Polémique autour du film "Toute une vie" de Claude Lelouch

20 mai 1974
04m 57s
Réf. 00157

Notice

Résumé :

Suite à la projection du film "Toute une vie" à Cannes hors compétition où les siffleurs ont été nombreux, Claude Lelouch donne une conférence de presse pour s'expliquer. Rencontre avec les comédiens qui commentent l'accueil fait au film.

Date de diffusion :
20 mai 1974

Transcription

Journaliste
Les mêmes sympathies, les mêmes antipathies, beaucoup de nervosité, il faisait très chaud ce jour là, Claude Lelouch est arrivé un peu anxieux. On lui avait dit que dans la salle quelques personnes avaient sifflé, c'est-à-dire toujours les mêmes qui sifflent pour les mêmes films mais Claude Lelouch n'a pas peur, il est venu et avec ses amis comédiens.
Claude Lelouch
J'ai commencé tout à fait le tout premier plan du film, c'est une phrase qui dit que tous les hommes sont sincères, seulement ils changent constamment de sincérité. Bien. Et pendant 2 heures et demie, j'essaie de parler de ça. J'ai essayé de faire ce film à l'image de l'époque dans laquelle je vis, c'est-à-dire à une époque complètement partagée en deux. Je ne parle pas sur un plan national parce que ce serait trop facile de se servir des élections actuelles pour montrer à quel point les gens sont opposés et différents, et en même temps de part égale. Mais, je pense que sur un plan mondial, aujourd'hui le monde est véritablement divisé en deux sortes de gens : il y a nettement ce qu'on peut appeler, péjorativement ou pas, la gauche et la droite, et ce film va constamment de l'un à l'autre. J'ai voulu constamment aller de l'un à l'autre. Je n'ai pas voulu faire un film de gauche, je n'ai voulu faire un film de droite, j'ai voulu faire un film sur la contradiction. Laissez-moi parler. Je vous ai laissé siffler tout à l'heure, maintenant laissez-moi parler.... Alors
Inconnu 1
Je voudrais juste dire un mot
Claude Lelouch
Bon
Inconnu 3
Laissez le parler
Inconnu 2
Une minute s'il vous plaît
Inconnu 1
J'ai pris la parole dans la salle pour dire qu'il y avait trop de cons qui avaient oublié que les 6 millions de déportés, j'ai pleuré moi-même, je m'excuse, Je m'excuse.
Journaliste
Comment ça s'est passé cette conférence de presse ? Vous y étiez tous hier ?
Claude Lelouch
Oui. Enfin, moi j'y ai passé un moment donné, j'ai dit allez 2, 3 secondes.
Charles Gérard
Il paraît que je suis un violent et à chaque fois j'ai des incidents ici alors je suis parti pour faire un tour en mer.
Journaliste
Vous étiez boxeur avant ou quoi ?
Charles Gérard
Ah oui. J'ai fait 4 combats, j'étais 4 fois knock out, et on m'a dit il faut changer de métier.
Journaliste
Vous étiez, vous étiez arrêté pendant ce temps là, vous étiez coincé dans une chambre d'hôtel ?
Charles Gérard
Oui, non, non, non, j'étais au bord de la mer. J'ai été jouer au volley.
Journaliste
Heureusement, Denner était là.
Charles Denner
Non, non, je m'excuse, je n'étais pas là.
Journaliste
Vous aussi, vous n'étiez pas là, ce n'était pas très chic pour Claude Lelouch
Charles Denner
Je pense que Lelouch est assez grand pour se défendre.
Claude Lelouch
J'ai construit le film pour que constamment tout ce qui est dit soit contre dit dans la seconde d'après, car c'est exactement comme ça que je mène ma vie et c'est exactement comme ça qu'est construit le film. Maintenant, Monsieur si vous voulez on revoit le film ensemble tous les deux dans une salle sans siffleur et vous écoutez le texte, les intentions et pourquoi on arrive aux choses. Quand je parle de l'Amérique, je glorifie l'Amérique pour une certaine raison avec le père et la mère parce que nous sommes à ce moment là en 1945, et qu'à ce moment là tout le monde aimait l'Amérique en 1945. Le Vietnam n'avait pas encore eu lieu, tout ce qui se passe aux Etats-Unis, on ne le connaissait pas. La séquence de la mère et du fils, et du père, il faut la voir en 1945, puisque c'est un flash back, deux secondes après on revient en 1974 avec la fille qui conteste son père, le père est un réactionnaire, c'est le portrait d'un réactionnaire tout au long du film. Vous sifflez ce qu'il dit comme réactionnaire et vous sifflez ce que dit sa fille quand elle le critique, vous n'avez laissé aucune chance à aucun des personnages de se critiquer les uns et les autres.
Marthe Keller
J'y étais pendant la conférence de presse et c'était vraiment un, on a été traité de cons carrément quand même ... Ah si, ah si,
Journaliste
Tous ?
Marthe Keller
A eux, qu'ils ont répondu des choses, comme... c'est vrai, dis leur, toi tu y étais
André Dussolier
C'était passionnant et passionné, c'était lourd
Marthe Keller
Ah non, c'était méchant. C'était carrément méchant.
Journaliste
C'est drôle la méchanceté.
Marthe Keller
Ah oui, c'est pour ça que moi ça m'a fait rire. Ça a pris une telle proportion, alors
Claude Lelouch
Je ne suis pas absolument surpris, je connais bien Cannes, ça fait la troisième fois que j'y viens comme ça avec un film. Il y a des clients bien précis et puis en plus en général les clans ne changent pas de clan, je veux dire c'est comme dans la campagne électorale actuellement si vous écoutez l'émission sur Giscard d'Estaing avec des gens de Mitterrand, ils n'aiment pas, et si vous voyez l'inverse avec qui vous savez, ils n'aiment pas non plus. Je veux dire que c'est pareil à Cannes, on fait partie d'un clan et puis on en bouge difficilement. Mais ça je le sais, ça fait partie de la règle du jeu, mais c'est ce qui fait l'intérêt de Cannes, c'est ce qui fait l'intérêt d'un festival, c'est son côté arbitraire, son côté violent
Journaliste
Est-ce que c'est une lutte à votre mesure ?
Claude Lelouch
Je ne sais pas si c'est à ma mesure, je dis que tous les gens qui viennent à Cannes sont forcément maso, forcément, on ne peut pas venir à Cannes si on est un homme normal parce que ça défie toutes les lois de la décence, il n'y a pas un seul gentleman sur la croisette. Donc, ce n'est pas un pays de gentlemen, si on vient ici c'est pour se battre d'une façon ou d'une autre, c'est pour imposer des idées d'une façon ou d'une autre, c'est pour insulter des gens d'une façon ou d'une autre, c'est pour faire son numéro, c'est pour vendre des tickets, c'est pour vendre sa salade, c'est une foire, il faut le prendre comme ça. Toutes les personnes qui penseraient que Cannes c'est autre chose qu'un grand cirque, pensent mal ou elles ne sont jamais venues à Cannes.