Christophe Dechavanne
Inutile de vous dire que ce jingle cinéma, vous allez le voir, quand même, à de nombreuses reprises puisque je vous précise que nous sommes à Cannes, si vous avez pris cette émission en cours.
J'ai, à côté de moi, Jean Claude Carrière.
Bonjour.
Jean-Claude Carrière
Bonjour.
Et un petit peu de pellicule vierge.
Christophe Dechavanne
Et un peu de pellicule. Comment avez-vous dit ?
Jean-Claude Carrière
Vierge.
Christophe Dechavanne
C'est vierge, mais effectivement, il y a de la pellicule.
Je tiens, d'ailleurs, à vous signaler, et je vais vous le dire tout de suite, qu'on doit ça à Djélani Maachi, qui était le coiffeur des "Nuits de la pleine lune". Voilà.
(Mademoiselle, vous pouvez rester là. Vous allez bronzer du dos).
Alors, Jean Claude Carrière, vous êtes scénariste, et ce soir, "Max, mon amour", qui est en compétition, et qui est une co-production Antenne2, et qu'on va voir donc, ce soir, qui est présenté à Cannes...
Et qui est un film de Oshima.
Et qui est un film de Oshima, j'allais le dire, vous êtes le scénariste, et l'idée originale est de vous ?
Jean-Claude Carrière
Oui.
Christophe Dechavanne
Alors, cette idée, je vais en parler un peu plus tard avec Charlotte Camplin et Oshima, certainement, mais c'est une aventure tendre et sexuelle entre une femme et un singe ?
Jean-Claude Carrière
Sexuelle ? Pas vraiment.
Elle l'est peut-être en dehors du film, mais c'est une aventure... C'est une histoire d'amour, oui, entre un homme... entre une femme et un singe, surveillée par le mari de cette femme et leur enfant.
Christophe Dechavanne
Alors, quand on est scénariste, moi, déjà, ce que je voudrais savoir, c'est est-ce qu'on a des fantasmes ou est-ce qu'on doit assouvir quelque chose quand une idée comme celle-là vient dans l'esprit et ensuite, sur le papier ?
Jean-Claude Carrière
C'est difficile de répondre parce qu'un scénariste, quelquefois, raconte ses propres histoires qu'il a imaginées.
Et d'autres fois, adapte des livres ou des pièces de théâtre déjà existantes. Je crois que l'essentiel, c'est...
Christophe Dechavanne
Ce que vous avez beaucoup fait, d'ailleurs ?
Jean-Claude Carrière
Ce que j'ai fait à peu près une fois sur deux.
Et je crois que l'important est de trouver des histoires qui vous intéressent vous-même.
C'est-à-dire qu'on ne peut pas faire un scénario qui soit un pincement, qu'on vous oblige à faire si ça ne vous intéresse pas.
Je crois qu'au fond, les scénaristes de cinéma sont, aujourd'hui, les conteurs d'autrefois, vous savez ? dans les grandes civilisations indiennes ou arabes, qu'on applaudissait, peut-être, comme ça.
Christophe Dechavanne
Oui, il y a un peu d'animation, là, derrière. On va essayer quand même de rester concentré.
Jean-Claude Carrière
Je crois qu'on vit dans la vie, dans le monde.
Donc, il faut l'accueillir avec tout le bruit et tout ce qu'il se passe, et le vent dans la pellicule.
Mais je crois que c'est justement ça qui fait qu'un conteur, un scénariste, doit être tout à fait éveillé à ce qu'il se passe autour de lui.
A chaque instant.
On ne raconte pas vraiment ses propres fantasmes.
A moins qu'ils coïncident miraculeusement avec ceux du temps.
Christophe Dechavanne
Mais là, dans ces cas-là, on ne l'avoue pas forcément.
Jean-Claude Carrière
On ne l'avoue pas forcément.
Mais je crois que le conteur, et le scénariste de cinéma, beaucoup plus que le romancier, s'effacent derrière ce qu'ils racontent.
Christophe Dechavanne
Est-ce que le métier de scénariste a changé ?
Est-ce qu'il y a eu une évolution dans la création d'un scénario et il y a dix, quinze ou vingt ans ?
Jean-Claude Carrière
Considérablement.
Et même depuis soixante ans, il y a une histoire du scénario à écrire.
Elle n'a jamais été écrite;
Christophe Dechavanne
Et vous le regrettez, ça.
Jean-Claude Carrière
Le cinéma était à peine vieux de quarante ans qu'il racontait déjà son histoire.
C'était extraordinaire à quel point le cinéma s'adore et s'auto adore.
Quelquefois, il fait plein de festivals.
On a peu parlé du scénario.
Moi, quand j'ai commencé à faire du cinéma avec Jacques Tati, par exemple, le scénario était très très précis.
C'était dessiné plan par plan parce qu'on tournait en studio, essentiellement, donc on pouvait transcrire le scénario directement dans des studios, dans des décors.
Christophe Dechavanne
Alors que là, il faut s'adapter aux décors naturels ?
Jean-Claude Carrière
Oui. Ca a été la nouvelle vague a apporté, ça.
Et maintenant, il y a un certain...
Donc, le rôle du scénariste, là aussi, a diminué, s'est un peu effacé pendant une dizaine ou une quinzaine d'années.
Il revient très fort depuis cinq ou six ans.
Les scénaristes sont de nouveau à la mode, si vous voulez, au sens profond du mot.
Et c'est toujours une recherche d'un équilibre entre deux formes d'expression, au fond.
Christophe Dechavanne
Est-ce que c'est un petit peu gênant, pour un scénariste, d'être un petit peu dans l'ombre, quand un film est un succès ?
Jean-Claude Carrière
Ce n'est pas gênant du tout.
Je crois que c'est indispensable.
Je crois que le scénariste fait partie de la construction de cette cathédrale plus ou moins réussie qu'est un film.
S'il se mettait à l'avant, de quelque façon que ce soit, pour construire sa fortune ou sa statue, je crois que le film y perdrait beaucoup.
Christophe Dechavanne
Vous pensez au public, à votre public, quand vous écrivez un scénario ?
Jean-Claude Carrière
Presque uniquement. Je pense qu'un film...
Je pense d'abord aux acteurs et au metteur en scène qui vont le tourner.
Car si nous écrivons pour le théâtre et le cinéma, c'est dans l'espoir que les acteurs et le metteur en scène aideront notre histoire à aller plus loin que si nous l'avions écrite tout simplement tout seul.
Alors, je pense à eux d'abord et puis au public.
Et bien sûr, à quelques-uns de mes amis dont le jugement est important.
Christophe Dechavanne
Est-ce qu'il faut être comédien pour être un bon scénariste ?
Je crois qu'on m'a dit que vous jouiez seul, chez vous, une fois que...
Jean-Claude Carrière
Pas seul, non. Mais je joue presque tous les scénarios que j'ai écrits avec le metteur en scène ou avec d'autres collaborateurs.
Christophe Dechavanne
Seul, jamais ?
Jean-Claude Carrière
Comment voulez-vous jouer une scène seul ? A moins que ce soit un monologue.
Christophe Dechavanne
Je ne sais pas.
Jean-Claude Carrière
On le joue intérieurement.
Mais ce n'est jamais aussi concret, aussi vrai, aussi vivant que quand on a la chance, d'abord, d'avoir des comédiens, le plus tôt possible.
Et je me rappelle de Depardieu dans "Danton", par exemple, au cours même de l'écriture du scénario, il travaillait avec Vajda et moi.
Ca, c'est très très précieux parce que le comédien est le seul, à un certain moment, à pouvoir ressentir certains besoins de son personnage.
Quand il défend son personnage, pas du tout pour des raisons de cabotinage, parce qu'il veut des répliques plus longues, pas du tout pour ça, mais parce qu'il sent que la scène est mal écrite, que quelque chose manque à son personnage pour justifier son existence, à ce moment-là, alors, il est le seul à pouvoir le dire, et il faut qu'il le dise le plus tôt possible.
Christophe Dechavanne
On dit que le scénario, en France, est un petit peu en perte de vitesse. Qu'est-ce que vous en pensez ?
On le dit partout. On le dit dans le monde entier.
Jean-Claude Carrière
C'est vrai qu'il n'y a pas, en France, d'enseignement du scénario, ils n'y a pas d'école de scénaristes.
Nous essayons d'y remédier, en ce moment. Nous créons...
Christophe Dechavanne
Les jeunes, vous les aidez ?
Jean-Claude Carrière
On crée un institut national de l'image et du son, au palais de Tokyo, qui est en cours de formation, en ce moment, et qui va reprendre et élargir l'IDHEC et y inclure, entre autres, l'enseignement du scénario, mais c'est aussi du décor, de la photo, du son, etc.
Christophe Dechavanne
Formidable. Je vous remercie, Jean Claude Carrière.
Si on veut en savoir un petit plus sur vous, je présente ce bouquin de Christian Salé, "Les scénaristes au travail".
Il y a plusieurs entretiens, dans ce bouquin dont un avec Jean Claude Carrière, ce qui m'a permis, quand même, de prendre quelques petits éléments pour cette interview. Merci d'être venu.
Interviewer
On va voir, maintenant, Sabine Paturel, les Bêtises. Vous connaissez ça. Vous allez voir...