Le Jury du Festival 1965 a la parole

14 mai 1965
09m 27s
Réf. 00095

Notice

Résumé :

Présentation du jury du 18ème festival, puis interview du délégué général sur le choix des jurés, et des jurés André Maurois, Rex Harrisson, Alain Robbe-Grillet, Olivia de Havilland?

Type de média :
Date de diffusion :
14 mai 1965
Source :
ORTF (Collection: Panorama )

Transcription

(Musique)
Journaliste
A Cannes, cette année, le festival du cinéma bénéficie de nombreux atouts. Tout d'abord, le beau temps grâce à une inauguration décalée de quinze jours vers l'été. Ensuite, une première soirée réussie en présence de nombreuses vedettes. Enfin, et surtout, un jury millésimé, l'un des meilleurs réuni depuis longtemps. Le constituent, en effet, Istvan Dosaï, Hongrie, Herman Van der Horst, Pays Bas, pour le court métrage. Max Aub, Mexique, Michel Aubriant, France, Jerzy Toeplitz, Pologne, Edmond Tenoudji, François Reichenbach, Alain Robbe-Grillet et André Maurois, France, Olivia de Havilland, présidente du jury long métrage, George Gerardot, président du jury du court métrage, Goffredo Lombardo, Italie, et Rex Harrison, Grande Bretagne. Huit pays sont donc représentés ce qui, en principe, égalise les chances des meilleurs. Avant de faire plus ample connaissance avec certaines personnalités de ce jury, voici celui qui les a choisis, monsieur Fevre Le Bret. Monsieur le délégué général, constituer un jury est une entreprise particulièrement délicate. Il faut savoir doser. Comment vous-y êtes vous pris ?
Le Bret Robert Favre
Et bien voilà, j'essaie toujours de trouver un certain équilibre entre les compétences et les autorités reconnues. C'est-à-dire en cherchant un critique, un auteur, un réalisateur, un artiste, un producteur, etc. Car comme ça, nous avons diverses tendances qui s'affrontent et alors, ça mène des débat passionnés et passionnants.
Journaliste
André Maurois, le fait d'être un écrivain dont certaines oeuvres ont été portées à l'écran, signifie-t-il que vous vous intéressez vraiment au cinéma ?
André Maurois
Je m'intéresse passionnément au cinéma, mais pas parce qu'on a porté certaines oeuvres de moi à l'écran. Car en général, ce qu'on a porté à l'écran ne ressemblait pas beaucoup à mes oeuvres. Mais j'aime le cinéma pour lui-même. Il y a peu de formes d'art qui m'arrachent aussi complètement à moi-même. D'une manière générale, tout film qui est fait par un homme qui considère que le cinéma est un art et qu'il va faire une oeuvre d'art, c'est ça qui m'intéresse. Un film commercial, ça m'est égal.
Journaliste
Est-ce le comédien Rex Harrison que nous voyons, ici, à Cannes, dans le jury, jouant le rôle d'un juré, ou bien vous considérez-vous au même titre que les autres ?
Rex Harrison
[Anglais]
Journaliste
Vous vous considérez comme un membre du jury normal et sérieux et non pas comme une vedette en représentation. Alain Robbe-Grillet, vous avez déjà eu deux expériences au cinéma. Quel est votre point de vue ?
Alain Robbe-Grillet
Ça, c'est difficile à préciser comme ça, en quelques minutes. Je passe pour être un défenseur du cinéma intellectuel. Je ne crois pas que ça ait grand sens. Et d'ailleurs, je ne me considère pas comme un intellectuel. J'ai l'impression que le danger, dans ces compétitions, dans ces jurys de festival, c'est de mélanger des films qui, peut-être, n'ont pas exactement la même portée. Supposons qu'on organise un festival de musique et qu'on essaie de comparer la dernière chanson de Sylvie Vartan avec la dernière sonate de Pierre Boulez, n'est-ce pas. Et il est évident que c'est difficile de dire que l'un est meilleur que l'autre. On ne peut pas dire que Boulez est meilleur que Sylvie Vartan, n'est-ce pas ?
Journaliste
Alors, vous trancherez en fonction de vos goûts personnels ?
Alain Robbe-Grillet
Et bien, je trancherai forcément en fonction de mes goûts personnels. C'est-à-dire que j'aurai tendance à défendre une oeuvre qui aura plus besoin d'un grand prix, si vous voulez, qu'une oeuvre qui pourra plus s'en passer.
Journaliste
Jerzy Toeplitz, vous représentez la Pologne au sein du jury. Ce n'est pas la première fois que vous êtes juré dans un festival. En quoi ce jury diffère-t-il des autres ?
Jerzy Toeplitz
La composition du jury dépend de la formule du festival. A Cannes, si je ne me trompe pas, c'est la liaison entre l'art et l'industrie du cinéma. Alors, vous avez au jury les représentants de l'industrie aussi bien que les critiques et les hautes personnalités.
Journaliste
Chez vous, dans des festivals des pays de l'Est, comme par exemple celui de Karlovy Vary, mettons davantage l'accent sur l'idéologie que sur le commerce ?
Jerzy Toeplitz
Oui. Mais pratiquement, je ne vois pas une grande différence. Parce que les personnes qui sont jury se répètent, et ils ont comme tâche principale toujours de trouver le meilleur film du point de vue artistique.
Journaliste
Constantin Simonov, de nombreux films en Russie ont été inspirés par vos romans, comme par exemple "Le Don Paisible". Etes-vous satisfait de ces adaptations à l'écran ?
Constantin Simonov
En principe oui. Mais je crois que le dernier film de [Stolper] est le plus fidèle.
Journaliste
Il s'agit de "Les Vivants et les morts", qui est sorti en France sous un autre titre, "Les Mois les plus longs". Allez-vous souvent au cinéma ?
Constantin Simonov
En principe oui. Mais je crois qu'ici...
Journaliste
Vous aurez l'occasion d'y aller encore plus souvent ?
Constantin Simonov
Oui.
Journaliste
François Reichenbach, en tant que reporter, vous avez certainement dû entendre parler des jurys et de certaines pressions qui sont susceptibles de s'exercer au dernier moment.
François Reichenbach
Je pense qu'il peut y avoir des suggestions mais je pense aucune pression, en tout cas. Et je crois le fait d'être juré vous donne une indépendance d'esprit encore plus grande que si nous n'étions pas jurés.
Journaliste
En admettant que vous soyez témoin de certaines inteventions, avez-vous l'intention d'en faire état, par la suite ?
François Reichenbach
Certainement pas.
Journaliste
Michel Aubriant, vous êtes critique et un critique ô combien sévère et redouté. En tant que juré, est-ce le critique qui s'exprimera ou bien le spectateur ?
Michel Aubriant
Je crois que ça va être les deux. Mais le critique non pas en tant que critique sur un plan affectif mais représentant de l'ordre tout entier de la critique, si vous voulez, puisque c'est à ce titre-là que je suis venu à Cannes.
Journaliste
Oui, mais il est difficile de se mettre d'accord avec ses confrères. J'en connais certains avec lesquels vous n'êtes pas du tout d'accord.
Michel Aubriant
Sur des oeuvres d'une certaine qualité, il est difficile d'être d'accord. Mais sur les oeuvres mauvaises, je crois que tout le monde est d'accord. Ça opère déjà une sélection.
Journaliste
La sélection étant opérée, parlons des oeuvres de qualité.
Michel Aubriant
Sur les oeuvres de qualité, à ce moment-là, évidemment, aucun de nous n'a la même réaction. A ce moment-là, il vaut mieux risquer de se tromper tout seul et de juger selon ses propres réactions personnelles, selon ce que l'on aime et ce qu'il nous plait.
Journaliste
En admettant que vous assistiez à certaines tractations qui ne vous plairaient pas, quelle serait votre réaction ?
Michel Aubriant
Ça ne me ferait pas bien plaisir.
Journaliste
Mais encore ?
Michel Aubriant
D'abord, je m'y opposerais, enfin, je tenterais de m'y opposer.
Journaliste
En ensuite, en feriez-vous état ?
Michel Aubriant
Certainement, oui.
Journaliste
Olivia de Havilland, madame la présidente, devrais-je dire, souvent les comédiens aiment passer derrière la caméra et devenir metteur en scène. Il leur arrive aussi, parfois, de faire partie d'un jury, comme vous, ici, à Cannes. Connaissant, vous, les difficultés du métier, cela risque de vous influencer et de vous faire voir uniquement le travail qui a été fait davantage que le résultat ?
Olivia (de) Havilland
Il me semble qu'en juge, je suis bon public, et je juge un film comme une oeuvre d'art, plutôt comme les spectateurs assez sensibles, expérimentés.
Journaliste
Vous estimez vous-même avoir tourné beaucoup d'oeuvres d'art, à Hollywood ?
Olivia (de) Havilland
Ça peut arriver, vous savez, à Hollywood. J'ai eu la chance de tourner "Autant en emporte le vent", "La Fosse aux serpents" et "L'Héritière". Et je compte tous les trois comme des oeuvres d'art. Je ne suis pas chauvine, je crois. J'espère que non. Et j'habite la France. Je suis née au Japon. Anglaise, d'origine anglaise. Je suis américaine par naturalisation. Et j'habite la France. J'ai une fille française, même. Et j'espère que j'ai un point de vue un peu influencé par le fait que ma vie a été emmenée dans plusieurs pays. Et j'espère que je comprends la mentalité, la psychologie des différents peuples.
Journaliste
Oui. Vous ne risquez pas de vous souvenir trop que vous avez été et que vous êtes toujours une grande vedette d'Hollywood pour juger par exemple mieux les films américains que les autres ?
Olivia (de) Havilland
Vous essayez de m'attraper, monsieur. Je suis, j'essaierai, comme sur tous les plans de la vie, de rester... qu'est-ce que l'on peut dire ?
Journaliste
Objective ?
Olivia (de) Havilland
Objective et de faire des jugements d'équité.