Derniers préparatifs avant l'ouverture du Festival 1955 et discours de Marcel Pagnol

23 avril 1955
06m 56s
Réf. 00020

Notice

Résumé :

François Chalais commente l'ouverture du huitième Festival de Cannes : balade dans les coulisses du Palais des Festivals, visite des bureaux du personnel et du délégué général, présentation du studio de télévision installé pour l'occasion. Le journaliste présente ensuite le président du jury Marcel Pagnol, qui évoque le rôle du Festival de Cannes.

Date de diffusion :
23 avril 1955
Source :

Transcription

François Chalais
Soudain, à Cannes, tout s'anime comme actionné par une pile électrique dont on ne soupçonnait pas l'existence. En une nuit, tout a changé. Le calme fait place à la précipitation et se prépare à la frénésie. Le dernier ouvrier juché sur la dernière échelle essuie la dernière vitre de la façade du palais des festivals. Il faut bien admettre que sur les portes, la peinture est désormais sèche puisqu'on a supprimé l'écriteau " Prenez garde à la peinture ". Tout est prêt maintenant dans le hall monumental encore vide, et qui dans un instant, verra l'invasion affolée de plus de deux mille professionnels du cinéma, le service d'accueil est en place et met la dernière main aux fiches numérotées des invités. Il sera difficile, malgré la véhémence de certains, de franchir indûment le barrage de leur joli sourire. Les temps sont loin, où le jour de l'inauguration, la tempête emportait un morceau de toit, et où il était stupidement téméraire de s'appuyer contre un mur. A chaque étage, un service est destiné à répondre à un besoin. Au troisième par exemple, Christiane Rochefort et ses collaborateurs sont chargés de distribuer leur pâture quotidienne, leurs cartes d'invitation et de communiquer aux quelques 450 journalistes, aux 30 radios et aux 6 ou 7 télévisions qui se livreront chaque jour le dur combat de la concurrence. Mais la plus grande difficulté reste de répartir aux 2500 professionnels du cinéma les 1500 places de la salle des séances, sans oublier naturellement les 500 invités de tous ordres qui tiennent à voir les films et tous ceux qui ne demandent qu'à payer leurs places pour cela. Pour faciliter cette tâche d'ailleurs, on a eu l'heureuse idée de mettre à sa disposition une machine électronique. Celle-ci a le mérite d'être imbattable pour dépister la fraude. Le seul ennui est qu'on ne sait pas encore très bien comment elle marche. On a déjà suggéré de mettre le secrétaire général du festival à un bout et d'attendre un moment pour voir si à l'autre bout il ne sortira pas des invitations. Ce secrétaire général, du reste le voici. Malgré l'habitude qu'il a de ce genre de cérémonie, Monsieur Favre le Bret n'a pourtant pas encore pris son parti de tous les ennuis qui, chaque année, l'attendent. Réclamations, incidents diplomatiques vont se succéder. La télévision française, aussi naturellement, est plus que prête. Hier, vous avez pu assister à notre première émission, 17 autres, en comprenant celle-ci, vont suivre. Dans les salons de la réserve de l'hôtel Miramar, face à la mer, nous avons installé notre matériel. Il ne manque pas un bouton de guêtre aux caméras. Notre studio, comme il fallait l'imaginer, a suscité pas mal de curiosité. Les commerçants cannois viennent le visiter en famille et des groupes de journalistes de tous les pays. Mais le plus assidu de nos visiteurs n'est autre que le directeur du Miramar. C'est très aimablement qu'il nous a demandé si nous avions l'intention d'abîmer les tapis. Sur notre réponse négative, il en a tout de même fait enlever un, déjà surchargé de projecteurs et de câbles, sous prétexte qu'il valait un million et demi. Peut-être n'a-t-il pas eu tort, on n'a pourtant pas le genre négligé à la télévision française, mais tout de même. Bref, Cannes est à point. Ils, c'est-à-dire les festivaliers, peuvent arriver ; d'ailleurs ils arrivent. Les premiers, Marcel Pagnol, de l'Académie française, et Marcel Achard qui n'en pense pas moins, sont venus prendre les mesures de la croisette et respirer une dernière bouffée d'air libre avant leur grande plongée de 17 jours dans les sombres entrailles de la salle de projection. Une seconde encore ils évoquent, Achard les deux pièces qu'il fera jouer à la rentrée quand il aura trouvé des acteurs, et Pagnol l'accord que Raymond Pellegrin lui a donné de jouer son Judas. Et encore, ces églogues qu'il a traduit de Virgile en vers français et qu'il va faire paraître en librairie, Pagnol bien sûr, pas Pellegrin. Mais il s'agit bien d'églogue, voire même d'idylle. Le spectacle peut commencer, le spectacle est commencé. Il devait débuter par un sourire, celui de l'Américaine Doris Day, venue oublier ici les restes d'une grave crise nerveuse subie à Hollywood. A Cannes, pour cela, elle sera gâtée. Mais trop fatigué par un Paris-Cannes effectué en 5 jours et en Buick, elle a disparu dans ses appartements, laissant attendre dehors la foule de ses admirateurs éventuels. Dans un instant, la nuit s'emparera du palais des festivals pour céder soudain aux éclats d'une nouvelle lumière. Les trois coups sont frappés. Pour nous, avant d'aller occuper pour la première fois son poste de président du jury, c'est Marcel Pagnol lui-même qui les frappe.
Marcel Pagnol
Le festival qui va s'ouvrir tout à l'heure est le huitième festival de Cannes. On a dit quelques fois que cette fête annuelle du cinéma n'était rien de plus qu'une fête et une réunion de belles personnes. Il est certain que les belles personnes n'y ont jamais manqué et qu'elles ne manqueront pas cette année. Il est néanmoins certain que le festival de Cannes a rendu au cinéma français et même au cinéma international, de très grands services. Dès 1946, il nous a révélé l'école Néoréaliste italienne. Et nous avons appris avec stupeur que l'Inde et le Japon faisaient plus de 150 films par an. Le lauréat de l'année dernière, " Les Portes de l'Enfer ", est un film japonais qui passe actuellement dans presque toutes les salles de France. C'est au festival de Cannes que nous le devons. J'ai l'honneur cette année de faire partie du jury qui va juger plus de 60 films. Et je suis assez inquiet à la pensée que nos opinions vont devenir des jugements. Il me semble bien difficile de juger les oeuvres des autres, mais après tout, nos amis les critiques le font chaque jour avec une parfaite sérénité et nous allons essayer de les imiter. Je voudrais pouvoir retrouver cette année l'atmosphère de l'année précédente qu'avait créé Jean Cocteau. J'en profite pour rendre hommage à ce très grand président qui renouvela sa performance deux ans de suite, avec une si grande conscience qu'il lui fallut trois mois de repos pour retrouver son équilibre. Comme il n'est pas très loin de nous, je pense qu'il viendra nous donner les conseils de son expérience. Pour répondre à une question qui m'a été souvent posée, je dois vous dire que le jury n'a pas choisi les films qu'il va juger. Chaque nation présente ses candidats et la France est invitée ici au même titre que les autres. J'aurais encore bien des choses à vous dire, mais je crois que le huitième festival de Cannes est déjà commencé.