Faut-il interdire les Festivals ? Chronique, 1956.

26 mai 1956
04m 06s
Réf. 00034

Notice

Transcription

(Musique)
François Chalais
Chaque année, c'est la même chose. Dissipé le dernier souvenir lancinant du dernier décolleté plongeant. Disparu, le dernier éclat du dernier feu d'artifice. Effacé le dernier accès de colère provoqué par un palmarès où l'on trouve intolérable que l'on ait oublié le Beluchistan et couronné l'Oubanguichari, ou réciproquement. Et voici que l'on pose de nouveau l'éternelle question : Faut-il supprimer les festivals ? En somme, que leur reproche-t-on ? En particulier, à celui qui vient de se terminer à Cannes ? Tout d'abord, j'imagine, d'être devenu respectable. Cela ne veut pas dire qu'il le soit, mais c'est l'un des plus sûrs privilèges de l'âge mûr de parvenir, presque sans effort, à en avoir l'air. Car c'est cela, la vérité. En se métamorphosant en une foire au film, le festival de Cannes a cessé d'être une foire tout court. Échotiers et congressistes de tous ordres ne le lui ont pas encore pardonné. En donnant un spectacle exclusivement organisé à l'intention des plus de cinquante ans, le festival n'en est nullement susceptible, pour cela, d'être interdit aux moins de seize ans. Avec le temps, on se fait une raison de tout et surtout, de la folie. En fait, les moeurs du festival ont changé et les bons sentiments ont toujours fait regretter les mauvais par ceux-là mêmes qui étaient les plus acharnés à les faire disparaître. Aujourd'hui, simplement, Cannes se penche sur son miroir à la manière d'une vieille coquette, c'est-à-dire en veillant bien à ne se regarder que sous ses bons angles. Ce n'est pas que le festival ait moins de rides. Hélas, non. Ou moins de défauts. Au contraire. Mais il sait l'art d'utiliser les jeux de glace à son profit. C'est toute une technique. Alors, à la question : faut-il tuer les festivals ? Que répondre ? Que les festivals nous enterreront tous et que l'important, pour nous, consiste justement à ne pas nous laisser tuer trop vite par eux. A dire vrai, nous n'en prenons pas le chemin. Pour les cas de génération spontanée, Cannes est réellement imbattable.
Prenez l'exemple de Kim Novak.
François Chalais
Sans doute, de toute manière, chacun, ici comme ailleurs, l'aurait connue. Elle en vaut la peine. Mais pas aussi totalement, pas d'un seul coup, sans une hésitation, à la limite, de l'admiration et de l'adhésion totale. On aurait été voir ses films, on aurait dit : " J'ai vu une fille ravissante dans je ne sais plus trop quel truc américain.
Mais quel est son nom, déjà ? ".
François Chalais
Au lieu de cela, comme au temps de La Fontaine, on s'interrogeait : " Avez-vous lu Baruch ? ", chacun demandait à ceux qui avaient eu la chance d'assister au festival : " Avez-vous vu Kim Novak ? ", " Bien sûr, nous l'avons vue ". Vous voyez bien. Un aveugle l'aurait vue. Et pour elle, Cannes s'est transformé en un phénoménal argus.