Elie, réceptionniste au Carlton

02 mai 1958
03m 12s
Réf. 00044

Notice

Résumé :

Interview décalée avec Elie, réceptionniste au Carlton, qui parle de son métier et du film "L'homme aux clés d'or".

Type de média :
Date de diffusion :
02 mai 1958
Source :

Transcription

François Chalais
Les hôtels, de leur côté, ont sonné le branle-bas de combat. Pas celui-ci, naturellement, dont les démolisseurs achèvent la carrière après en avoir délogé, à coups de dynamite, le dernier locataire : un anglais récalcitrant qui parodiera jusqu'à la dernière seconde le fameux sabordage de "Noblesse oblige". Mais ceux-ci, briqués comme des mannequins de mariées dans des vitrines de luxe, des mariées qui porteraient en guise de fleurs d'oranger, le tarif des consommations. Derrière ces façades guettent des armées de serveurs, de bagagistes, de liftiers, de cuisiniers, de caissiers, de directeurs, de portiers. Elie est certainement un des concierges les plus célèbres de la côte. Vingt-huit ans de métier, vingt-huit ans de secrets toujours conservés, jamais dévoilés, et pourtant, s'il voulait parler... Comment est-ce que vous faites ?
Elie
Pour faire quoi ?
François Chalais
Pour vous souvenir : savoir à qui appartient chaque clé, sans hésiter ? Vous allez là-bas, vous prenez la clé, vous la donnez, vous ne cherchez même pas.
Elie
C'est une grande habitude.
François Chalais
Comment est-ce qu'on fait pour avoir cette habitude ? Vous avez suivi des cours ?
Elie
Non, pas des cours spéciaux, non.
François Chalais
Dans les écoles...
Elie
Pas du tout, pas du tout.
François Chalais
On ne vous apprend pas la mémoire, comme pour les mathématiques ?
Elie
Non, c'est de longue haleine, n'est-ce pas ?
François Chalais
Vous ne vous trompez jamais ?
Elie
Cela m'arrive de me tromper également.
François Chalais
Qu'est-ce que vous faites, quand vous vous trompez ?
Elie
Et bien, ma foi, nous sommes assez nombreux, ici. Quelqu'un rattrape la faute en vitesse.
François Chalais
Il y a une autre façon de reconnaître les gens, qui est votre spécialité. Vous savez, en effet, faire la différence entre vos clients. Vous savez distinguer ceux qui sont, mettons, importants, réellement importants et les autres.
Elie
Oui, en effet. C'est un petit peu de psychologie, en effet. Mais enfin, je crois que nous nous en sortons assez bien.
François Chalais
Vous pensez que quand vous voyez quelqu'un, par exemple, qui veut simplement paraître, par exemple, riche, alors qu'il ne l'est pas, vous pouvez le découvrir tout de suite ?
Elie
Oui.
François Chalais
C'est très gênant. On n'ose plus se tenir devant vous, alors !
Elie
Mais enfin, nous voyons passer beaucoup de monde. Eux s'arrêtent ou ne s'arrêtent pas. Ils ont peut-être l'impression que nous ne les voyons pas. Mais nous les voyons et nous les remarquons.
François Chalais
Vous feriez un très bon policier.
Elie
Pas du tout. C'est seulement le travail.
François Chalais
Il y a quand même un avantage : c'est que vous êtes plus discret que les policiers, parce que tout ce que vous savez, vous ne le dites pas.
Elie
Oui, je crois que nous devons être très discrets.
François Chalais
Est-ce que vous avez vu un film qui s'appelle "L'Homme aux clés d'or" ?
Elie
Oui, je l'ai vu.
François Chalais
Est-ce que ce film vous paraît correspondre à la réalité ?
Elie
Je l'ai trouvé merveilleux.
François Chalais
C'est un film, en somme, je le rappelle au passage, qui montre Pierre Fresnay sous les traits d'un concierge de grand hôtel.
Elie
Je crois que Pierre Fresnay incarne notre rôle à la perfection.
François Chalais
Vous connaissez Pierre Fresnay ?
Elie
Je le connais.
François Chalais
Vous l'avez eu, déjà, en tant que client ?
Elie
Ici, au Carlton.
François Chalais
Et je crois que lui a dû vous observer, alors.
Elie
Oui, je crois qu'il a dû nous regarder travailler.
François Chalais
Et bien, il ne vous reste plus, maintenant, qu'à imiter Pierre Frenet. Vous avez commencé.