Entretien avec les membres du jury Arletty et Henri Jeanson

28 avril 1956
06m 57s
Réf. 00028

Notice

Résumé :

Entretien humoristique avec Henri Jeanson et Arletty, à propos de leur rôle de juré au 9ème festival de Cannes

Type de média :
Date de diffusion :
28 avril 1956
Source :
INA (Collection: Cinépanorama )

Transcription

François Chalais
Arletty, Henri Jeanson, membres d'un jury, voilà qui nous laisse rêveur. Pas vous ? Arletty, qu'est-ce que vous avez à dire pour votre défense ?
Arletty
Moi, je suis une iconoclaste. Mais Henri Jeanson qui n'en est pas un va vous répondre.
Henri Jeanson
Qu'est-ce que vous en savez ? Si, je suis un iconoclaste.
François Chalais
Tout de suite, les accusations gratuites pour les membres d'un jury. Ça commence bien.
Henri Jeanson
En tout cas, je ne pense pas que ce soit parce qu'elle est iconoclaste qu'Arletty est membre du jury. Je pense plutôt qu'elle a joué quelques rôle, peut-être, au cinéma, dont on se souvient, n'est-ce pas ? Elle a apporté au cinéma un personnage qui n'existait pas. Elle a été une grande actrice de cinéma. Parfaitement, nous sommes ici pour plaisanter mais il y a des moments où on peut ne pas plaisanter.
François Chalais
Vous prenez votre rôle très au sérieux !
Henri Jeanson
Je prends mon rôle très au sérieux, parfaitement. J'ai été choisi parce que je fais du cinéma depuis vingt ans, imaginez-vous. Peut-être est-ce pour ça. Je n'en sais rien. En tout cas, c'est une histoire très sérieuse. Nous sommes nommés par le ministre. C'est comme si nous avions la Légion d'honneur.
François Chalais
Parce qu'il y a des tas de gens qui ont été choisis dans les jurys, depuis toujours, et qui ne faisaient pas de cinéma. c'était même pour ça qu'on les prenait. Alors, je ne comprends pas. Il y a un bouleversement total. D'abord que vous soyez membre du jury, ensuite que ça ne soit plus les autres.
Henri Jeanson
Mais ils croyaient que les gens qui étaient choisis ne faisaient pas de cinéma. Il s'est passé, l'autre jour, un incident. Je ne peux rien vous dire parce que...
François Chalais
Ça promet ! Monsieur Pagnol, lui, et monsieur Cocteau étaient autrement aimables que vous. On savait tout. Ils téléphonaient le matin, ils vous disaient : " On a vu tel film ". Ce n'est pas vrai, d'ailleurs. Mais enfin, je le dis maintenant que c'est passé, ils ne risquent plus rien, de toute façon. Mais on avait des indiscrétions, on pouvait travailler. Mais avec vous, on ne peut pas travailler.
Henri Jeanson
Parce que Pagnol vous a donné des indiscrétions ?
François Chalais
Vous, vous êtes exactement comme un archevêque qui a été nommé commissaire de police et qui est plus dur que les policiers eux-mêmes !
Henri Jeanson
Mais mon cher, je ne peux pas vous donner d'indiscrétion ! Il n'y a que deux jours que nous siègeons.
François Chalais
Mais ça va venir.
Henri Jeanson
Je vous dirai des choses intéressantes. Nous avons vu deux films. Nous avons vu Marie-Antoinette. Comment trouvez-vous... Ah non, on ne peut pas dire comment on trouve Marie-Antoinette.
Arletty
Moi, je n'ai pas envie de perdre ma place.
Henri Jeanson
Nous avons vu un film, aujourd'hui, japonais. C'est un film curieux. C'est un film de propagande catholique japonaise. Ce n'est pas un burlesque. C'est un film très sérieux. C'est un film de propagande où on voit un Judas japonais. En somme, on voit un jaune, parmi les japonais... qui, d'ailleurs, est portugais ! C'est une chose tout à fait étrange. Je peux vous dire, de vous à moi, que je ne donnerai pas ma voix au film japonais.
François Chalais
Ça commence bien. Madame Arletty, que pensez-vous des films japonais consacrés à la propagande catholique ?
Arletty
Moi, je m'instruis, de toute façon.
François Chalais
Vous n'êtes pas convertie ?
Arletty
Non. Toujours, je reprends ma formule.
Henri Jeanson
Mais elle avait l'air de réagir très bien, devant le film. Devant ce film de propagande catholique, elle croyait que c'était un film sur l'Inquisition. C'est très curieux.
François Chalais
Est-ce que vous avez une façon particulière de concevoir votre métier de juré ?
Henri Jeanson
Et bien, moi, vous savez, je suis plutôt, comme on dit, vous savez, un personnage d'humeur.
François Chalais
C'est très joliment dit.
Henri Jeanson
N'est-ce pas, c'est joliment dit, et alors, je réagis, devant les films. Je reçois les films. J'ai une émotion ou je n'ai pas d'émotion devant un film. Le film m'est complètement indifférent ou il me touche. Si le film me touche, c'est qu'il est bon, pour moi. Et s'il est bon, pour moi, je vote pour lui. C'est tout à fait simple.
François Chalais
J'espère que vous n'avez pas trop d'émotion, étant donné qu'il y a quatre vingt-dix films, en quinze jours. Si vous êtes ému à chaque fois...
Henri Jeanson
Mais je... Jusqu'ici, vous savez, j'ai été ému, un peu, par le film de Delannoy, qui est un film parfaitement réalisé. Mais ceci dit, ce qui m'inquiète un peu, c'est que dans ces sélections, il n'y a pas un film comique, pas un film de fantaisie, pas une comédie légère. C'est un peu triste.
François Chalais
En effet, le fait qu'il n'y ait pas de comédie légère, ce n'est pas très gai.
Henri Jeanson
Ce n'est pas très gai. Enfin, on va voir ce que ça va donner.
Arletty
Ça, c'est dommage, c'est vrai.
Henri Jeanson
Mais heureusement que j'ai Arletty, qui est à côté de moi, qui fait le bon dialogue, n'est-ce pas ?
François Chalais
Et qu'est-ce que vous pensez de l'atmosphère du festival de ces premiers jours ?
Arletty
C'est un mot heureux, pour nous, ça.
Henri Jeanson
Pourquoi, un mot heureux ? Elle attend que je dise pourquoi ? Je n'en sais rien moi-même d'ailleurs, pourquoi c'est un mot heureux. Mais l'atmosphère du festival est une atmosphère tout à fait drôle. C'est un peu une atmosphère... On se croirait, de temps en temps à la bourse, deux ou trois fois, au Fouquet's, quelquefois, à l'étranger. On voyage sans quitter Cannes. On se promène au Carlton, on tombe en Egypte, on tombe au Japon. On voit des gens qu'on n'a jamais vus, qu'on ne reverra jamais, fort heureusement quelquefois...
François Chalais
Si vous deviez à écrire un article sur le Festival de Cannes, en ce moment, qu'est-ce que vous diriez? Vous avez quand même fait quelques mots ? Je ne les ais pas entendus parce qu'on passe son temps à filmer des gens qui n'en font pas.
Henri Jeanson
Non, mais c'est-à-dire si je faisais un article sur le festival de Cannes, je ne le ferai pas parce qu'on ne le publierait pas.
François Chalais
On a publié un tas d'articles impubliables de vous. C'est même pour ça qu'on les lit.
Henri Jeanson
Je ne vois pas le journal qui le prendrait. En tout cas, je viendrai vous raconter des histoires, si vous le voulez bien.
François Chalais
Mais j'aimerais bien que vous m'en racontiez tout de suite.
Henri Jeanson
Non, jusqu'ici, il n'y a pas d'histoire. Nous nous sommes réunis. Le jury s'est réuni pour nommer son président. On nous a demandé de ne rien dire. Et nous nous réunissons à huis clos, et je crois qu'au fond, nous ne dirons rien. Parce que tout de même, nous ne sommes pas un conseil de guerre. Par conséquent, il n'y aura pas de fuite, n'est-ce pas ? Mais on a nommé un président. On a nommé Maurice Lehmann, directeur du Châtelet, n'est-ce pas, qui a été élu à une grosse majorité, moins deux voix, qui sont celles de Grimault et la mienne, qui avons voté pour Arletty, n'est-ce pas. Et c'est à peu près tout ce qu'il s'est passé. Nous nous réunissons maintenant, à une deuxième réunion, jeudi je crois. Et je ne sais pas ce qu'on dira.
François Chalais
Vous avez des rapports courtois entre confrères ? Vous vous entendez bien ?
Henri Jeanson
Jusqu'ici, on s'entend très bien, deux jours que nous sommes là, mon cher.
François Chalais
Parce que vous qui ne votez pas, justement, pour Maurice Lehmann, donc, votre candidat n'ayant pas été élu, vous êtes dans l'opposition, en quelque sorte ?
Henri Jeanson
Non, je ne suis pas dans l'opposition; non, tout cela s'est très bien passé.
François Chalais
Vous votiez contre, mais dans le fond, vous étiez plutôt pour, alors ?
Henri Jeanson
Ah non.
François Chalais
Tout de même pas ?
Henri Jeanson
Non. Quand je voterai contre un film, c'est que je serai contre un film. Quand je vote pour un film, c'est que je serai pour un film. Si j'ai voté pour Arletty, c'est que j'étais contre Lehmann.
François Chalais
Ce que je cherche, moi, c'est que c'est créer un incident diplomatique. Qu'on me téléphone de Paris, demain, en disant : " C'est scandaleux, cette émission, ce que vous leur faites dire. C'est affreux. Plus d'émission de télévision ". Arletty et Jeanson de retour à Paris, dans le train, tout de suite, remplacés par qui vous voyez. Il n'y a pas moyen ?
Henri Jeanson
Ça va être joli.
François Chalais
En tout cas, je trouve que vous êtes de très mauvais juges. Et dans ces conditions, je vais être obligé, demain, de téléphoner à Cocteau.
Henri Jeanson
Alors, est-ce que vous voulez que cette émission se termine ? Parce que nous allons commencer à être indiscrets. Il vaut mieux s'arrêter.
François Chalais
Allez-y.
Henri Jeanson
Non. Assez. Coupez ! Bon pour le son !