La nouvelle carrière de Romy Schneider

11 mai 1962
10m 07s
Réf. 00075

Notice

Résumé :

Romy Schneider explique pourquoi et comment elle a changé, passant des "pâtisseries viennoises" de la série des Sissi à des rôles plus ambitieux avec des réalisateurs exigeants.

Type de média :
Date de diffusion :
11 mai 1962
Source :

Transcription

François Chalais
Romy Schneider, je pense que ce n'est un secret pour personne, vous avez beaucoup changé. Ca ne doit pas être un secret pour vous non plus. Est-ce que vous vous aimez mieux comme ça ?
Romy Schneider
Oui, j'aime mieux.
François Chalais
Pourquoi est-ce que vous avez changé ? Parce que vous n'aimiez pas ce que vous étiez avant ?
Romy Schneider
Il n'y a rien qui me fait plus de peur que l'ennui. Et puis je n'avais pas connu ça avant. Il y a deux ans et demi que j'ai senti ça la première fois. Je ne l'avais pas connu avant parce que j'étais très bien. J'étais très bien comme "Sissi", comme princesse, non seulement dans le film mais sur l'écran. On m'a fait ça même dans la vie, le public, en Allemagne, en Autriche. C'était très bien, personne... Qui n'aimerait pas ça ? Mais, il y a deux ans demi après avoir tourné, après avoir connu Alain, après avoir tourné trois films dans le même genre en France, c'était fini. Et puis, il était l'idée... Comment ?
François Chalais
Est-ce que vous vous rappelez exactement les circonstances dans lesquelles vous vous êtes dite, vous vous êtes dite : "Maintenant, il faut changer" ?
Romy Schneider
Oui, je me rappelle très bien. C'était au moment où Alain tournait à Milan, "Rocco". J'étais avec lui, je l'ai suivi. Et puis, j'ai connu des gens comme Visconti, j'ai connu Clément, j'ai connu des gens que je n'avais jamais vus, dont j'ai entendu parler. C'était un rêve de les connaître, de travailler avec eux. Je savais très bien que personne ne s'intéressait à moi, pour des bonnes raisons. Et j'étais là, à ne rien faire, près d'Alain. C'était bien dur, lui un homme près de moi qui m'aidait, qui essayait de me donner confiance. Mais ça n'allait pas très bien, c'était triste, c'était dur.
François Chalais
On parle toujours de "Sissi", en France. Dans le fond, on ne sait pas très bien ce que c'est, "Sissi". C'était un produit typiquement germanique, c'était fait pour l'Allemagne. Ça avait beaucoup de succès.
Romy Schneider
Autriche, viennois, surtout.
François Chalais
Oui, c'est ça. C'était une très jolie pâtisserie, d'ailleurs, la pâtisserie viennoise est une chose extrêmement agréable
Romy Schneider
Très bonne, la meilleure.
François Chalais
N'est-ce pas ? Et on n'a pas de raison de s'en priver. Mais ce qu'on ne sait pas très bien en France, c'est que vous étiez tellement identifiée au personnage de Sissi, qu'on devait vous en vouloir de changer. Sissi, qu'est-ce que c'était ? C'était Sainte Thérèse de Lisieux qui faisait du cinéma, c'était quelque chose dans ce genre-là. Et il ne fallait surtout pas que la sainte montre qu'elle pouvait avoir des appétits terrestres. Et vous étiez vraiment très prisonnière de cela ?
Romy Schneider
Oui.
François Chalais
Vous saviez, à ce moment-là, que vous alliez avoir à combattre très dur avec vous-même ?
Romy Schneider
C'était comme... Vous savez, je me sentais comme dans une veste qui est devenue un peu trop petite, ça craquait et....
François Chalais
C'est presque de l'ingratitude de vouloir changer ?
Romy Schneider
Oui.
François Chalais
Vous tourniez le dos à un public, quand même, qui vous avait fait ce que vous étiez, que vous l'aimiez ou pas ?
Romy Schneider
Oui et ça fait peur aussi.
François Chalais
Oui. Et vous ne vous disiez pas : "Je vais me mettre tout le monde à dos" ?
Romy Schneider
Si, bien sûr, je le savais.
François Chalais
"Est-ce qu'il ne vaut pas mieux que je continue tranquillement à faire ce que j'ai toujours fait" ?
Romy Schneider
Bien sûr, je me posais des questions jour et nuit. J'avais bien des gens comme ma famille, etc., et les amis de là-bas près de moi, qui me disaient : "Tu es folle. On ne peut pas se faire ça. Tu refuses l'argent, tu tournes, comme vous dites, le dos à un public énorme, qui est très gentil".
François Chalais
Qui est très gentil.
Romy Schneider
"Qui t'aime comme ça, pourquoi changer ? Et puis, qui sait si tu peux faire autre chose" ?
François Chalais
Et puis, il y a une autre chose aussi, c'est que finalement, les acteurs qui ont réussi dans un certain rôle, qui se sont identifiés à ce rôle, n'ont jamais pu s'en débarrasser.
Romy Schneider
Non
François Chalais
Il est évident, si vous voulez, vous, vous pouvez aller chez Chanel et changer votre façon de vous habiller. Monsieur Fernandel pourrait se limer les dents. Mais il est très difficile, tout d'un coup, de tourner le dos à sa légende, n'est-ce pas ? On allait voir Humphrey Bogart parce qu'il se touchait l'oreille, et si dans un film, il ne s'était pas touché l'oreille, on aurait dit que le film était mauvais. Bon, le fait qu'il se touche l'oreille supposait que tout le reste était bon, était ce qu'attendait le public. Alors, comment est-ce que vous avez fait pour détruire cette légende ? Car vous êtes la première à vous être débarrassée d'un personnage.
Romy Schneider
Vous croyez ?
François Chalais
Je pense. Vous ne croyez pas ?
Romy Schneider
Je l'espère.
François Chalais
Sissi est toujours là qui vous tire par le masque de votre joli petit tailleur ?
Romy Schneider
Je l'espère.
François Chalais
Comment vous avez fait. Vous avez eu un plan ?
Romy Schneider
Non.
François Chalais
Vous vous êtes dit : "Je m'arrête de tourner tant qu'on ne me propose pas quelque chose d'intéressant" ?
Romy Schneider
Ça oui. Oui.
François Chalais
Aujourd'hui, Romy Schneider, à cause de votre courage, à cause de votre intelligence aussi, quelquefois ça coïncide, il n'y a pas un grand metteur en scène qui n'ait envie de travailler avec vous. C'est une chose qui, finalement, était inespérée il y a trois ans. Luchino Visconti a fait appel à vous, et pas seulement à cause de vos relations, parce qu'il "savait". Ces gens ne gaspillent pas leur talent avec les autres. Ils peuvent être polis, ils peuvent être bien élevés, mais jamais dans le métier.
Romy Schneider
Non.
François Chalais
Ils ne font pas les choses pour rien. Tout à l'heure, vous allez quitter Cannes, vous allez repartir pour Paris où il y a un monsieur qui vous attend qui s'appelle Orson Welles, qui lui aussi ne travaille pas avec la première venue. Vous faites "Le Procès" avec lui. Bon, ça doit plutôt vous faire plaisir.
Romy Schneider
Beaucoup.
François Chalais
Mais les deux ans et demi d'inaction volontaire par lesquels vous êtes passée, dans quel état d'esprit vous trouviez-vous ?
Romy Schneider
J'étais bien perdue. Comme je vous ai dit, j'étais près de quelqu'un qui travaillait, j'ai connu des gens avec qui j'avais envie de travailler qui ne s'intéressaient pas à moi. J'ai vu des journaux qui ont écrit et parlé d'une façon de moi que je n'aimais plus. Je n'avais pas envie qu'on parle comme ça de moi puisque j'ai senti autre chose, j'ai senti que je voulais, que je peux faire autre chose.
François Chalais
C'est-à-dire qu'on parlait toujours de vous. C'était peut-être ça qui était grave. On n'aurait pas parlé, ça aurait mieux valu ?
Romy Schneider
Oui, presque.
François Chalais
Car vous étiez toujours un sujet d'article, vous n'étiez plus un motif de film.
Romy Schneider
Non
François Chalais
C'est ça qui comptait ?
Romy Schneider
Non
François Chalais
Ce qu'il avait d'intéressant, pour les journalistes, en ce qui vous concernait c'est : "Qu'est devenue, justement, cette jeune actrice qui avait pris un départ si brillant et avec la fausse note apitoyée à la fin" ?, c'était ça ?
Romy Schneider
C'est vrai, j'aurais presque préféré à ce que le téléphone ne sonne plus pour, justement, pour qu'il sonnait pour ce personnage-là qui n'existait plus.
François Chalais
Et il vous a été, évidemment, très difficile de dire aux gens que vous voyiez toute la journée, qui étaient des gens avec qui vous aviez envie de travailler : "Est-ce que vous n'avez pas quelque chose pour moi ?". C'était vraiment une chose que vous ne pouviez pas faire.
Romy Schneider
Oui
François Chalais
Vous étiez trop connue pour pouvoir demander quoi que ce soit ?
Romy Schneider
Je n'aurais pas pu.
François Chalais
Oui. Mais, est-ce que vous...
Romy Schneider
Le seul avec qui je parlais, c'est Luchino, c'est vrai.
François Chalais
Qu'est-ce qu'il vous disait ?
Romy Schneider
Luchino, il m'a écoutée. C'était le premier qui m'ait écouté, j'avais l'impression qu'il ne s'en fichait pas de ce que je dis, qu'il s'y intéressait un peu, malgré qu'on ne se connaissait presque pas. Il m'a comprise. Et je lui disais, parce qu'il était, avant tout, pour moi, un ami, je lui ai expliqué ce que je voulais faire et comment je me sens en ce moment-là. Mais il ne m'a rien répondu, il ne m'a pas dit qu'il a une idée. Il avait déjà pour la pièce "Dommage".
François Chalais
Mais, est-ce qu'il y a eu des gens qui vous ont donné des vrais conseils ? Des conseils, par exemple, "il faut vous habiller autrement", "il faut lire tel livre", "il faut faire telle chose, la façon dont vous êtes arrivée à ce que vous êtes, c'est de vous-même ou des autres ?
Romy Schneider
Non. On m'a donné des conseils oui, pas des gens non. Il y avait un seul, c'était Alain.
François Chalais
Oui. Qu'est-ce qu'il vous disait Alain ?
Romy Schneider
Mais ce n'était pas pour les choses extérieures, habillées ou ça, non. Si, si, aussi quand on parlait de ça mais c'était trop trop rare et puis les choses extérieures, avant tout c'était mon état. Et Alain me disait : "Attends".
François Chalais
Il vous disait quoi quand vous étiez découragée ?
Romy Schneider
Ah j'étais furieuse.
François Chalais
Non mais lui, qu'est-ce qu'il vous disait ?
Romy Schneider
Lui ?
François Chalais
Oui. Il vous prenait par l'épaule et il vous disait : "Ca va s'arranger" ou il vous faisait une vraie conversation ?
Romy Schneider
Non non. Il m'a dit, il était merveilleux. Il m'a dit : "Attends, attends. Tu n'as pas quatre-vingt ans. Tu as le temps, attends". C'était très facile pour lui. J'ai dit : "De toute façon c'est facile à dire mais je ne vais plus attendre". Combien de temps je vais attendre pour faire quelque chose de bien, pour faire quelque chose que j'ai envie de faire ? Et il ne m'a pas laissé, il m'a... avec raison. Je ne l'ai pas toujours compris. Et je crois sans lui, sans quelqu'un, (c'était lui pour moi), derrière moi, près de moi qui m'ait dit :"Non, non, non"... Et puis là, tu ne réponds pas, et tu ne fais pas. Je ne sais pas si j'aurais résisté. Peut-être, j'aurais fait une (pardon) une "connerie" sans lui.
François Chalais
Vous ne croyez pas qu'on peut être seul dans la vie quand on veut faire quelque chose d'important ?
Romy Schneider
Non.
François Chalais
On a besoin des autres ?
Romy Schneider
Oui. Un.
François Chalais
Est-ce que, justement, nous parlerons d'Alain Delon, je dois, d'ailleurs, déplacer le problème. Il est très difficile pour deux acteurs de poursuivre une vie parallèle ? Etre deux dans la vie quand on n'est pas acteur, c'est déjà difficile.
Romy Schneider
Ah c'est presque sûr.
François Chalais
Je pense que quand on est acteur, c'est encore plus compliqué. Parce que, finalement, on est toujours un peu en concurrence. Il y en a un qui est plus célèbre que l'autre.
Romy Schneider
Oui mais ça, non. Ça je ne connais pas. Cette façon de jalousie, si vous voulez, pas du tout, ni lui, ni moi. Mais j'avoue que c'est pour moi la chose la plus difficile, vraiment, de réussir. En plus deux gens jeunes comme nous deux, de faire une vie ensemble, une vie, une vraie vie à côté de ce métier.
François Chalais
C'est plus important que le métier ?
Romy Schneider
Oui, pour moi, oui. Et ça ne l'était pas avant. J'étais bien prête à livrer corps et âme, comme on dit chez nous, à ce métier. Mais ça, ça m'a fait bien peur à un moment. Parce que si... Il y a bien un moment où ça peut s'arrêter, surtout pour une femme. Un jour, on n'est plus jeune, on n'est plus jolie. Et puis si ça s'arrête, on n'a plus rien. Si on n'a pas quelqu'un ou une vie ou un coin où on peut aller, ou un enfant... Non. Pour moi c'est... J'ai quelque chose au-dessus de ce métier et je m'accroche bien, et ça je vais le garder.