François Chalais
Et voilà, tout va finir. Dans quelques heures, le festival sera en vacances. Pour la dernière fois, nous sommes retournés à la gare de Cannes attendre ce train bleu si terriblement matinal.
Dernier d'une liste désormais close, Marcel Carné a fait une apparition de grande coquette, accueilli par Roland Lesaffre lui-même accompagné de sa désormais inséparable Yokotani.
Avec bonne humeur, les uns et les autres se prêtèrent à cette petite photo de famille.
Pour la dernière fois aussi, nous allons monter les marches du palais du festival, que les pleurs des producteurs et la sueur des critiques devraient depuis longtemps avoir rendu glissantes.
" Le Dossier noir " d'André Cayatte, en particulier, n'a pas fini de faire parler de lui. Sa projection a été accueillie par les mots de censure, de policier et d'autres gentillesses du même ordre.
Motif de cette noble indignation, le mode d'emploi détaillé du passage à tabac psychologique tel qu'il est pratiqué dans les commissariats de police à la mode de chez nous. C'est d'une franchise bien inattendue.
Olivia de Havilland elle aussi nous a fait une surprise, celle de parler un français qu'elle ignorait totalement l'année dernière. Pour les langues étrangères, le mariage, il n'y a que cela de vrai.
Cette science nouvelle prit prétexte pour s'exercer, la conférence de presse donnée par Stanley Kramer, jeune producteur américain, à qui Hollywood doit peut-être aujourd'hui de ne pas être comme Carthage, c'est-à-dire détruite.
A Stanley Kramer, en effet, on doit des oeuvres comme " The Men ", qui nous révéla Marlon Brando, et plus récemment " Tant qu'il y aura des hommes ".
Mais la vraie bombe du festival est une bombe hors festival. Elle a explosé hier sous les traits de l'étourdissante actrice café au lait, qui incarne dans " Carmen Jones " la réplique noire-américaine de " La chère bonne vieille chose " de Georges Bizet.
Dorothy Dandridge, le nom est difficile à prononcer mais il en vaut la peine, n'a qu'à paraître pour que tout ait l'air de disparaître autour d'elle.
Elle n'a qu'à bouger pour que tout, à part elle, ait l'air d'être soudain immobile, comme figé de stupeur devant autant d'inconsciente audace, devant autant d'hormones en liberté pas surveillée.
Telle est Dorothy Dandridge, telle est l'héroïne de cette "Carmen Jones ", dont on sait que la projection n'est pas autorisée en France, les éditeurs de Georges Bizet, considérant que l'Espagne ne serait en aucun cas avoir pour capitale Brooklyn.
Eh oui, dans un instant, le tour sera joué. Le dernier acte fignole les derniers effets de sa mise en scène. Dans quelques minutes, grincements de dents et bravos seront le seul fond sonore de cette aventure de 17 jours.
Le jury, couvert de boue, comme c'est automatiquement la règle, se serrera la main en espérant que le prochain ne fera pas mieux la prochaine fois.
Les journalistes écriront des articles vengeurs où il sera question de la stupidité congénitale de ceux qui croient avoir le droit de juger et où l'on expliquera enfin que le meilleur film du festival était, selon le cas, cette production Moldo-Valaque que personne n'a vue, y compris ceux qui la vantent, ou encore ce dessin animé abstrait sur la pêche au thon que tout le monde a pris pour un court-métrage sur la manufacture des Gobelins.
Bref, tout sera pour le pire dans le pire des mondes. Et cela sera très bien. L'histoire des festivals comme l'autre, celle avec un " H " majuscule, est un perpétuel recommencement.