyage" avec fascination dans ces spectacles oniriques à l'échelle du paysage.
[1] Toutes les citations sont extraites soit de l'ouvrage ilotopie. Les Utopies à l'épreuve de l'art (L'Entretemps, 2008), soit des textes de présentation des spectacles.
« Roman fleuve »
Dans le Roman Fleuve de la compagnie KMK, le cours d'eau est un environnement de la vie quotidienne et la métaphore de la mémoire et de l'écoulement du temps. Pour Véronique Pény et Anne Vergneault, il "ouvre sur l'ailleurs, nous porte et nous invite naturellement au voyage, à la dérive, à l'itinérance...", (Roman Fleuve, L'Entretemps, 2007).
Roman Fleuve sur le bassin de La Villette
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Les plasticiens de la compagnie KMK assemblent des objets récupérés pour figurer un appartement flottant à la surface de l'eau. Des passants s'interrogent. Véronique Pény, codirectrice artistique, explique : "C'est la ville qui grignote sur le bassin".
À chaque halte, les sons, les objets et les souvenirs des riverains sont prélevés in situ. Les meubles de l'installation, recouverts du limon du fleuve, semblent ressurgir d'un passé oublié; les sacs de plastique, les fragments de bâche et de film bulle sont assemblés à la surface comme les aplats de couleur d'une composition picturale... Le récup'art est ici au service d'un questionnement sur notre société du jetable indifférente à l'environnement.
L'écriture, comme un fil narratif continu, accompagne le parcours. C'est une chronique littéraire subjective qui ricoche d'un chapitre l'autre, la fin d'un texte constituant l'initiale du suivant. Elle est lue en public au jour le jour, se nourrit du work in progress, le nourrit et, avec les photographies, en constitue la trace.
Perspectives architecturales
Une avenue patrimoniale
L'avenue des Champs Élysées est l'artère principale de l'axe emblématique du pouvoir qui relie le Louvre à la Grande Arche de la Défense. Elle conserve la mémoire des "mégères" parties chercher le roi à Versailles, du retour des cendres de Napoléon, et de la fin des deux guerres mondiales, dont le défilé militaire du 14 juillet entretient le souvenir patriotique. Elle est le support de festivités sportives et d'événements spectaculaires souvent produits par Gad Weil, ancien président du carnaval de Nice avec qui les Jeunes Agriculteurs avaient imaginé, en 1989, de déverser La Grande Moisson rappelant que la Révolution était née de la disette. Réalisation reportée d'un an pour cause de célébration officielle du bicentenaire.
Le choix pour celle-ci des Champs Élysées et de Jean-Paul Goude indique une option gouvernementale consensuelle et "branchée". l'Arc de Triomphe illuminé de rouge servait de fond de scène; Jessye Norman, enveloppée dans les plis du drapeau, chanta une Marseillaise lyrique en tournant autour de l'obélisque; entre les deux monuments, la parade joyeusement chorégraphiée des peuples du monde et de leur imagerie connue...
Aux portes de l'an 2000 sur les Champs Élysées
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Le parcours des grandes roues artistiques et foraines qui célèbrent l'entrée dans le troisième millénaire commence à minuit précise en présence de Patrick Bouchain, organisateur de l'événement. Réactions diverses des spectateurs.
Les roues foraines des Portes de l'an 2000 sont dues à l'initiative de Patrick Bouchain. Le dispositif d'ensemble a créé dans la perspective de l'avenue une coulée immobile où le mouvement était inscrit. Chaque roue reflétait l'esthétique de l'artiste qui l'animait et sa vision du "passage" célébré : sociale ou cosmique, retentissante ou subtile... Le public libre de sa déambulation, et en partie venu pour les pétards et le champagne, s'assemblait et se désassemblait selon les sollicitations.
Architectures à lire
Lorsqu'il empaquette le Reichstag ou le Pont-Neuf, Christo, les voilant, les dévoile. Dans les Dépressions de Xavier Juillot, à Arc-et Senans ou aux Abattoirs de Marseille, des membranes plastiques adhèrent aux bâtiments et en soulignent les reliefs les plus infimes. Les compositions des Instrument (s)- Monument (s) de Michel Risse font entendre, comme leur voix intérieure, les sonorités des édifices.
Décor sonore, Instrument / Monument
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Extrait du montage réalisé par Vincent Muteau, Instruments/Monuments 3. Michel Risse considère chaque site urbain, monument, lieu public, ouvrage d'art, etc, comme à la fois un instrument de musique géant et un espace scénographique. Cette vidéo a été tournée à Paris, Reims et Monaco.
La danse a capacité de donner à lire l'architecture à la mesure du corps. C'est le propos de Julie Desprairies, qu'elle met en œuvre dans toutes ses créations à l'échelle d'un édifice ou d'un quartier, et synthétise dans le Petit Vocabulaire danse/architecture .
Compagnie des prairies, Petit Vocabulaire danse/architecture
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Rapport danse - architecture à travers plusieurs performances dansées : Oui, à l'Hôtel de Ville du Blanc-Mesnil en 2004, La danse en libre accès, à la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou à Paris en 2004... Extraits d'un montage didactique conçu par Julie Desprairies à partir de ses spectacles.
C'est aussi, plus ludique, la danse-escalade d'Antoine le Ménestrel le long des façades (Les Urbanologues associés). Et les agglomérats de corps des Bodies in urban spaces de Willi Dorner, qui, remplissant tous les vides, mettent en évidence la structure de l'environnement architecturé.
Territoires humains
Fictions du réel
On se souvient du Théâtre du quotidien que pratiquaient, au cours des années 70, des auteurs et metteurs en scène comme Michel Deutsch, Jean-Paul Wenzel ou Jacques Lassalle. Il s'agissait, dans des spectacles décalqués du réel, de donner place aux sans voix, aux oubliés de la représentation. Certaines compagnies de rue mettent aujourd'hui en abyme l'ordinaire de la vie dans la cité même, avec la participation des habitants. L' État(s) des lieux du Deuxième Groupe d'Intervention, par exemple, installe dans un quartier d'habitation dix habitants-types incarnés par des acteurs : l'homme-voiture rouge, la femme-chats, la jeune fille-tv... L'implantation et les répétitions se font à vue, associées à la fréquentation des gens du voisinage qu'il s'agit d'impliquer, de rendre "hôtes" des spectateurs extérieurs.
La fiction inventée par Cyril Jaubert dans Safari intime et les cartels ethno-zoologiques qui la matérialisent désamorcent la tentation du voyeurisme et l'éventuelle impudeur de situations intimes jouées par les résidents quasi chez eux. Car la moitié des acteurs appartiennent au morceau de ville investi et le canevas préétabli se modifie selon la configuration des lieux et l'apport de ceux qui y vivent.
Opéra Pagaï, Safari intime à Bordeaux
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Portes et fenêtres ouvertes sur les appartements du Vieux Bordeaux, les spectateurs sont invités à participer à un safari imaginaire dans une réserve d'êtres humains. Des résidents sont associés aux comédiens pour représenter des scènes de la vie quotidienne. Réalité et fiction se mêlent.
Mémoires
" PlayRec questionne la question de la mémoire, l'Histoire, la transmission de l'Histoire à une époque où la fabrication d'archives via la vulgarisation des outils de captation de l'image est exponentielle" lit-on dans la présentation de cette expérience renouvelée dans plusieurs sites naguère industriels. L'exploration de la mémoire vive des habitants et l'usage des techniques contemporaines de communication sont récurrents chez KompleXKapharnaüM.
La compagnie est implantée à Villeurbanne, dans le Quartier de la Soie, un territoire de 500 hectares (histoire industrielle forte, maille urbaine lâche, îlots aux identités marquées, quasi doublement de la population d'ici trente ans...) actuellement en cours de réaménagement. Le programme "Projet Phares" élaboré par KompleX accompagne le projet urbain. Les actions artistiques développées dans la durée ou autour de moments spectaculaires s'appuient, cette fois, sur une mémoire fictive : les traces d'une ancienne voie romaine ou médiévale auraient été découvertes à l'occasion du chantier. Exhumée, cette route deviendrait le "sentier pédestre périphérique", support de parcours artistiques, de rencontres, de nouvelles appropriations des lieux.